Chapitre 2 : Où gîte une coquille de noix

L’instinct de survie avait dicté au demi-elfe de ne pas se jeter dans l’épave, ce qu’il aurait pu tout à fait faire dans d’autres circonstances. Bien lui en avait pris puisqu’il découvrit rapidement le manège d’un gardien qui ne venait de faire qu’une bouchée d’un crabe large et qui semblait déjà agressif. La créature présente ressemblait à une énorme tortue dont les pointes acérées de sa carapace ne semblaient pas faire d’elle une créature amicale.

Atanathar avait le don pour prendre tout danger à la légère. Ça n’était pas toujours pour déplaire à Baelsul, mais cette fois-ci il ne sourit pas. S’étaient-ils déplacés si loin de la ville et blessé contre un mort vivant pour finalement rebrousser chemin face un trop gros prédateur ? Laissant le halfelin s’agiter le lunargentais lui proposa cette fois-ci :

« Excellente idée, trouve un crabe et fait diversion, nous pourrons peut-être nous introduire pendant que la grosse tortue n’a d’yeux que pour toi. »

Contrairement à Laeylan, l’archer de l’art n’avais jamais croisé ce type de bestiole et intérieurement il ne le regrettait pas.

« Une tortue dragon ? Mais qu’est-ce qu’elle peut bien faire ici ? J’imagine que de telles créatures ont mieux à faire que de garder une épave pourrie depuis longtemps non ? »

Après les quelques précisions de la femme bleue, il reprit :

« Négocier pourquoi pas, mais honnêtement je ne me sens pas en grande forme si ça devient musclé. Je vous laisse entamer les pourparlers si vous le souhaitez mais je ne vois pas trop ce qu’on pourrait lui proposer… À moins qu’elle cherche quelque chose dans l’épave mais qu’elle n’arrive pas y entrer ? »

Intérieurement, le demi-elfe appela Sashelas, le dieu des mers et des océans et de ceux de sa race pour qu’il puisse protéger le groupe et leur éventuelle aventure marine.

Impressionné par l'énorme créature, le groupe discuta longuement d'une solution pour s'attirer ses bonnes grâces ou détourner son attention. En effet, combattre le montre n'était certainement pas à leur portée, car leurs armes ne lui causeraient que piqûres de moustiques. Quoique… En nombre, les moustiques pouvaient se montrer incommodants.

Les dragons tortues n'étaient pas des dragons véritables, à l'intellect dépassant largement celui des humanoïdes, mais c'était malgré tout des créatures conscientes et rusées, pas de vulgaires rothés¹ qu'on pouvait effrayer avec des torches. Sans doute la créature les avait-ils déjà repérés. Quoique les aventuriers allaient décider, ils allaient devoir ruser. Quant à capturer des proies pour amadouer le monstre, avec le peu de matériel qu'ils possédaient, cela allait prendre du temps, et ils ne pourraient pas le faire dans cette même crique.

Ils devaient agir vite, avant que la rumeur du naufrage ne se répande, et qu'un autre groupe de chercheurs de trésors ne vienne s'immiscer dans l'exploration de l'épave…

¹: Le rothé est une créature ressemblant à un bœuf-musqué, qui peuple largement la moitié nord de Faerûn. L'écologie de Faerûn est assez étrange puisqu'on y trouve des marsupiaux et des mammifères de toutes sortes, mais le rothé est souvent décrit comme une bétail populaire dans le nord (et même dans l'Outreterre).

Tout ça était plus que l'halfelin en espérait. L'aventure c'est bien, rencontrer un dragon, c'est inespéré. Fallait encore en revenir pour pouvoir le raconter à son maître
¤ Si Maître Sarouf était là, il saurait quoi faire, lui! Allez Atanathar, creuse-toi les méninges ¤
En écoutant ses amis discuter, une idée lui vint à l'esprit qu'il s'empressa de leur soumettre.
- Baelsul, c'est peut-être ça ! Nous pourrions nous approcher et demander si nous pouvons passer et revenir. S'il a besoin d'aide comme tu en fais l'hypothèse, cela pourrait être un échange de service. Nous pourrions accompagner notre demande par quelques offrandes, peut-être peut-on cueillir des fruits de la forêt qui lui sont plus inaccessible que les crabes? L'idée est peut-être simple mais qui sait? Qu'en pensez-vous?
Il était vrai que l'idée paraissait simple mais cela valait la peine d'y réfléchir. Les compagnons n'avaient pas beaucoup d'autres possibilités, se battre n'était pas une option, nier le dragon-tortue non plus, une confrontation s'imposait et celle-ci devait être sinon amicale au moins profitable à toutes les parties.
¤ J'espère juste qu'ils ne vont pas m'envoyer au feu parce que je parle le draconien. Le dragon-tortue pourrait croire que je fais partie de l'offrande. Aïe aïe aïe, dans quoi me suis-je fourré? ¤

Laeylan regardait ses compagnons d’aventure avec un semblant de moue déconcertée. Tout le monde semblait rendu au même point. Si la conversation devenait musclée, personne ne ferait le poids. Quant à trouver des offrandes, elle ne l’envisageait pas sérieusement. Soit la créature acceptait de les laisser passer plus ou moins gracieusement soi ils finiraient tous à la casserole ou en fuite.

