L'oeil des Sorcières, Aventure dans les Moonshae

orsque son ancien mousse lui tendit sa hachette, elle la prit en hochant la tête. Cependant, elle ne se l'appropria pas : au contraire, elle lui fit faire quelques moulinets, testant son équilibre, puis fit courir ses doigts le long de son fer et de son manche, les yeux fermés, semblant méditer. Elle resta ainsi quelques instants, avant de rouvrir les yeux :

- Évidemment, je me souviens d'elle, et de son pяemieя possesseuя. Sa voix trahissait une pointe de nostalgie, et son visage, une certaine fierté : « Je sens que tu t'en es bien occupé depuis ses pяemieяs champs de bataille ... Son âme semble pяête à s'éveilleя et, si tu le désiяes, je t'y aideяai. » Faisant un dernier moulinet, elle sourit à Jakelm et lui rendit son arme, manche en avant : « D'ici-là, meяci, mais яepяends-là. Je suis une gueяяièяe. Je suis ma meilleuяe aяme. »

Hermine avait parlé sans esbroufe. Depuis son adolescence, elle avait mené une vie de combats. Ses compétences martiales transcendaient le champ de bataille, et étaient devenues un style de vie, un état d'esprit, presque une doctrine —non dénuée de ses cotés sombres. Elle avait trouvé en elle des armes capables d'estropier ou de tuer que n'importe quelle lame. Il lui avait pour cela rassembler patience, sueur, sang, larmes ... et patience.
Patience dont semblait parfois se passer Jakelm, à en juger par son ton, la manière dont son corps et son esprit restaient toujours en mouvement, même durant les phases de repos. Pouvait-on mettre simplement cela sur le compte de l'adolescence ?

¤ L'enfant qui manque de témérité et d'un brin de folie se réveille avec des cheveux blancs ... ¤

Songeuse, Hermine considéra tour à tour ses amis. Comparés au souvenir qu'elle gardait d'eux, ils semblaient tous deux plus forts, physiquement et mentalement, et dotés d'une plus grande confiance en eux. Elle était fière d'eux, mais en même temps ...

- Яécapitulons. Une femme est captuяée paя une ou plusieuяs soяcièяes. Qu'elle soit leuя victime, leuя maяionnette, leuя fille ou leuя nouvelle alliée, on ne peut pas laiseя faiяe. Je vous яejoins là-dessus. L'aventurière croisa les bras. « Mais vous ne connaissez ni le nombяe de vos ennemies, ni leuяs objectifs, ni leuя яepaiяe, ni l'étendue de leuяs pouvoiяs, à paяt une vague diяection qu'un de leuяs alliés vous a indiquée, et qu'il s'agit potentiellement des guenaudes, cяéatuяes souяnoises, maléfiques et mystéяieuses s'il en est. »

Hermine se massa les tempes. La hâte de ses collègues à s'élancer dans l'inconnu sans un travail de reconnaissance en bonne et due forme la perturbait à chaque fois.
D'un autre coté, elle avait bien conscience que le temps leur était à priori compté, et que si elle-même s'écoutait, qu'elle se donnait le temps de planifier tout le nécessaire, la fameuse Marge risquait de sombrer dans le Mal pour de bon, et leurs adversaires auraient le temps d'avancer leurs pions.
Il fallait trouver un compromis, et pour ce faire elle-même devait tenir la bride à sa paranoïa galopante qui lui prédisait déjà cinquant nuances de désastres à venir. Elle comprenait mieux maintenant l'apparente panique sourde qui semblait agiter leur amie Calishite dans la grotte.

- Bon, vous avez déjà pensé glaneя davantage d'intel suя la situation ?, reprit-elle, non sans maugréer un peu pour la forme. Boire de l'eau fraîche lui avait fait du bien aux cordes vocales, c'était déjà ça. « Si les soяcièяes habitent ici depuis longtemps, elles doivent êtяe connues de яéputation paя les habitants des lieux. Si elles viennent d'aяяiveя, leuя passage a ceяtainement déяangé les яésidents de longue date. Ces mêmes habitants pouяяaient nous aideя à mieux ceяneя qui on a en face, nyet ? »

Devant le regard peut-être interloqué des autres aventuriers, elle précisa :

- Les habitants de la foяêt. Les fées. L'une d'entяe vous sait-elle comment les tяouveя ? Ou sinon des elfes, des dяuides, des bûcheяons, ou demandeя aux animaux, ça peut le faiяe aussi ...

