Intermède - Pourquoi je vis, pourquoi, je meurs?

Rappel de l'intervention de Falrin

Iskender restait lui en retrait, préoccupé par son nouveau compagnon, Luna avec qui il passait du temps de dressage... Falrin ne comprenait pas bien le sens de son action ni ses motivations et tenta de le questionner à ce sujet, notamment sur sa foi :
- Alors bonhomme, j’vois bien qu’tu tournes en rond. T’as la passion des bêtes, Kimo te sert comme un chef d’ailleurs. J’imagine que tu tentes de faire de Luna un fidèle compagnon. Mais quelle est ta cause profonde ? Pour quoi, pour qui on contre quoi ou qui te bats-tu ? Qu’est-ce qui t’fait l’ver l’matin ?

Il marqua une pause de repris :
- Moi c’est Haela, c’est une divinité qui à d’l’humour, de l’amour pour les nains. Not’e combat c’est d’en finir avec les monstres qui menacent nos peuples sur cette terre, pour que nous puissions vivre paisiblement. Alors quand j’vois des Taslois et des magiciens ensemble, j’ai comme une envie qui me monte au nez, telle la moutarde, et qui m’fait prier et prendre ma hache en main. Et toi c’est quoi ?

Rappel de la réponse d'Iskender

- Qu’est qui me fait lever le matin ? Eh bien, disons que c’est la Vie ! Un peu comme une plante pousse : elle n’a pas besoin de motivation, c’est la Vie !
Par contre, autre chose est de vouloir mourir ou de risquer la mort volontairement (dans notre cas) : il faut alors une motivation, et moi je ne la trouve pas dans notre quête actuelle.
Pourquoi s’attaquer à M, dont on ne connait rien de ses motivations, plutôt que de s’attacher –entre autres possibilités- à protéger des caravanes (et nous serions alors payé !) ?
Combattre le Mal ? Le Mal existe, c’est un fait ! Mais il faut faire attention à ce qu’on qualifie de Mal : un loup tue un faon. Pour la biche, c’est mal. Pour le loup, c’est bien : ça lui permet de vivre et de nourrir ses petits.
Faut-il éradiquer le Mal ? Volubilis, celle qui m’a tout appris sur le métier de Rôdeur, disait que le Bien ne saurait exister sans le Mal. Je n’ai pas bien compris car je ne suis allé à l’école que jusqu’à 15 ans mais elle disait que c’était de la même façon que le Jour ne saurait exister sans la Nuit…
Peut-être pourrais-tu expliquer et justifier ou contredire ce qu’elle disait.
Volubilis se battait pour que l’équilibre soit respecté. Je fais aussi la même chose : j’ai combattu les Taslois car ils représentaient un déséquilibre dans la forêt, pas pour éradiquer le Mal de la Terre. L’Équilibre est le maître-mot de ma pensée actuelle et c’est pour cela que je vénère, comme Volubilis, Maïlikki, une déesse subordonnée à Sylvanius ! Sylvanius qui, me disait Volubilis, était prêt à soutenir des actes sauvages, même malfaisants, lorsqu'ils visent à conserver l'équilibre entre la vie sauvage et la civilisation
Et permet moi de poser deux questions, à toi qui est prêtre et donc familier du domaine divin : pourquoi y a-t-il des dieux bons, neutres ou mauvais si ce n’est pour cet Équilibre dont je parle ? Et faut-il que les dieux neutres et mauvais disparaissent ?

Ravi qu’Iskender se soit ouvert sur le sujet, le prêtre d’Haela en profita pour approfondir la question qu’il trouvait d’un grand intérêt spirituel. La réponse simple mais efficace du rôdeur fit rire Falrin aux éclats, mais il n’en perdit pas néanmoins sa concentration sur le sujet et revint rapidement à l’échange, dans un ton qu’il n’avait été que rarement aussi sérieux :

- Certes c’est la vie qui nous fait l’ver l’matin et même le soleil avec ses gros rayons. J’comprend ben ton souhait d’pas risquer la mort volontairement et j’dirais ben qu’j’suis du même avis. Même si peut-êt’e que ça s’voit pas toujours. M c’est M, c’est pas tellement pour s’en prendre à lui ou à un autre. Mais tu vois bien que c’qu’il a fait avec les Taslois c’est un déséquilibre de la forêt. Moi j’pense que c’qu’on a vu c’est simplement la surface de la montagne et qu’en d’ssous c’est aussi profond qu’une mine de nain, mais avec son lot d’pourriture contrairement à chez nous. D’la pourriture que ni Maïlikki ni Sylvanius ne tolérerait selon moi

Il attendait une réaction puis continua sur le bien et le mal.

