Chapitre 1 : L'astre Pourpre

La Dragonne s'avança et jeta un œil à la cage. Elle regardait si, par hasard, la serrure ou les gonds étaient suffisamment faibles pour être arrachés. Ce n'est qu'ensuite que ses yeux reptiliens se posèrent sur l'homme.

Ses doubles pupilles terminaient de s'adapter à la pénombre et, certainement, le mulan se sentit il scruté profondément. Mais malgré son obédience et ses voyages, Serana n'avait jamais mis le pied en Mulhorande. Aussi, et même si elle notait les étranges sonorité du nom du prisonnier, elle ne put en déduire quoique ce soit. Pas plus d'ailleurs qu'au symbole qu'il portait et qui la fit se morigéner pour la énième fois sur son absence de culture ecclésiastique.

Ce qui ne l'empêcha pas, par ailleurs, d'observer l'homme sous toutes les coutures pour déceler une éventuelle menace. Elle ne put guère remarquer autre chose que le foncé de sa peau, et le fait que celle-ci soit burinée, comme celle d'un paysan.

Elle finit par reculer d'un pas et, croisant les bras, répondit au prêtre :

- Et bien, Maakhérou - je le prononce certainement mal - il ne fait aucun doute que vous soyez dans une cage. Mais avant de vous répondre, profitons de votre enfermement pour décider de nos rapports. Enfermé, certes, mais cela ne prouve ni que vous y soyez contre votre gré, ni que vous soyez notre allié. Je pourrais vous raconter une histoire avec un duo de succubes...

Un sourcil dubitatif levé, elle fixa l'homme sans le moindre sourire. Le sang du troll maculait toujours son armure et ses écailles.

L'examen de Reïlo n'avait pas été totalement satisfaisant. Le disciple d'Oghma n'avait en effet pas pu déterminer l'origine de Mâakhérou. Il n'était originaire ni des Vaux, ni de Damarie, il était certain de cela, mais il aurait été incapable de dire s'il venait des lointaines contrées du Durpar, d'Halruaa ou de Calimshan.

Malgré cela, l'humain semblait relativement sincère et sa captivité témoignait du fait qu'il n'était pas en bons termes avec leurs ennemis. Le médaillon sacré de Maakherou constituait un autre indice rassurant, quoiqu'intrigant : Blanche Flamme était sûr d'avoir reconnu un nain barbu couronné : Vergadain, divinité du commerce au sein du panthéon nain.

¤ Pourquoi donc un humain vénère-t-il donc un dieu nain ? Enfin, Vergadain n'est pas maléfique, bien loin d'Orcus... C'est un autre indice de sa bonne foi, il pourrait s'avérer utile d'en faire un allié… ¤

Serana avait parlé durement, mais sa prudence était justifiée. Ils étaient allés de mauvaise surprise en mauvaise surprise depuis qu'ils pourchassaient cette bande de créatures difformes. Mieux valait donc agir avec circonspection.

Néanmoins, les maigres indices qu'il avait récolté incitèrent le demi-drow à se montrer plus cordial :

- Je suis Blanche Flamme et nous avons probablement combattu ceux qui vous ont enfermés, pour nous frayer un chemin jusqu'ici. Mais il est vrai que votre présence en ces lieux est étonnante : que fait donc un disciple de Vergadain dans un tel endroit ?

'il devait être honnête, et Mirtzar devait être honnête, l'exploration de la caverne des brigands avait été une suite de surprises qui dépassait de loin son imagination. Même si le nain d'or devait aussi avouer qu'il n'avait aucun devoir d'être imaginatif, le Mordinsamman soit loué. Et, comme cela faisait maintenant plusieurs minutes qu'ils n'avaient pas vraiment été menacé de mort, et que la dernière menace s'était montrée plutôt insignificante, il s'attendait presque à ce qu'Orcus se trouve dans la pièce de l'autre côté de la grille. Même s'il n'avait aucune idée de qui Orcus était ou de ce à quoi il pouvait bien ressembler.

Le fait que la petite pièce qu'il trouvèrent soit particulièrement banale, sans parler du mobilier décrépi, ne fit que le rendre plus nerveux encore. Une rapide seconde d'introspection lui fit réaliser qu'il avait encore été surpris par ce qu'ils avaient découvert et qu'il ne s'agissait donc pas d'une preuve qu'il était en train de rêver ou d'halluciner leur expédition.

Cela dit, les deux autres pièces semblaient plus intéressantes. Comme ses compagnons, le prisonnier l'intéressait plus que le livre, même s'il était un rien surpris que cela soit le cas de Blanche-Flamme. Comme d'habitude, le compagnon des Marches d'Argent décida qu'il valait mieux laisser aux têtes pensantes le soin de s'occuper des introductions, des interrogations et autres palabres. Mais il était clair que ces derniers lui avait laissé le soin de, au moins, prononcer son nom et il accepta donc cette tâche.