Hermine avait elle-même un peu d'expérience dans ce domaine. En cas de besoin, elle pourrait essayer. Mais si quelqu'un était plus qualifié qu'elle, elle passerait la main de bonne grâce ...

Si Sylaruil participe à la conversation :

Hermine considera Sylaruil attentivement. Elles s'étaient présentées, et l'avait félicitée pour son combat contre les ogres —en particulier pour sa préparation somnifère, qui avait grandement impréssionnée l'humaine—, mais elles ne se connaissaient guère.
Peut-être y avait-il dans ces bois une communauté d'elfes ? Ou peut-être, à en juger par le violon à son coté, était-elle une aède capable de charmer quelque fée de la Sylve et de, par la diplomatie, l'inciter à aider les aventuriers ?

De son côté, la Calishite n’avait pas réagi à la remarque du géant, malgré que son visage se soit légèrement incliné, montrant qu’elle avait entendu sa remarque.

Subir le rejet de ses semblables était déjà dur, mais de la part d’une monstruosité gigantesque, cela la faisait se sentir encore plus en retrait. Mais elle durcit les traits de son visage et afficha une moue réprobatrice afin de signifier qu’elle n’avait que faire de ces remarques.

Alors qu’elle s’efforçait d’enlever les traces de sang de son visage, elle assista aux retrouvailles de la Sirène et du Durpari. La scène était prenante et plutôt émouvante, Hermine avait l’air émue de retrouver Sahadeva. Puis voir cet homme d’habitude si stoïque se laisser aller à une chaleureuse étreinte était complètement inattendu, voire carrément choquant pour Sail ! Elle qui le voyait comme une sorte d’ascète austère au tempérament modéré écarquilla les yeux de surprise et ne se rendit même pas compte qu’elle cherchait le regard de Tijak pour le prendre à témoin de cette scène incroyable, peut être même encore plus incroyable qu’avoir combattu trois ogres et tenu tête face à un géant !

¤Donc ils se connaissent tous les trois !¤

Fascinée par ces retrouvailles, la jeune femme ne remarqua presque pas que Sylaruil, furieuse et offensée par la réponse du géant, sortit de ses gonds et prit le risque de remettre de l’huile sur le feu ! La Llewyr semblait entêtée mais elle fini par abandonner ses menaces, au grand soulagement de Vëla qui n’aurait sans doute pas apprécié voir la situation s’envenimer une fois de plus alors qu’elle s’efforçait d’adopter une posture pacifique au nom du groupe. Il faut bien dire qu’à part la paladine, les femmes de cette compagnie semblaient avoir la langue bien pendue, au grand damn de la folle de Torm qui n’était sans doute pas au bout de ses peines.

Lorsque Jakelm approcha pour se débarbouiller, Sail aperçut Hermine venir à son encontre. Gênée, elle pensait que l’Illuskienne brute de décoffrage venait lui reprocher d’épier les retrouvailles du trio, aussi elle se flanquait alors une rasade d’eau à nouveau sur le visage pour faire mine d’être occupée. Mais en lieu et place de reproches redoutés par la Calishite, Hermine la gratifia de remerciements. Cela lui faisait du bien, et Sail oubliait quelque peu cette petite voix qui tentait de la persuader qu’elle était une personne horrible. mais comme beaucoup de bonnes choses dans sa vie, la jeune femme avait toujours des lacunes quand il s’agissait de les apprécier.

-Merci mais ce n’est rien vraiment, je ne faisais que passer par là, et pour le gaz soporifique, tu devrais remercier la Llewyr, c’est elle qui a saisi l’opportunité de l’utiliser, je n’ai fait que la lui fournir.

Sail continua de se nettoyer le visage, le sang avait du mal à partir et le géant avait raison, ça puait!