- Oui, le bien, le mal vivent ensemble et même sont une question d’point de vue. C’que j’veux dire c’est que si c’est la vie qui prime pour toi alors t’peux pas être indifférent quand des monstres détruisent la vie. Les animaux c’est aut’e choses, c’est le comportement primitif de la nature. Mais les monstres sont des monstres, et ceux qui les manipulent comme M en sont aussi.

Revenant au sujet qui intéressait vraiment le nain, il reprit :

- Mais au-delà d’la vie, si tu sers Maïlikki et que l’équilibre est ton maître mot, alors que te dicte ton cœur face à cette situation ? Que tu dois agir ? Que tu dois protéger une caravane ? Ou que tu es appelé ailleurs ? Ça c’est une vraie question.

Jafert s’assit sur un tabouret et déplia le parchemin de résistance aux drogues trouvé dans la caverne des Taslois. Le papier était solide et plutôt lisible pour avoir été trouvé dans un endroit aussi sale. Il commençait par le relire entièrement. A l’autre bout de la petite chambre Falrin tentait d’en apprendre plus sur les motivations d’Iskender. Le magicien écoutait d’une oreille mais ne souhaitait pas intervenir pour le moment.

Apres avoir relus le sortilège deux trois fois, il se dit que c’était le moment de le recopier. Il posa l’encrier sur le rebord de la fenêtre, la situation n’était pas des plus confortable. Mais sa main aguerrit en vint à bout en quelques minutes et sans faire la moindre rature sur son grimoire. Il connaissait un sort supplémentaire.

Tu es certainement plus au courant que moi sur la profondeur de la pourriture dans cette ville. Pour ma part, je ne connais que peu les villes et encore moins celle-ci et je ne me risquerai pas de discuter de la profondeur de la pourriture ici. Comme, n'étant pas prêtre, je ne me risquerai pas à deviner ce que veulent les dieux.

Pour M, je ne connais pas ses projets. Je ne peux qu’essayer de les imaginer. Une hypothèse très fragile : imaginons que M veuille renverser l’impératrice. Est-ce mal ou bien ? Dois-je m’immiscer dans une lutte de pouvoir, qui ne me concerne pas (peut-être te sens-tu concerné) ?

Bien sûr que la bande de Taslois devait être éliminé car elle faisait peser de forts risques sur l’ensemble des humains de la forêt. Mais faut-il éliminer tous les Taslois, partout et toujours ? Je ne le pense pas.

Comme je pense, avec Sylvanius, que la civilisation humaine n’a pas à être défendu partout et toujours. Il y a un respect de la vie sauvage que les humains n’ont pas toujours. Et parfois, la vie sauvage le leur rappelle très brutalement et même de manière sanglante. C’est triste mais ça fait partie de la vie.

Est-ce que la vie prime pour moi ? En fait, dis comme cela, ça ne me convient pas. Pour moi, la vie et la mort ne sont que deux faces d’une même médaille. La mort des uns peut être la vie des autres. Ce n’est que parce que nous mourrons que d’autres peuvent vivre. Tu es un nain, tu sais très bien que vous avez peu d’enfants. C’est parce que vous avez une vie très longue. Contrairement aux humains qui ont beaucoup d’enfants et une vie courte, d’autant plus que un certain nombre d’enfants meurent jeunes.

D’autre part, les montres ont-ils droit à la vie ? Si on se place du point de vue de la Nature, la réponse n’est pas forcément celle que tu proposes. Mais bien sûr, je défendrais ma vie contre quiconque chercherait à me l’enlever, bon ou mauvais ! C’est probablement égoïste, mais je n’ai qu’une vie et je tiens à la conserver.

Quant à savoir ce que je dois faire, c’est une question que je me pose tout le temps. Je pense qu’il n’y a pas de réponse définitive : à chaque fois il faut choisir et c’est vrai que je ne fais pas toujours le bon choix.

Mais je m’aperçois que tu n’as pas répondu à ma question : veux-tu la mort des dieux neutres et mauvais ?

