Le camp gobelin, La libération d'Arus

MJ
Les aventuriers cheminaient prudemment sur la piste les conduisant à Haute-Garde. S'étant rencontrés la veille à l'auberge où tous s'étaient arrêtés pour la nuit, les discutions auprès du feu les avaient amenés à se découvrir au moins un centre d'intérêt commun : leur destination proche. Tous avaient résolu d'aller explorer les terres sauvages du nord, chacun pour ses raisons propres, et leur but immédiat était le bourg voisin, à quelques jours de marches.

Des rumeurs d'une guerre opposant deux seigneurs d'une même famille pour le contrôle de ce petit territoire étaient bien parvenues mais : "Tant qu'y s'tapent sur la gueule entre eux, sans v'nir chez nous." Comme l'avait rapporté, d'une voix pâteuse, un client passablement aviné...

D'un commun accord, ils avaient donc décidé de faire ce bout de chemin ensemble. Les contrées alentours, bien que partiellement civilisées, restaient tout de même encore dangereuse et un petit groupe courait moins de risque qu'un voyageur isolé. Aucune menace sérieuse n'était néanmoins à redouter, quelques patrouilles de gobelins ont bien été signalées mais réalité ou simple rumeur? L'aubergiste avait été bien en peine d'être affirmatif. Il ne faisait que rapporter des bruits colportés par ses visiteurs et clients.

Ainsi donc, depuis le matin, le petit groupe avançait dans un calme relatif. Aucun incident n'avait, pour le moment, troublé leur progression. Les renseignements obtenus à l'auberge sur la géographie alentour étaient restés très vagues. On leur avait bien cité quelques hameaux de fermiers et de chasseurs ou forêts de faibles étendues existant dans la campagne environnante, sur la route menant à Haute-Garde, mais sans avoir pu les situer de façon très précise.

La journée était bien avancée et le soleil amorçait sa descente. Devant eux, la piste suivie quittait le découvert des collines verdoyantes pour s'enfoncer dans une petite forêt.

epuis qu'elle avait fait la connaissance de ses compagnons de voyage, Hrthrod était demeurée peu causante. Non habituée à la promiscuité d’autant de gens qui lui étaient si étranges, elle tentait de se sociabiliser et d’en apprendre plus sur leur manière d’être. D’une intelligence vive malgré le côté rude de son aspect, elle évoluait rapidement.

Bien emmitouflée dans son épais manteau elle lorgnait du coin de l’œil les frondaisons des arbres qui, au loin, signalaient la présence du Boilune. Native de la région, elle ne connaissait que trop bien les histoires et les mise en gardes qui se racontaient dans les froides cavernes du nord abritant les clans orques. Des récits de créatures sauvages mi-humaines, mi-animales et d’autres monstruosités sans nom faisaient dresser les poils de plus d’un fils de Gruumsh. Lorsque le groupe avait décidé de s’unir pour traverser les territoires des Marches d’Argent, comme les appelaient les hommes, elle avait tut sa connaissance de la région. Hrthrod préférait garder une réserve envers ces inconnus pour l’instant.

A l’approche de l’orée de la forêt, sa nervosité intérieure s’amplifia. Elle ramena sa lourde crinière de jais en une queue-de-cheval, dégageant bien ses oreilles afin de ne rien perdre des bruits alentour. Serrant maintenant son imposante hache de ses deux mains, écartant un pan de sa fourrure afin de gagner en mobilité, elle prit insensiblement la tête de la petite équipée sur le sinueux sentier… Elle serrait les dents et sourit. La jeune femme était prête à taquiner les légendes.

rayback avançait silencieusement, jaugeant ses compagnons du regard. Il s'était habitué à voyager seul, parcourant les terres à son rythme et s'arrêtant de ci, de là dans des villes ou des hameaux, discutant avec les habitants, se renseignant sur la géographie des lieux... Cela faisait longtemps qu'il n'avait pas foulé ces étendues, et bien malgré lui, il se félicita d'avoir trouvé un groupe avec qui voyager, car sa connaissance de la région n'était plus ce qu'elle fût...