Elle s’arrêta net lorsqu’elle constata qu' Hermine l’observait avec insistance, comme si elle la scrutait. La jeune femme haussa les sourcils vers la Sirène, comme pour l’interroger de son acte.
Puis elle se rendit compte… Son œil gauche! Cela faisait un moment qu’elle ne s’était pas sentie dévisagée pour son strabisme, il était vrai que le reste du groupe n’avait pas eu cette curiosité gênée et déplacée que certains inconnus manifestait envers cet œil qui la complexait.

¤ça faisait longtemps…¤, se dit-elle en détournant le regard et en cachant son œil avec ses cheveux, continuant sa toilette sans un mot.

Après s’être prodigué les soins nécessaires pour une santé parfaite, la paladin attendait, même si elle comprenait parfaitement ce qu’étaient des retrouvailles. Elle-même avait hâte d’en savoir davantage sur Hermine et du pourquoi elle était là. C’était une sœur du bastion après tout et même si elle se demandait si ce n’était pas le bastion qui l’avait envoyé à sa recherche, elle poserait la question une fois en route, ils avaient une mission et elle savait aussi comment le temps leur était compté. Elle roumégua silencieusement son mécontentement de la situation et soupirait tout aussi silencieusement qu’elle le pouvait. Son aura d’opale encore éclatante faisait œuvre lui donnant toujours une prestance hors de l’ordinaire. Elle garderait l’aura tant et aussi longtemps qu’ils seraient auprès du géant, ne voulant pas désamorcer tout le travail social qu’elle avait fait jusqu’à lors.

Faisant tourner Abby face aux compagnons, de sa rectitude amplifiée de son charisme, sur un ton autoritaire qui était sa déformation professionnel, elle dit à la suite de Sail et sa toilette…


-Mesdames, messieurs, comme dit auparavant, le temps nous presse et nous avons encore beaucoup de chemin à faire pour aider Marge, ayez en tête que si nous ne serions pas venus jusqu’ici sans perdre de temps, Hermine serait en train d’être digéré à l’heure que vous faite jasette et toilette. Le chemin nous apportera des solutions ou des idées en même temps de ne pas perdre notre objectif de vue, celle de régler le problème de la ou des guenaudes. Nous nous reposerons en temps voulu, d’ici là, il faut reprendre notre chemin. Allez, en route! Malo, si tu veux nous ouvrir le chemin, ce serait apprécié, merci. –

Dit-elle cette fois-ci en faisant tourner une deuxième fois Abby puis commençait à avancer derrière Malo et comme il n’y avait personne qui voulait profiter du confort d’être assis sur le dos du cheval derrière elle, la guerrière divine, toute trempée comme ses compagnons, s’enveloppait dans sa peau d’ours nordique pour se réchauffer après avoir pris en main sa lance d’Arçon et de la déposer dans l’entrave de l’étrier. Après quelques pas lents, elle dit sans se retourner…

-Dite moi Hermine, c’est le bastion qui vous envois? Je suis Vëla de Torm, sœur de la Phalange de l’Ours du bastion des marches d’argents. Au propos de notre mission voici ce que nous savons…-

La preux chevalière déboulait dans un rapport descriptif tel un général de brigade, tout ce qu’ils savaient aux propos de leur mission en cour depuis leur départ de la ville, faisant ainsi ses présentations et un rappel pour tous de la situation ainsi que de la gravité du moment. Cette fois-ci elle n’arrêterait pas la progression.

Sahadeva avait approuvé les suggestions d'Hermine, tout en précisant :

- Recueillir des informations supplémentaires peut constituer un atout, en effet, pour ne pas dire une nécessité. Les habitants du coin, comme notre contact à Caer Callidyr, n'ont malheureusement pas pu nous apprendre grand chose sur ces sorcières ou guenaudes, hormis qu'elles sont mystérieuses et très dangereuses. Aucun d'entre nous ne peut parler avec les animaux mais, si tu sais le faire, cela pourrait s'avérer utile… En supposant qu'ils ne s'enfuient pas tous en découvrant une bande d'humanoïde lourdement armés et passablement usés par leur dernier combat !

Il avait prononcé ces derniers mots un petit sourire aux lèvres, plus pour la boutade que pour parler sérieusement. Malgré sa blessure et la fatigue, le Maquar se sentait relativement bien.

Le Durpari avait également approuvé la proposition de Vëla :

- Pour l'heure, il me semble en effet urgent de se remettre en route. Le temps pourrait jouer contre nous, surtout si la nuit venait à tomber avant notre retour.