Elle se leva, épousseta ses fesses et mains pour faire tomber le sable accroché dessus et s’engagea d’un pas décidé en direction de la créature.

-Voyons donc ce qu’elle a à nous dire. Avec un peu de chance elle sera de bonne humeur.

Elle s’approcha donc du rivage et de la tortue pour entamer une conversation avec elle. En son for intérieur, elle n’avait pas la moindre idée de quoi lui dire ni même de comment engager une conversation. Les tortues dragons parlent elles du beau temps, ou de la marée ?

Bonjour ! On aimerait traverser votre territoire pour explorer un peu ce bateau couché làbas. Ça serait vraiment sympa de nous laisser passer. Vous en dites quoi ?

Atanathar était surpris de voir Laeylan se redresser subitement et partir d'un pas décidé vers l'immense créature marine. Il est vrai que tous avait l'air de dire que c'était son élément et qu'elle était à la manœuvre. Mais quand même elle aurait pu dire ce qu'elle comptait faire.
¤ Mais que fait-elle, elle ne va quand même pas y aller seule ¤
Bien qu'une boule lui nouait l'estomac, Atanathar ne pouvait pas sciemment et moralement laisser Laeylan aller seule face au danger. Se remettant debout, il s'engagea à la suite de Laeylan en haranguant ses acolytes
- Allez les gars, débout, on ne va pas la laisser allez seule, nous sommes une équipe nous affrontons les obstacles ensemble. J'ai lu un cri de ralliement quelque part qui est très à propos "Tous pour un et un pour tous!". Allez, hop on y va! On ne peut pas la laisser affronter seule le danger!
Atanathar se demandait bien ce qui allait leur arriver mais les dés étaient jetés, plus question de faire marche arrière
- Laeylan, attend nous on arrive!

Un dragon tortue ? Baelsul n’avait jamais rien vu ni entendu de tel. Il était d’avis qu’une Laeylan serait bien plus à l’aise de dialoguer avec une telle créature si c’était le cas. En tout cas c’était sûr, il rebrousserait chemin au premier signe d’hostilité ouverte. Aucun risque n’était à prendre dans pareil cas.

« Des offrandes ? pourquoi pas. Honnêtement je ne sais pas trop quelles peuvent être les motivations d’une telle créature. Les dragons aiment les trésors, mais qu’en est-il des dragons tortues ? Elle doit sûrement cherche quelque chose ou le protéger pour être restée si longtemps à observer cette épave pourrir. »

Au-delà de l’extraordinaire que représentait la rencontre le demi n’étant pas en pleine forme poussa un petit soupir de soulagement quand il vit sa consœur prendre les choses en mains.

Laeylan avait mis les pieds directement dans le plat, Baelsul n’aurait pas fait mieux, mais il s’était attendu à un peu plus de finesse de la part de la femme en bleu. Celle-ci aimait tellement les chamailleries et plus si affinité !

S’adressant de nouveau à Atanathar. « Qui a dit que rester en retrait était ne pas y aller ? »

Le semi-homme essayait d’endosser un nouveau costume en prenant une posture à moitié autoritaire sur un groupe qu’il ne connaissait pas. Voilà qui fit bien rire le demi intérieurement.

En quelque sorte, ils eurent de la chance. Auraient-ils abordé le monstre dans un autre langage qu'il les aurait sans doute vaporisés, tel l'infortuné décapode. Mais entendre une humanoïde s'adresser à lui sembla l'intéresser. Les contes des bardes évoquaient parfois l'incommensurable vanité des dragons, et les ruses que des cambrioleurs halfelins déployaient pour leur subtiliser quelques gemmes tout en leur faisant la conversation…

La tête qui émergea à demi pour les contempler devait bien faire deux mètres à elle toute seule. Une telle mâchoire trancherait n'importe lequel d'entre eux d'un seul coup. Sauf Atanathar: lui serait gobé en un morceau.

– Tu veux explorer mon bateau ? Cest moi qui lai trouvé, dokaal. Quespèrestu y trouver ? Réponds vite, avant que je ne te trouve plus à mon goût que ce répugnant cadavre qui lhabitait…

Les aventuriers —Laeylan la première, Baelsul en retrait— s'étaient un peu avancés pour s'adresser au dragon, mais ils venaient de réaliser quelque chose: Le monstre venait d'émerger à une dizaine de mètres d'eux, et s'il était à portée de flèches, eux étaient sans doute à portée de souffle… Ils allaient devoir être dignes de l'histoire d'un barde.