-Mon nom est Mirtzar.

Une partie de l'esprit de Mirtzar réagit, encore une fois lentement, aux propos de ses compagnons. Cette partie était fort intéressée par le récit de la rencontre de la Dragonne avec un couple de succube, d'autant plus qu'il n'était pas certain de savoir ce qu'était une succube. Une partie, un chouilla plus importante, était aussi intéressée de savoir qui se retrouvait enfermé dans une cage au fin fond d'une caverne peuplée de voleurs visiblement victimes d'une malédiction de son plein gré. Enfin, la majeure partie de son esprit s'attacha au fait que Blanche-Flamme semblait avoir décidé que le prisonnier était un Hurndor. Cela semblait être ce qu'il y avait de plus surprenant dans cette pièce et cela dépassait, de très loin, les capacités d'imagination de Mirtzar.

Reïlo Blanche Flamme, Serana & Mirtzar Boucledacier

Reïlo, Serana, Kvoth & Mirtzar
L’homme eut l’air surpris de la remarque de Reïlo et instinctivement, rangea son médaillon dans l’encolure de son vêtement. Il se releva avec peine et se rapprocha des barreaux usés pour mieux observer ses interlocuteurs.

- C’est arrivé il y a plusieurs mois… L’isolement m’empêche de dire quand exactement. J’ai été poursuivi et attrapé par ces bandits. Ils se sont saisis de moi, avant de me ramener dans leur repaire. J’ai vécu de nombreuses semaines d’angoisse, malmené par ces dégénérés, en attendant de savoir quel sort me serait réservé.

C’était un homme grand, à la peau sombre, un nez épaté, un menton fuyant et des lèvres charnues. Le visage marqué par la privation et ses rudes conditions de détention.

- Je ne dois ma survie qu’à mon érudition. Je devais traduire des ouvrages, déchiffrer des cartes anciennes, reconnaitre les objets enchantés et la nature magique dont ils étaient imprégnés. Sans doute des biens mal acquis…

Son regard se porta tour à tour vers chacun de ses visiteurs. Dans ses yeux sombres, on pouvait lire de la crainte, de la peur, mais aussi une lueur d’espoir au milieu d’un océan de résignation. Visiblement sincère, il était difficile de ne pas prendre ce pauvre homme en pitié.

- Mais, je vous en prie… je suis las… allez-vous… allez-vous m’aider à me sortir de ce trou insalubre ? La clé se trouve juste à côté, accrochée au seuil de la porte.

Ainsi donc Maakhérou se présentait comme un érudit, voilà qui touchait Reïlo qui s'imaginait pouvoir vivre pareille mésaventure : seul, à la merci de créatures vicieuses et sans l'aide de ses compagnons, il serait probablement dans un état nettement plus pitoyable encore.

Il comprenait fort bien la lassitude que le prisonnier devait éprouver et estimait peu probable qu'il constitue une menace. Mais pouvaient-ils se permettre le moindre doute ? On ne pouvait exclure aucune possibilité et le demi-drow était déçu que le prisonnier n'ait pas pris le temps de répondre convenablement à leurs questions.

Il insista :

- Nous n'allons pas laisser un innocent aux mains de ces… créatures. Mais vous feriez mieux de répondre à nos questions si vous voulez nous convaincre de votre bonne foi...

Se relâchant quelque peu, l'Oghmite ajouta avec une certaine compassion :

- Pas besoin de nous retracer toute votre vie, mais nous aimerions savoir ce qu'un étranger est venu faire seul dans cette région dévorée par le froid. On n'atterrit pas ici par hasard, et nous le savons mieux que quiconque...

Reïlo Blanche Flamme, Serana & Mirtzar Boucledacier

Reïlo, Serana, Kvoth & Mirtzar
L’homme s’arrêta en plongeant ses yeux dans ceux du prêtre d’Oghma. Une expression figée marquant sa perplexité. Il détacha lentement ses doigts des barreaux de fer, les yeux écarquillés sur le métis Elfe noir. Ce dernier n’était pas facile à convaincre. Alors, le captif eut l’air de réfléchir un court instant, choisissant soigneusement ses mots, car une mauvaise réponse.