Il n'oubliait pas cet épuisant combat nocturne dans le hameau. Seule Sylaruil serait en mesure de les guider convenablement dans les ténèbres d'une forêt recouverte par l'obscurité de la nuit.

- Nous pourrons nous informer en chemin, si l'occasion se présente.

Le guerrier réajusta son équipement et se tint prêt à partir. Avant de se mettre en route, il s'approcha doucement de Sail et lui dit à voix basse :

- Sail, la prochaine fois, évite de tuer un adversaire que je m'efforce d'épargner… Non seulement parce que cela me tient à cœur, en regard de ma foi, mais aussi parce qu'une vie sauvée ouvre souvent de nouvelles opportunités. Hermine et moi n'avons par exemple pas eu à regretter d'avoir épargné des hommes-lézards maraudeurs, même si nous aurions très bien pu les achever. Cette action lui a probablement sauvé la vie en retour…

Son ton était calme. La déception et le brin de colère étaient retombés, Sahadeva s'efforçait d'être pédagogue et convaincant, même s'il n'était pas certain que sa petite leçon de morale agisse sur la Calishite.

Récupérant sa hachette, Tijak la fit sauter habilement dans sa main afin de la saisir par le fer pour la faire glisser dans l'attache prévue à cet effet sur son ceinturon. Avec un sourire d'excuse, il secoua négativement la tête à la question d'Hermine, ajoutant son ignorance à celle de Sahadeva. Il ne faudrait pas compter sur lui non plus pour taper la causette avec les animaux.

- Désolé, m'dame Hermine, j's'rais pas, non plus, d'une grande aide pour ça, commenta-t-il avant de poursuivre dans un éclat de rire. Pourtant, ma mère disait qu'j'avais tout du bourriquot, mais j'ai jamais réussi à avoir une longue conversation avec eux.

Sursautant sous la remontrance de Vëla, il se hâta de se rhabiller complètement, enfilant une fine chemise de lin pour éviter à son armure de trop frotter contre son torse nu. Un surplis de couleur sombre vint couvrir le tout, masquant ainsi la brillance du mithral et le laissant de nouveau apte à se fondre discrètement dans la végétation ambiante.

Bon, maintenant, le gamin était vraiment prêt au départ et on ne pourrait plus prétendre que c'était lui qui ralentirait le groupe. S'approchant avec confiance de Malo, dont la silhouette massive avait pourtant de quoi susciter une certaine inquiétude, il le questionna sur d'éventuelles empreintes laissées par Marge et sa ravisseuse.

- Vous pouvez m'montrer à quoi ressemblent les traces qu'elles ont laissées ? Ne vous inquiétez pas, j'me fais fort d'les suivre et d'vous conduire discrèt'ment à bon port. Du moins si personne ne braille derrière moi...

Un coup d'œil ironique et une petite grimace effrontée à l'intention de la paladin de Torm, "mère-poule" attitrée de l'enfant, mais dont la sollicitude inquiète avait déjà gâché la furtivité de leur progression.

e pas tuer, c'est mieux. Mais ne pas tuer, en combat réel, c'est difficile.
Ne pas tuer, c'est dangereux. Mais essayer, autant que possible, c'est nécessaire.
Sinon, la Guerrière se transforme en Bête.

Aux dires de Sail, qui semblait tenter de minimiser sa participation à leur récente victoire Hermine eut un hochement de tête approbateur. Elle confia à son interlocutrice qu'elle-même appréciait l'artisanat de qualité, et les gens qui se fabriquaient eux-mêmes les outils pour surmonter l'adversité lui semblaient dignes de respect. Puis :

- Tu as besoin d'aide pouя fabяiqueя d'autяes potions ? Je connais les plantes, je peux t'aideя à en tяouveя, et pouя tes pяépaяations, aussi ... On peut en paяleя en chemin, ou ce soiя dans la tente ?

L'aventurière serait ravie d'apprendre la recette de cette préparation somnifère. En fait, à part quelques baumes soignants et sa propre intimité, elle n'avait étonnamment jamais songé mettre ses connaissances en alchimie à profit en combat.