Tout semblait avoir changé. Même les habitants n'étaient plus les mêmes : bien sûr, dans ces contrées du nord, les autochtones étaient habitués à vivre durement, mais dans l'auberge où il avait rencontré ses nouveaux camarades, il avait remarqué le pli soucieux qui barrait le front de ceux qui n'avait pas encore assez bu... Les gens paraissaient nerveux, et moins enclin à en parler...

Son regard se posa sur la jeune guerrière humaine. Quel nom avait-elle donné? Hrtrod, lui semblait-il. Une femme à l'air solide, non dénuée d'un certain charme... Et qui, mine de rien, commençait à prendre la tête de la petite troupe... Grand bien lui en fasse, pensa Grayback. Il lui laissait le plaisir de les diriger : il s'en sentait lui-même incapable! Et si les autres acceptaient de la suivre, et bien... il serait le premier à la soutenir, car elle semblait plus sûre d'elle que la plupart de ses autres compagnons.

S'apercevant qu'il formait l'arrière garde de la bande, il jeta un regard en arrière. Rien, ni personne n'était en vue. Il accéléra un peu le pas, et régla sa vitesse à celle des autres pour ne pas se laisser distancer. L'heure n'était plus à la promenade. Il fallait avancer!

e groupe cheminait en direction du petit bois. Les sens aux aguets, la jeune femme inspectait des yeux chaque buisson bordant le sentier. Elle ne savait que trop bien les dangers qui risquaient à chaque instant de leur tomber dessus comme un couperet sur leurs nuques. Les hordes gobelines infestaient les vallées de la Rauvin, et les clans orques pullulants y avaient tout loisir d'y chasser impunément.

Nerveuse mais tachant de ne pas le montrer extérieurement, Hrthrod tourna la tête vers leurs arrières. L'homme qui se disait être un magicien fermait la marche. Bien que cet homme sembla frêle et de nature à ne pas supporter une bonne claque sur la figure, elle le respectait avec crainte. Les chamans de sa tribu étaient redoutés pour leurs puissants sortilèges. Nombre de victoire furent remportées grâce à leur soutien. Seul quelqu'un de stupide ne pouvait pas tenir compte de cet avantage. Hrthrod se concentra à nouveau sur le chemin, bien décidée à protéger cet allié au faible physique.

epuis qu'il avait fuit Halruaa, Kyron ne s'était jamais retrouvé aussi au nord des terres connues, et il faisait de gros efforts afin de supporter le climat rude de ses régions. Néanmoins, pour la première fois depuis qu'il avait débarqué à Eauprofonde, après avoir navigué sur l'Amarys durant de longs mois, il se sentait intégré dans un groupe. Certes, il n'avait pas encore eu moult occasions pour entamer la discussion avec ses compagnons, se contentant d'observer.

Il redoutait encore que quelques mages inquisiteurs d'Halruaa soit à sa recherche. Aussi, il avait de suite remarqué le dénommé Grayback, mais il ne ressemblait pas à un mage d'Halruaa. Gardant un oeil discret sur lui, il s'était placé au milieu du groupe, tandis que Hrthrod prenait la tête du petit groupe. Il lui semblait qu'elle connaissait bien la région et son assurance le rassurait. Aussi entreprit-il de la rejoindre en tête de la troupe afin de rompre le silence qui régner au sein de la petite compagnie et d'en apprendre un peu plus sur elle et sur la région.

- Vous semblez parfaitement connaître ces terres, Dame Hrthrod? A moi, elles me sont totalement inconnues. C'est vrai qu'en Halruaa, nous vivons un peu renfermé sur nous même et qu'il n'y a que quelques mois que j'en suis parti.

oujours attentive, elle tourna la tête vers l'homme qui s'était nommé Kyron. Lui aussi semblait posséder quelques talents magiques comme un magicien, mais il parut qu'il accordait une certaine importance au fait qu'il y eut une distinction entre eux... Avait suivi une longue discussion fastidieuse dans l'auberge où le petit groupe s'était formé. Pour Hrthrod peu lui importait ces différences. Elle devait être pragmatique et retirer l'essentiel des circonstances s'ils désiraient survivre dans les Marches.

Bien que la conversation ne fut pas son fort et qu'elle fut concentrée, la jeune femme se souciait de garder une bonne entente indispensable, aussi se força-t-elle à répondre à Kyron. Sa voix était étonnement gutturale...