- Je suis originaire de la lointaine Mulhorande. Un ecclésiaste sans paroisse. Mes fonctions concernent le commerce et l’économie. J’avais l’intention de rejoindre une cité minière située le long de la chaîne des Galènes, au Nord d’Héliotrope se trouve Féreperon : des comptoirs, des guildes et des mines d’argents. Ainsi, de caravanes en caravanes Naines, jusqu’à rejoindre cet endroit isolé…

Les mots s’achevèrent doucement, comme si la suite faisait évidence avec les informations fournies précédemment. Une réflexion, une question. En regardant ses deux autres interlocuteurs, l’homme sembla retenir quelques mots avant même qu’ils ne sortent de sa bouche charnue. Il se ravisa, secoua légèrement la tête en soupirant et attendit que l’on statut sur son sort.

endant que Blanche-Flamme faisait preuve de sagesse en interrogeant le prêtre dans sa cage, Mirtzar avait commencé à en observer la porte et, plus particulièrement, la manière dont elle était maintenue close. L'une des rares choses dont il était fier était sa capacité à modeler les métaux selon son désir mais il avait pour habitude de travailler sur des objets moins sophistiqués. Ainsi que de chercher à construire plus qu'à détruire mais il supposait que son marteau ne verrait sans doute pas de problème avec cette application de son poids.

Idéalement, le nain d'or aurait utilisé une clef pour ouvrir la cage mais la seule qui se trouvait à proximité de main était celle ouvrant le portail et il avait un sérieux doute que celle-ci soit aussi adaptée à la serrure de la cage. Même la plus rapide des inspections était suffisante pour lui confirmer que, pour cette fois, son intuition était correcte. Le marteau semblait donc être la meilleure solution.

Il en était à ce point de ses pensées quand le prêtre mulhorand commença à décrire de manière succincte le voyage qui l'avait conduit dans cette caverne. Mirtzar réalisa qu'il avait manqué une bonne partie de l'échange entre les deux adeptes religieux et, dans un effort de mémoire dont il ne se croyait pas vraiment capable, il essaya d'en retracer la teneur. C'est ainsi que l'information concernant la clé manquante lui parvint et qu'il réalisa que son marteau n'allait pas être nécessaire. Il se saisit donc de la clef et ouvrit la porte à leur nouveau compagnon.

-Une paire de mains additionnelle sera la bienvenue. Est-ce que vous êtes capables de vous défendre? Il n'est pas impossible que les habitants habituels de cette grotte ne décident de rentrer au bercail avant que nous ayons quitté les lieux.

Les réponses de Maâkhérou semblaient sincères, à défaut d'être vraiment éclairantes. Mais le temps pressait et ils auraient tout le loisir de discuter plus tard.

L'Oghmite se proposait de libérer sans plus tarder le prisonnier et s'était tourné vers ses compagnons, afin d'obtenir leur assentiment. Il constata que Mirtzar était déjà occupé à chercher la clé qu'il pensait aller lui-même quérir, ce qui signifiait qu'il partageait son point de vue sur la question. Blanche Flamme laissa faire son compagnon pour se tourner vers leur autre découverte.

Sans se presser, il avança prudemment vers la seconde ouverture et s'approcha du pupitre sur lequel trônait un livre ouvert, visiblement important.

¤ Qu'est-ce donc là ? ¤

Le livre l'intriguait tout autant que le prisonnier, sinon plus. Il se demandait ce que ces créatures difformes pouvaient bien lire, ce qu'elles tenaient en si haute estime pour le placer en valeur de cette manière.

Sans encore toucher le livre ou se risquer à tourner ses pages, il se mit à l'observer. Il s'attacha d'abord à étudier les pages ouvertes, afin de déterminer l'écriture et la langue utilisées, et si possible de contenu des deux pages du livres. L'étude de la calligraphie pourrait aussi sans doute lui en apprendre beaucoup sur la provenance, la nature et la date de confection de l'ouvrage.

Il s'arrêta ensuite un instant sur ce qu'il pouvait entrevoir de l'aspect matériel du livre : son format, son nombre de pages, la matière à partir de laquelle celles-ci, sa couverture et sa reliure avaient été confectionnées.

L'érudit prit ensuite un peu de temps pour étudier le promontoire sur lequel reposait le livre. Les deux étaient-ils liés d'une certaine manière ou l'utilisation du promontoire était-elle purement pragmatique ?

Reïlo espérait bien que les milliers de journées qu'il avait passées à lire dans des bibliothèques l'aideraient à appréhender la nature du manuscrit.

Reïlo Blanche Flamme, Serana & Mirtzar Boucledacier

Mirtzar
Mirtzar ne fit que cinq pas pour rejoindre le seuil de la porte afin de retirer le trousseau de clé suspendu au mur. Après quelques essais, il trouva le bon ustensile pour déverrouiller la serrure d’un mouvement de poignée. Sans se précipiter, le prêtre s’inclina humblement face à ses sauveurs. Visiblement d’un naturel calme, l’homme conservait une certaine âpreté malgré les terribles événements qu’il avait subi. Une force de caractère que le guerrier Nain était capable de reconnaitre et d’estimer.