Iskender se prenait au jeu et ça faisait plaisir à Falrin ! D’ailleurs c’était une des rares fois où il avait vraiment pu discuter avec Iskender, lui qui était plus solitaires et proches de ses compagnons animaux.

- Pour M, j’me sens pas bien concerné par les luttes de pouvoir, mais s’il monte des embuscades, s’entiche avec des Tasloi qui emprisonnent des dragons-fées, alors là, oui j’me sens concerné. Et beh moi j’pense qu si l’monde n’avait pas d’Tasloi il s’porterait bien mieux. Ça reste des créatures maléfiques*. Et bien-sûr, si M est derrière tout ça, il n’a pas forcément à être défendu, là-dessus j’rejoins sans soucis Sylvanus. Après la civilisation a du bon, le permet la prospérité, le développement de la culture, du savoir et de la technique. Ce sont des belles choses aussi. Moi j’étais paysan dans l’passé et c’est qu’en allant en ville que j’ai été un peu instruit. J’le r’grette pas.

À la mention des enfants, le nain fit une sale grimace. Ça lui rappelait trop ces douloureux moment et sa femme qui l’avait quitté pour rejoindre le Foyer des nains**. Il détourna le regard, marqua une pause puis reprit.

- Des choix, on en aura toujours à faire, ça c’est sûr ! Ils sont pas toujours les meilleurs, mais on les fait pour avancer. Mais si t’avais une étoile polaire qui guidait tes choix, ça serait quoi ? C’est ça ma question.

- Et pou’l’reste. C’est pas à moi d’décider d’la vie ou d‘la mort des dieux mauvais, mais j’dois dire que si leurs idéaux pouvait disparaître ça rendrait un fier service à not’ monde.



*Si je ne me trompe pas dans D&D, les créatures maléfiques le sont par définition, je ne crois pas qu’il y ait beaucoup de discussions là dessus. Sauf peut-être dans l'édition 5.0 dans laquelle nous ne jouons pas.
**C’est le lieu où réside les Divinités naines et où les défunts les y rejoignent.

ne créature maléfique est vivante et par définition fait partie de la Vie, de la Nature. Donc, à mon avis, vouloir la tuer parce qu’elle est ce qu’elle est, c’est être du côté de la Mort, pas de la Vie.

Je ne connais pas les desseins de la Nature et je pense que personne ne les connait, mais cela m’étonnerait que les êtres maléfiques aient été créés par la Nature sans aucune raison. Je pense qu’ils jouent un rôle sans pouvoir expliquer lequel.
Peut-être est-ce de ma part un acte de foi ?

Vouloir faire disparaître le Mal de notre monde peut être problématique.
Mais même si tu ne décides pas de la mort des dieux mauvais (et qui le peux ?), tu peux –à ton niveau- décider de la mort de leurs servants pour faire disparaitre leurs idéaux, comme tu le dis.
Et voilà où est le problème : ce genre de conception peut amener très loin. Mais attention, je ne dis pas que c'est ce que tu veux actuellement, mais je veux simplement dire que certains, partageant ta conception, pourraient aller très loin, trop loin !

Volubilis m’a parlé des servants d’un dieu bon qui ont pourchassé les servants d’un autre dieu, jugé mauvais, jusqu’à obliger les survivants soit à s’enfuir du pays soit à cacher leur foi. Si je me rappelle bien, elle les appelait des Marraines, je crois, ou plutôt des Marranes.
Volubilis m’a aussi raconté une histoire où, dans une guerre entre croyants dans un autre pays, une armée est tombée sur une foule de gens de différentes croyances ; leur chef aurait dit « Tuez-les tous : Dieu reconnaîtra les siens ! ».
À vouloir le règne du Bien seul, on en arrive à ce genre d’extrémité.

Mon étoile polaire, comme tu dis, est, pour le moment –je peux évidemment changer- l’Équilibre ! Cela veut dire que les deux plateaux de la Balance sont égaux, entre Nature et Civilisation, entre Bien et Mal. Et dans la nature, je comprends tout : bons, méchants, neutres, … Et la Civilisation est bien loin de représenter le Bien !

Je combats les êtres par rapport à ce qu’ils font et non pour ce qu’ils sont. Des Taslois pillant des caravanes et tuant les marchants font des actes mauvais, donc je les ai combattus, mais des Taslois dans de lointaines forêts vivant leur vie, avec femmes et enfants, n’ont pas à être pourchassés et tués.