Vëla de Torm les rejoignit sur son magnifique cheval, tout auréolée de lumière. Alors que la cavalière s'exprimait, Hermine détourna baissa la tête, détournant le regard, le temps d'enfiler à nouveau ses verres fumés —et peut-être aussi de cacher le sourire né sur ses lèvres, un sourire dont elle était la première étonnée. Il y avait un je-ne-sais-quoi de méprisant dans l'insinuation que sans ce combat qu'Hermine elle-même n'avait pas voulu, elle se serait automatiquement faite dévorer. Certes, cela restait une possibilité, et c'était toujours stratégiquement rassurant d'être sous-estimée, mais en l'état, la guerrière s'était à peine échauffée ... De plus, cette lumière, si elle persistait, risquait de leur interdire toute approche discrète concernant les ennemies qui les attendaient. Ces deux choses étaient plutôt de nature à irriter l'aventurière. Alors pourquoi voir Velä lui faisait-il ... plaisir ? Elle-même l'ignorait. Mais il semblait se dégager de la paladine quelque chose de pur et d'innocent qui la touchait, à son corps défendant —cette influence surnaturelle-ci manquant quelque peu de subtilité.

Quoi qu'il en était, Hermine décida de se laisser faire pour l'instant. Et en effet, Velä se revela avoir la posture de leader à laquelle elle semblait se destiner pour ce groupe, puisqu'alors que le groupe s'était remis en marche, elle fournit à la guerrière exactement ce qu'il fallait : un rapport détaillé des récents événements. Rapport qu'elle écouta avec grande attention, caressant Biscotte, se contentant de froncer les sourcils ou de poser une question pertinente ici et là, si des détails manquaient ou qu'elle désirait en savoir plus. En réponse, Hermine fit a Vëla la même suggestion : selon elle, il leur fallait aquérir des informations, aussi complètes que possible, tout en gardant à l'esprit le facteur temps.
Concernant les raisons de sa propre présence ici, Hermine tint compte de l'empressement de Vëla, et fit une réponse aussi succincte que possible : elle avait perdu contact avec Sundabar depuis des années, et était ici pour d'autres raisons.

- ... Les Dяagons, entяe autяes ..., se contenta-t'elle de lâcher. À moins que Vëla soit d'humeur aux confidences, les détails semblaient devoir attendre.

Alors qu'ils cheminaient dans la direction indiquée par le géant, Hermine s'était désolidarisée peu à peu du reste du groupe. Elle évoluait en cercles à quelques dizaines de mètres de distance, aux aguets, consciente qu'un assaillant s'en prendrait en priorité à un élément isolé, mais le bruit, et peut-être la lumière, que faisaient certains de ses compagnons était malheureusement nuisible à ses plans. Si une minorité des autres, plus discrets, souhaitaient rester auprès d'elle, elle n'y voyait à l'inverse pas d'inconvénient, de même qu'elle n'en faisait aucun secret, si quelqu'un prenait la peine de l'interroger.

Ce qu'elle cherchait, c'était certains coins de forêt les plus préservés possible. Des endroits davantage à l'abri des regards, abrités, et d'un caractère que certains qualifieraient de "beaux". Au besoin, elle était prête à demander son chemin à certains animaux choisis pour leur connaissance des lieux, comme des oiseaux ou de petits prédateurs, qui voyageait davantage. Ce faisant, elle tentait de se remémorer les paroles d'un certain chant. Un chant de Pouvoir, qu'elle avait entendu de la bouche de quelqu'un de plus vieux, plus talentueux et de plus sage qu'elle-même. Quelqu'un de tellement versé dans les légendes qu'il en était devenu une, capable de chanter pour la Sylve et la Sylphe. Elle-même n'avait aucun talent particulier en la matière, mais elle espérait que sa mémoire suffirait.

Elle n'avait pas l'intention de chanter à tue-tête, mais simplement de témoigner de son respect et d'une connaissance basique des anciennes coutumes. Elle et Biscotte se déplaçaient toutes les deux d'un pas léger, fonctionnant en tandem, attentives à leur environnement, s'aidant l'une l'autre. L'humaine chantait à mi-voix ces paroles lourdes de sens, comme un appel auquel on espérait et redoutait tout à la fois une réponse ...