- Je suis un piètre combattant, je dois l’avouer, mais je sais par quel bout tenir une épée. Disons que je possède surtout quelques talents pour détecter le Malin, les poisons, les revenants et plus généralement, la magie. Je ferais de mon possible pour vous soutenir.

Le prisonnier si longtemps détenu sorti de la cage en se dégourdissant les membres et cherchant quelque chose du regard, il reprit :

- D’ailleurs, mes affaires doivent toujours se trouver dans les parages.

En effet, au fond de la salle se trouvait une petite table encombré d’un tas d’affaires désordonnés. Morgenstern, une targe simple, un heaume, un sac, une tenue polaire et une armure ouvragée, semi-rigide avec des lacets de cuir.
Après s’être assuré de pouvoir s’équiper à nouveau, s’accordant avec son sauveur d’un simple hochement de tête. L’homme se permit d’adresser quelques mots à Mirtzar à voix basse :



Tout en revêtant son armure, il continua de parler sur le même ton :

***

Reïlo Blanche-Flamme
Le prêtre d’Oghma revint sur ses pas pour inspecter la seconde salle. Une pièce carrée sans fenêtre, des murs bâtis de larges pierres grises et deux lanternes de chaque côté où était suspendu deux lanternes dans lesquelles crépitaient des feux sans fumée avec des reflets bleutés. Au centre de cet espace se tenait un promontoire en bois au pied sculpté représentant des pattes bestiales griffues.

Le livre grand ouvert était un épais ouvrage très finement relié. Le cuir semblait impeccable et huilé. Des renforts métalliques en laiton sur les bords. Du papier fin, d’un blanc cassé, sans doute du chanvre vieilli. Un épais morceau de velours rouge servait de marque-page au centre. A l’intérieur, une large calligraphie runique et nordique inscrite à l’encre noire (sans doute du Damarien) et des croquis finement détaillé représentant des symboles étranges et une silhouette bestiale, dégingandée, pourvue d’ailes, des yeux exorbités, de grandes dents. Très bien dessiné, bien ombragé, un talent sérieux sur ces œuvres d’art. Une imagerie fascinante.

Sa première inspection ne lui révéla rien de pertinent, outre le fait que cet ouvrage devait être régulièrement utilisé. En effet, la plupart des meubles étaient couverts d’une fine pellicule de poussière mais le livre était propre, probablement entretenue.

La dragonne avait laissé faire. Elle se méfiait du nouveau venu, mais il pourrait être utile vu le peu de ressources qu'il leur restait. Ses yeux le suivait, sans chercher à cacher la surveillance, prévenant bien le prêtre de ce qui pourrait lui arriver si jamais il essayait la moindre traîtrise.

Elle posa un œil sur les découvertes de Reïlo avant de chercher quoique ce soit de plus intéressant dans la salle. Elle finit par retourner vers la porte, se demandant ce que faisait le rôdeur tout en faisant le guet.

- Demi-elfe noir et dragonne elfe, mon garçon. Mais je ne suis pas sur que ce soit plus étonnant qu'un mulan en pleine steppe froide et qu'un nain qui répugne à mettre une beigne à un troll. Bref, tu as trouvé quelque chose, Makherou ?, elle restait dos aux autres, que disaient les ouvrages ? A quoi servaient les objets ? Et d'où est ce qu'ils sortaient. Il manque encore des pièces dans cette affaire. Vous connaissez un peu la politique du coin ? On a pas le moindre levier de discussion avec eux, vu qu'ils sont tous plus au fait du bordel ambiant. Pas si débiles qu'elles n'y paraissent, les gueules cassées.

Malgré tout, elle ne pouvait pas s'empêcher de conserver une certaine pitié pour leurs adversaires - le troll mis à part - et cela s'entendait dans ses derniers mots. Pas la pitié qu'on peut avoir face à un prisonnier que l'on hésite à exécuter, non. Cette impression que les étoiles s'acharnaient contre eux, au point qu'ils en veuillent à l’entièreté du monde. Elle se souvenait de sentiments similaires, des années plus tôt quand son héritage, pourtant moins visibles qu'aujourd'hui, lui attirait des quolibets, même de la part de "nobles" elfes.

Quelque chose en elle espérait toujours pouvoir les sauver.

- Je ne suis pas sur qu'on soit en mesure d'opposer une résistance efficace à d'autres dans le genre de celui qu'on vient d'assommer si ils reviennent effectivement en quantité. Soit on doit se reposer, soit il faut aller chercher des renforts. Même si vu ce que j'en ai vu, je suis pas sur qu'il y ait beaucoup de renforts à trouver dans le Damara.