Le terme "dokaal", tiré du draconien et inséré dans la phrase en aquatique est un terme générique pour les bipèdes, bien évidemment inférieurs. Si vous ne parlez pas l'aquatique, Laeylan va devoir jouer l’interprète sans trop faire attendre le dragon tortue.

Surpris que Laeylan n'ai pas été dévorée sur place et eux aussi par la même occasion, Atanathar n'en croyait pas leur chance.
¤ Il ne nous a pas mangé tout cru, c'est déjà ça de gagné!¤
Laeylan s'était adressé au dragon-tortue dans une langue qu'Atanathar ne connaissait pas mais après avoir reçu un bref exposé de l'échange entre Laeylan et le dragon-tortue, il s'agissait de préparer la suite
- A mes yeux c'est assez simple, nous sommes là parce que nous pensons que ce navire à quelque chose à voir avec l'attaque que vous avez déjoué dans le port et donc nous sommes à la recherche d'indices.
- Peut-être peut-on également lui demandé si le nom d'Immurk lui dit quelque chose?
Atanathar n'était vraiment pas à son aise, un animal aussi impressionnant qu'imprévisible aussi prêt d'eux n’avait rien de réconfortant.
- Et Laeylan, soit gentille hein? Je n'ai pas envie de lui servir d'amuse-bouche, si tu vois ce que je veux dire.[I]

Écoutant rapidement les interventions de ses compagnons, Laeylan tâcha de négocier, avec une familiarité qui ne pouvait qu'effrayer les spectateurs et victimes potentielles. La genasi ne semblait pas s'encombrer de beaucoup de civilité, et alla droit au but:

– Et bien, nous ne savons pas quel est ce bateau. Nous pensions quil a peutêtre été victime des koalinths qui volent des objets magiques sur toute la côte. Mais il est plus ancien, non ? Cest le vaisseau dImmurk ?

En effet, si la divination n'avait pas donné d'information sur l'origine du bateau, la présence des algues et coquillage sur sa coque indiquaient une immersion prolongée. Cette épave avait été miraculeusement sortie des eaux, en droite ligne d'un autre temps.

L'énorme monstre plongea sa tête dans l'eau et d'un seul coup de nageoire, avança de deux mètres pour se rapprocher de Laeylan. Il était bien plus vif qu'il n'en avait l'air. Ses grands yeux verts étaient fendus d'une pupille noire comme l'orage. Mais un dragon tortue n'allait pas sortir sur le grève, si ? Il répondit de sa voix sourde, dans un Commun difficile à distinguer:

– Vous êtes donc là par hasard, et allez m'être utiles, dokaal. Approchez. Si vous ne rechignez pas, vous n'avez rien à craindre. Je suis Nephropis, et Immurk était roi pirate des îles humaines. Ce navire n'était pas le sien, mais il renferme un trésor que je désire. L'un de vous va le récupérer pour moi, et je vous laisserai fouiller le reste.

Je considère que vous obéissez de mauvaise grâce à ses injonctions, n'ayant pas trop le choix d'éviter un souffle mortel. Je ne dis pas que vous ne pouvez pas converser avec lui, mais ne l'offensez pas, car un seul humanoïde suffit pour aller récupérer le trésor.

Cette histoire était vraiment plus extraordinaire que ce que l'on aurait pu croire. Non seulement les aventuriers n'avaient pas été mangé tout cru mais en plus ils allaient aider un dragon-tortue. Qui aurait cru cela possible?
Toujours est-il qu'Atanathar et ses coéquipiers Hemurelh et Baelsul étaient les otages du dragon-tortues pendant que Laeylan fouillait l'épave. Atanathar ne pu réprimer sa curiosité, il surmonta sa peur et s'adressa humblement au dragon-tortue.
- [LANGAGE=9]Oh grand Nephropis, maître des océans, serait-ce déplacé de vous demandez de nous parler de vous pendant que notre amie recherche votre trésor? Après tout, nous pourrons ensuite conter votre histoire à différents bardes et troubadours qui à leur tour vous feront connaître à travers tous le pays aux gens qui, comme moi dû à mon jeune âge, ne vous connaissent pas encore. Je suis convaincu que nous avons tous à gagner à vous connaître. De plus vous semblez connaître tant de choses que vous écouter nous raconter votre histoire et partager vos connaissances ne serait qu'un pâle reflet de votre grandeur!
Atanathar ne savait pas d'où il tirait ce courage mais flatter l'ego d'un dragon n'avait jamais fait de mal avait-il lu. C'était aussi un moyen pour essayer d'acquérir des informations, on ne sait jamais ce que le dragon-tortue pourrait raconter.