♬

Une nuit, j'errais seule dans la forêt
Guidée par une musique entêtante
J'ai suivi des lueurs chatoyantes
Qui semblaient s'éloigner quand j'approchais

Comme Elles viens jouer, danser un temps
Dans une ronde magique, un cercle de fées
Ne voulant plus partir, tu resteras à jamais
Là où la vision est brillante comme le printemps

Viens danser la danse des fées
Tourne aussi vite que les pensées
Une fois commencé, la transe t'a pris
Et le monde peut vieillir en une seule nuit.

... Une réponse qu'Hermine se gardait bien de prononcer.
Si la rumeur était fondée, et que les conditions étaient réunies, peut-être que les strophes de l'humaine se verraient complétées par d'autres, prononcées à voix basse, légèrement inquiétantes :

« Ceux qui cherchent nous trouveront
Voyez les signes que nous laissons
Certains sont troublés, d'autres éclairés
Certains sont braves, d'autres effrayés

Sommes-nous gentilles ou vicieuses ?
Nectar empoisonné ou pas ?
Cela, ma douce, tu le verras
Fée ennemie ou fée amoureuse ? »

Source: Gary Stadler & Wendy Rule — Dance of the Wild Faeries (traduction perso)
Hermine et Biscotte: Connaissance(nature), Survie, Représentation, Perception, Furtivité pour trouver au moins une fée. Communication avec les animaux ou Communication avec les plantes (plus vieil arbre du coin? dryade?) au besoin.

Narration

La curieuse compagnie s’éloignait du champ de bataille.
Hermine avait retrouvé son barda, gardé un temps par le cuisinier Ogre, à l’exception de son grimoire et de son épée mais tout le reste y était.
Longer un cours d’eau, même pour d’autres que leur éclaireur et Malo n’était pas compliqué. Il fallait certes se montrer prudent pour éviter les pierres glissantes et les marres plus profondes qu’il n’y paraissait mais la berge tribord était praticable sans trop de difficulté et offrait à la monture de Vëla suffisamment de hauteur que pour ne pas garder tête basse en permanence pour éviter une branche traitresse et à tous, de dévier trop pour éviter un bosquet d’épineux. Mais sans information de distance, il était plus probable qu’ils finissent par les dépasser si elles n’étaient pas installées au bord même de la rivière.

Plusieurs fois, le pêcheur se pencha jusqu’au sol pour repérer des traces et secouer la tête, vaincu par les capacités de Marge et de la Guenaude à se déplacer sans laisser de traces si souvent qu’ils ne devaient plus en faire d’effort conscient. Quand ils en trouvaient, l’un et l’autre, il était évident qu’elles étaient volontaires. Un roseau brisé, une pointe de pied enfoncée dans la boue, un bourgeon écrasé, c’était comme une piste à la mesure de leur talent. A quelques reprises l’odorat de Malo combla les zones sans aucune marque. Il était étrange de le voir sous sa forme humaine dresser le nez au vent.

Juste derrière venait Hermine qui, en souvenir d’un vieil ami, comptait sur l’aide de la sylve.
Elle devait être troublée ou trop concentrée sur sa recherche de traces parce qu’elle avait rarement chanté aussi faux et était beaucoup plus bruyante qu’à son habitude. Aucun Crigg n’aurait vu en elle une amie du Peuple Fée.
Deux bonnes heures étaient passées qu’ils n’avaient plus fait aucune rencontre. Le soleil commençait à décliner sur l’horizon et l’air à se rafraichir. L’humidité aurait tôt fait de leur glacer les os.

Tandis que les jeunes gens se concentraient sur les traces, Hermine trouva un endroit un peu plus dégagé, un espace qui aurait pu convenir pour qu’ils accueillent la nuit.