Pour M, il a fait –semble-t-il- une action mauvaise : introduire les Taslois là où ils n’ont rien à faire. Mais cette action mauvaise –la seule de lui qu’on connaisse- fait-elle de lui un être mauvais qui ne fera jamais que le Mal ?
Je pense que poser la question, c’est y répondre.

La conversation allait bon train et ce n'étais pas pour déplaire le prêtre qui prenait plaisir à cet échange, comme a découvrir ce qu'Iskender cachait sous son armure.

- J’te corrige, c’est plutôt vouloir mettre fin à ses actes maléfiques qui m’anime, la tuer pour ce qu’elle fait et non pas la tuer pour ce qu’elle est. Et pis j’pense que l’équilibre dont tu parles est forcément du côté des altruistes et non pas des personnes mauvaises qui jouent pour leur compte. C’est en étant ouvert aux autres qu’on peut créer la compréhension et l’équilibre. Par contre, j’vois pas bien où est le problème si on fait disparaître le mal. Y’aurais plus d’bien non plus, seulement l’équilibre.

- Encore une fois, mon but n’est pas de faire disparaître les servants ou leurs idéaux, mais ceux qui agissent pour le mal d’autrui délibérément. Je suis bien entendu ouvert à la conversion ou à la rédemption, sinon je ne serais pas bon prêtre.

Satisfait qu’Iskender affirme avec autant de conviction sa volonté de servir le concept d’équilibre, il continua :

- Et s’lon toi, est-ce que M fait pencher la balance dans un sens qui crée du déséquilibre ? Pour moi y’a pas d’hésitation, c’est l’cas. La machination va bien plus loin que les Taslois, mais on peut faire semblant de ne pas l’voir, c’est vrai.

e vois qu’on est déjà d’accord sur un point :

Donc on devrait combattre les gens/créatures uniquement pour ce qu’ils/elles font.
Cela signifie qu’on élimine toute idée de "croisade du Bien contre le Mal", puisqu’alors il s’agit d’attaquer les gens pour ce qu’ils sont et non pas pour ce qu’ils ont fait et c’est comme cela que je prends ta phrase :

Je précise quand même que leurs idéaux sont pourtant des idéaux rattachés au Mal !!!


Une autre remarque :

On peut-être pas la même conception de l’équilibre : pour moi, cela veut dire que le fléau de la balance est horizontal, cela veut dire que sur les deux plateaux il y a le même « poids ». Un équilibre ne peut pas être d’un côté ou d’un autre, parce sinon ça s’appelle un déséquilibre !...


Quant à dire à propos de M :

Tu es plus au courant que moi et j’espère que tu pourras m’éclairer sur ce point…


Maintenant, je voudrais discuter sur les actes eux-mêmes. Je pense qu’un acte est rarement mauvais en soi. Je vais prendre quelques exemples pour illustrer mon propos en plus de l’exemple du loup et du faon dont j’ai déjà parlé.
"Voler", c’est Bien ou c’est Mal ? A priori, c’est plutôt Mal, n’est-ce pas ?
Mais voler à manger quand on meurt de faim ? Voler les riches ? Voler un voleur ? (coup d’œil du côté de Jafert).


Prenons un autre exemple plus compliqué parce que ça monte d’un cran : la contrebande.
Être contrebandier c’est introduire des marchandises dans une région sans en payer les taxes. C’est Bien ou c’est Mal ?
Si les taxes servent à aider les populations pauvres, à réparer les routes et les ponts, à protéger les voyageurs, je pense que cela est différent que si les taxes servent simplement à enrichir le noble régnant, à payer des fêtes fastueuses à ses amis laissant dans la misère une partie de la population.
Nous avons donc un acte qui ne peut être jugé en lui-même, ni même au dépend de qui il est fait, mais il faut –parfois- pour le juger, analyser plus loin. Comme par exemple, voler les riches pour donner aux pauvres.


Je vais prendre un autre exemple qui va probablement te choquer, mais qui –à mon avis- ne serait pas désapprouvé par Sylvanius : supposons qu’une famille arrive dans une clairière dans une belle forêt près d’un joli cours d’eau. Elle s’installe là pour y vivre tranquillement. D’autres familles les rejoignent et s’installent là aussi. La population devient assez nombreuse. Ce sont des paysans et ils cultivent la terre pour vivre. Tu vois donc le tableau idyllique !
Et pourtant ! Les gens jettent leurs ordures dans la rivière et la polluent. Ils brulent la forêt pour la défricher, la cultiver ou s’en servir comme prairie pour leurs animaux. Des monstres arrivent et détruisent le village massacrant hommes, femmes et enfants. C’est Bien ou c’est Mal ?
Tu as probablement là un exemple –aux yeux des défenseurs de la Nature dont je suis- d'un Mal pour un Bien !...
Sans bien sûr que je défendre le massacre d’un village : il aurait peu-être été possible de les faire partir moins brutalement…


Donc juger (et condamner) une personne sur des actes, même mauvais, sans en connaître les motivations me semble difficile. Quand on est dans l’action, la réflexion est souvent impossible et il faut réagir instantanément, mais quand on en a la possibilité, il vaut mieux réfléchir à deux fois avant de condamner quelqu’un.


Mais je m’aperçois que je parle beaucoup, beaucoup plus que toi. Volubilis pensait que c’était parfois ce qui arrivait aux solitaires. Je te laisse donc répondre à mes nombreuses questions. Et j’espère bien que tu répondras à chacune d’elles…

Ah, une dernière chose que j'ai oublié de dire : quand on fait partir un feu de forêt, on sait où et quand il part mais on ne sait jamais où et quand il finit...

- Bien-sûr tu m’a compris, c’est pour ce qu’ils font dans un sens global, l’acte ne va pas sans l’sens qui l’accompagne. Un acte isolé n’a pas de sens seul, mais les informations qu’on a su’l magos confirment qu’y’a bien anguille sous roche. J’pensais qu’tu aurais l’flaire d’voir au delà de ce que tu as seulement vu. Et pis t’sais bien que quand on parle des monstres, y’a ceux qui sont mauvais et ceux qu’il’sont pas.

- Tu parles d’un équilibre entre le bien et le mal avec autant de bien que d’mal. Un monde moitié maléfique, moitié bon. Bref j’pense que la moitié maléfique boufferait vite l’aut’e à c’rythme-là. Moi j’te parle d’un équilibre ent’e les gens, où chacun à la liberté de vivre sa vie sans emmerder les aut’es. Un équilibre ou la nature trouve sa place, les villages et les grandes cités co-habitent. C’est ça mon idéal d’équilibre.

Puis pour répondre à la dernière affirmation, le nain revint sur ce qu’il avait démarré.
- Il faut forcément juger quelqu’un sur ses actes. J’vais prendre un petit exemple. Quelqu’un tue une autre personne en faisant un simple exercice de tire à l’arc puisqu’il respectait pas la prudence qui vaudrait qu’il ne tire pas quand quelqu’un passe. Puis il recommence une deuxième fois. T’jugerais pas ça toi ? On peut juger si ce n’est pas de la malchance à une bonne dose de débilité. J’suis d’accord avec toi, c’est l’ensemble des choses qui doivent être jugées. Mais quand on fait du trafic de Tasloi, on emprisonne des dragons fées, on fait de la contrebande de jus de dragon-fée, on s’acoquine avec le grand banditisme alors j’me dis qu’y’a comme une intuition qu’l’intention dit c’qu’elle dit…

- Je suis déçu que tu ne répondes pas précisément aux questions posées.
Peut-être est-ce ce que Volubilis appelait la « casuistique ». Ou peut-être est-ce moi qui l’utilise : je ne sais plus très bien ce qu’elle en disait.

Dans ta réponse, je ne vois pas bien quel est le but de ton exemple du tireur à l’arc. Si c’est pour démontrer qu’il existe des actes mauvais sans aucune justification, je suis d’accord avec toi et je n’ai jamais dit le contraire. J’ai simplement dit qu’un acte était rarement mauvais en soi. Il faut connaître le contexte pour pouvoir le juger. Un acte jugé "mauvais" pouvait être interprété autrement et qu’il fallait faire attention avant de condamner quelqu’un. Cela ne veut absolument pas dire qu’un acte ne pouvait pas être jugé mauvais.

Je vais maintenant revenir à la source de notre discussion :

Pourquoi je vis ?
On vit parce qu’on vit. Personne n’a demandé à naitre, personne !
Lorsque la conscience nous vient, c’est qu’on vit déjà. Volubilis disait « Je pense donc je suis », en citant je ne me rappelle plus qui.