La guerrière divine sans auréole présente, bien emmitouflée dans sa peau d’ours, suite à la mise à niveau en mettant au courant Hermine de la situation, se mit en position d’écoute attentive. Prenant un soin particulier à saisir les doubles sens, les cachoteries et autre non-dit que pourrait tenter la jeune femme. Vëla sentaient un agacement venant d’elle, ce qui était naturel, sortant à peine d’un emprisonnement, mais quelque chose retint son attention et un soupçon pointait dans l’esprit du paladin. Vëla de Torm n’en laissait pas paraitre son doute, mais peu de temps à la suite des dires d’Hermine, la preux chevalière demandait curieuse et sans épanchement, mais avant tout, comme étant une sœur de phalange, un chef militaire…

-Avant toute chose Hermine, j’ose espérer que votre réponse compendieuse ne cache pas une désertion du bastion, nous somme toute deux des engagés aux marches d’argents, je crois… vous ne m’avez toujours pas dit à quelle phalange vous appartenez. -

De là, le regard de la preux chevalière se fit scrutateur sur la réaction de la marcheuse. Si la paladin était ainsi, c’était simplement du fait qu’elle avait dû, suite à de grande conversation avec les supérieurs du bastion, marchander le fait qu’elle puisse avoir une année sabbatique pour pouvoir retrouver son paternel. Si elle avait eu l’autorisation de le rechercher c’était bien entendu parce qu’elle avait, sans relâche, abattu multiples missions pour les marches d’argents durant les dernières années, allant même jusqu’à passer pour morte dans sa dernière mission. Il y avait eu pourtant une condition à cette recherche, celle de prendre le plus d’information possible sur l’extérieur pour en faire un rapport détaillé à son retour, de rester vigilante et de rester en tout temps paré à répondre à une mission pour le bastion, ce qu’elle ne pouvait pas refuser de par son engagement militaire. Si Vëla était persuadés au début qu’Hermine était ici pour la rappeler au bastion, il en était maintenant différent, cette dernière venait de confirmer que cela n’en était pas le cas.

La preux chevalière se sentait prise entre l’arbre et l’écorce, mais son implication dans les forces militaires comme sœur-ours des marches d’argents faisait d’elle un agent constamment en fonction, elle devait veiller au grain. Maintenant, il lui fallait rester concentré sur leur mission présente et surtout ne pas sauter aux conclusions hâtives aux propos d’Hermine, mais pour elle, lieutenant-colonel de la phalange de l’ours il était clair et précis qu’on ne pouvait pas perdre contact avec le bastion, encore moins pendant des années et cela la tarabustait. *Pourquoi Hermine reste évasive sur le sujet.* Ses pensées furent automatiquement transmises à Abby et ce dernier lui confirmait qu’il garderait un œil avisé et conseillait à sa cavalière de se détendre un peu. Son fidèle ami avait encore une fois raison.

L’ordonné cavalière prit sur elle et commençait à psalmodier silencieusement ses mantras pour puiser plus aisément dans son réservoir Akashique la clarté d’esprit qu’elle avait besoin et se ressourcer des derniers évènements quand soudain, une forme de plainte discordante la sortie de sa méditation. Cherchant ce qui tortuait ainsi sa quiétude, pensant même être arrivé auprès du campement de la guenaude en plein rituel, elle plissait les yeux balayant les alentours pour en savoir davantage, mais vite fait, elle perçut la cause et se détendit voyant qu’il n’y avait pas d’urgence. Par chance qu’il n’y avait pas d’oreilles trop sensibles. Vëla s’autorisait un rire intérieur ne s’autorisant pas une remarque vers Hermine, si elle avait trouvé les derniers moments à la ville avec les filles amusants et distrayant, avec cette dernière elle gardait une gêne. Ce petit intermède lui ravit le moment quand même, cela ferait sans aucun doute, au moment opportun, une excellente anecdote à rire autour d’un feu.

Le temps passait qu’ils se retrouvaient à la fin de la journée, il était clair qu’ils n’arriveraient pas avant la nuit à destination, il leur fallait alors prendre une décision, soit arrêter de suite pour la nuit, soit continuer plus avant et attendre la nuit tomber avant de prendre du repos. Elle leva le bras droit à partir de son coude pour avertir les autres en arrière d’arrêter et sifflotait légèrement pour avertir ceux en avant et …


-Il est encore tôt, mais la nuit s’avance sur nous, souhaitez-vous vous reposer ou continuer encore plus loin pour profiter de la clarté pour suivre les pistes?- Dit-elle sans autorité, mais comme une amie consciencieuse.