Pourquoi je meurs ?
Il y a plusieurs niveaux de réponses à cette question.
D’abord, il faut bien voir que la mort fait partie de la vie. Tout ce qui vit meurt un jour, tout au moins dans notre plan. Donc souvent la mort arrive de façon indépendante de notre volonté (vieillesse, accidents, maladie,…).
Se donner volontairement la mort. Cela arrive et cela peut avoir différentes causes (dépression, douleurs insupportables, amours contrariés, désirs de rejoindre dans la mort un être cher, obéir à un code de l’honneur ou à un dieu,…). Ce n’est pas mon cas, je te rassure.
Accepter volontairement la mort. Je comprends qu’on puisse mourir pour des idées autrement que « de mort lente », comme le dit une chanson que j’ai entendue. Je pense que Kald et toi pouvaient accepter mourir pour défendre votre dieu. Pour ma part, j’aurais volontiers accepté de mourir pour défendre Volubilis s’il avait fallu. Mais actuellement, je n’ai aucune cause qui puisse me faire accepter de mourir volontairement.
Risquer la mort. Là, je pense que c’est plutôt le lot commun : risquer sa vie pour la gagner. Le bucheron qui abat des arbres et qui peut se faire prendre lorsqu’un arbre, pour une raison ou pour une autre, fait le contraire de ce qui était prévu (si tu t’intéresses un peu à la chose, tu verras que c’est une profession très dangereuse). Le pêcheur qui sort en mer avec sa barque pour ramener de quoi nourrir sa famille (là aussi, si tu cherches, tu verras que c’est une des professions les plus dangereuses). Et toi qui es nain, tu dois savoir aussi que les mineurs qui extraient des entrailles de la terre le charbon, le fer ou l’or, courent des risques importants.
Moi aussi, je risque ma vie pour la gagner. Jusqu’à présent en recherchant des plantes rares dans des lieux dangereux car c’est ce qui rapporte le plus d’argent. Et maintenant, je suis en train de changer d’activité : j’ai été garde/éclaireur pour caravane, puis à la recherche de documents pour un noble, d’ailleurs avec toi. Je gagne donc ma vie actuellement en acceptant des missions, qui me conviennent, contre de l’or.
Je prends, dans le cadre de mon travail, le moins de risques possibles.

Ce qui nous amène donc à M. Tu dis :

Pourquoi es-tu si sûr que c’est M qui a capturé le dragon fée ? Ne serait-il pas possible que ce soit les Taslois eux-mêmes qui, profitant d’une occasion, ont capturé Thoïl et ont utilisé ses sécrétions pour leur usage personnel immédiat (c’est sûr) et futur sans que M y soit pour quelque chose ?
Ce qui semble sûr c’est que M a fait des actes mauvais, qu’il est très probablement un voleur. Mais cela seul ne me motiverait pas à le combattre : de nombreux actes mauvais sont faits dans cette ville, dans cette région, dans notre monde. Alors pourquoi lui plutôt qu’un autre ? Pour ma part, j’ai deux raisons supplémentaires pour agir contre M : premièrement toi et Jafert êtes décidés à le combattre et je reste avec vous ; et, deuxièmement, j’espère pouvoir récupérer un peu d’or qu’il a volé, comme le montrent ses carnets.
C’est dommage que tu n’aies pas répondu sur le fait de voler un voleur…
Tu vois donc que je suis prêt à vous épauler ce qui était, me semble-t-il, la motivation première de cette discussion.

Mais maintenant il se fait tard, et je vais me lever de bonne heure pour dresser Luna.
Donc, avec ta permission, je vais aller me coucher.
Je te remercie de cette discussion qui m’a permis d’exprimer certaines de mes idées qui étaient plutôt confuses dans ma tête.

Ayant dit cela, Iskender attendit poliment la réponse de Falrin, laissant respectueusement le dernier mot à son aîné.

yant attendu un moment la réponse de Falrin, Iskender le regarda plus attentivement. Celui-ci semblait réfléchir profondément ou peut-être même dormir les yeux à moitié ouverts !
Pauvre Falrin ! L’ancien paysan n’avait probablement pas l’habitude de discussions aussi longues. Contrairement à Iskender, qui se rappelait avec émotion les discussions avec Volubilis autour de feux de camp. C’étaient ces discussions qui l’avaient formé intellectuellement et moralement.
Iskender se leva silencieusement de son siège, traversa la pièce et sortit.
Et il ferma doucement la porte derrière lui.