La marche avait été longue et relativement silencieuse. Mieux valait faire preuve de prudence dans une forêt qui présentait certains dangers… L'itinéraire qu'ils avaient pris semblait cependant très calme et même les chants d'Hermine n'avaient pas attiré âme qui vive. Le Maquar n'avait pu s'empêcher de se demander si cette quiétude était normale ou si elle résultait du passage de créatures qui avaient effrayé la majeure partie des habitants de la forêt.

Malo s'était montré très efficace en tant que guide et avait suivi une piste extrêmement difficile. A vrai dire, Sahadeva se réjouissait au plus haut point de sa présence dans le groupe. Son arrivée, conjuguée à celle d'Hermine, les renforçaient considérablement. Il n'avait par ailleurs pu s'empêcher de remarquer que Sylaruil et Tijak avaient considérablement gagné en assurance, en acquérant de plus en plus d'expérience... Et il en était de même pour Sail, même si elle se tenait, comme à son habitude, plus en retrait.

Au bout d'une longue marche, Vëla s'était interrogée sur l'opportunité d'établir un campement avant que la nuit ne tombe. Le guerrier d'Estagund réfléchit à la question, l'équation n'étant pas facile à résoudre. Au bout d'un moment, il finit par répondre :

- Je ne prendrai ma décision définitive que lorsque Malo et Tijak se seront prononcés, ce sont eux qui visualisent le mieux ce que les environs nous réservent. Mais, si c'est possible, je pense que nous ferions mieux de nous arrêter. La journée a été rude et préparer un campement que nous serons en mesure défendre éventuellement prendra un certain temps, autant ne pas le faire dans le noir. Poursuivre jusqu'à la tombée de la nuit me semble dangereux… même si ne pas avancer signifie perdre un temps précieux pour notre poursuite…

Tel était le dilemme. Poursuivre malgré l'humidité ambiante et ses plaies à peine cicatrisées n'était pas impossible, mais continuer dans l'obscurité et jusqu'à l'épuisement lui apparaissait comme très périlleux.

Hermine avait décidément un sacré caractère. En quelques minutes elle avait pris une place importante dans les échanges et dans la direction du groupe. Elle était avenante et force de proposition, et au vu des relations qui liait certains membres du groupe à elle, la confiance était de mise.

- Malheureusement, les elfes ne peuplent pas ces bois. Au Sélénae il n’y a quasi plus qu’un endroit où mon peuple habite. Il y vit en paix mais s’est aussi renfermé sur lui-même. Pour ce qui est des fées, seule la chance pourra nous indiquer leur présence. Ces petits farceurs pourraient bien être d’une grande aide, mais ce sont de chevronné blagueur qui peuvent nous faire tourner en bourrique !

Amusée à l’idée d’une telle rencontre, Sylaruil retrouva le sourire. Elle alla mettre une main sur les épaules de Sail pour lui dire d’un ton léger.

- Si elle doit me remercier, alors je dois te remercier en retour ! Je n’ai fait que lancer la fiole que tu as pensée, concocté, amenée et que tu m’as offerte pour cette rencontre.

Ravi que Vëla propose une reprise de la route rapide, Sylaruil hocha la tête. Autant elle n’aimait pas toujours son attitude maternaliste, autant elle aimait son goût pour l’action et pour le défi. Elle était un peu perchée ou portée par sa foi, mais Sylaruil avait le même goût du risque appuyé sur sa confiance dans le féerique.

Après un long moment à arpenter la forêt, à longer les ruisseaux la nuit tombait. Sylaruil aurait bien pu continuer, mais le rythme était éreintant et une bonne rêverie lui remettrait les idées d’aplombs. Et avec une pointe de pitié elle pensa aux humains qui allaient devoir s’endormir profondément. À cette pensée, Vëla proposa, sans imposer pour une fois, de poursuivre ou de faire une pause. L’elfe du soleil levant répondit avec calme :

- Je suis disposée à poursuivre, mes forces me permettraient de continuer encore quelques temps, mais il faut que nous nous sentions tous de le faire.

Si le groupe repartait, Sylaruil entamerait une chanson entrainante, pour redonner du rythme à leur pas. Si possible un chant humain pour que tous puissent suivre et chanter avec elle. S’il s’arrêtait il privilégierait une mélodie musicale au violon.