- Je ne vois pas de "Dame" ici, compagnon. Seulement un guerrier qui tentera de ne pas nous envoyer droit à la mort... Je connais l’endroit et on s'y perdrait plus vite qu’on pourrait le dire... Sans parler du reste. Quand à cet endroit dont vous parlez, Halruaa, c’est cela? Je ne le connais pas. Sachant qu’elle allait le regretter, elle demanda : "Et, c’est loin?"

yron sembla surpris du ton 'masculin' de la belle guerrière, mais lui répondit sans hésitation, trop heureux de pouvoir enfin parler à une personne sans avoir peur de qui elle pouvait-être.

- Halruaa est en effet fort loin de ces contrées, à plus de trois mille kilomètres au sud. Une imense steppe, avec un lac au centre et entourée d'une barrière montagneuse. Vous pouvez aisément vous imaginer que son climat y est très différent d'ici. C'est une terre de magie, dirigée par les seigneurs mages où tous semble facile à qui possède le 'don'. Après quelques secondes à réfléchir, les yeux rivés sur les arbres qui se découpaient à l'horizon, le jeune sorcier continua. "J'avoue que je suis heureux de voyager parmi vous et de découvrir le monde... en compagnie d'amis."

Voyant le demi-orque arriver à leur hauteur, Kyron se dit qu'il valait mieux qu'il regagne le milieu du groupe. En cas de problème, il serait plus utile à cet endroit pour lancer quelques sorts ou utiliser son arbalète, tandis que les guerriers resteraient en première ligne, plus à même de se battre au corps-à-corps.

- Je vous laisse mes amis, je retourne un peu plus en arrière, on ne sait jamais. Dit-il en réajustant son large capuchon sur sa tête.

rthrod écoutait l'homme Kyron parler. Il était de bonne compagnie mais semblait avoir la langue agitée durant les voyages. Acceptant sans sourciller qu'il continue, elle tentait de garder son attention intacte.
Cette terre dont il lui parlait, lui paraissait être un endroit terrifiant. Elle commençait à entrevoir les raisons qui auraient pu faire quitter son pays à ce jeune mâle.

- Espérons que se ne soit pas trop de monde qui nous découvre... Finit-elle par lâcher dans un souffle. Bolthörn, peu habitué à la compagnie d'humain, préferait rester en retrait du groupe et fermer la marche, comme à son habitude il était cagoulé, pour éviter d'attirer l'attention sur sa personne.

Tandis que Kyron lui parlait, Hrthrod pensait à la formation du groupe. Peut-être était-elle rendue plus nerveuse à cause de ce grand sang-mêlé orque qui les avait rejoint. Elle ne connaissait que très peu de lui, et c'était justement cela le problème : d'où venait-il? Que recherchait-il? D'un côté sa présence en cas de coup dur serait réconfortante mais dans un autre sens c'était l'inconnue. Un demi-orque sur la terre des Hordes... Tout demeurait possible!

- Pressons le pas, dépêchonor noum'or! Laissa échapper Hrthrod à l'attention de Bolthörn. Ce dernier parut surpris de voir qu'elle connaisait le langage orque, il se rapprocha d'elle.

Lorsqu'elle sentit que Bolthörn avançait dans le groupe pour venir à la tête, elle se mordit profondément la lèvre inférieure. ¤Par tous les diables¤. Le goût du sang dans sa bouche lui rappela avec amertume qu’elle avait agit trop promptement avec lui. Perdue dans ses pensées, elle était inconsciemment venue à user de l’idiome orque. Hrthrod se maudissait de cette imprudence. Elle fit un signe d’acquiescement à Kyron qui semblait peu désireux de gêner et qui reculait à l’approche du sang-mêlé. La guerrière ne savait par trop bien que les rivalités fratricides de clan orques pouvaient être aussi sanglantes que les guerres contre les non fils du seigneur Borgne. Son esprit tournait à toute vitesse, cherchant une solution à son embarras.

Soulevant fort sa poitrine, sa voix se fit le plus grave possible en s’adressant au guerrier arrivant. Elle ne tournait pas la tête vers lui. "Je suis originaire de la région l’ami. Dans le Nord, on a beaucoup l’occasion de rencontrer des gens de ton espèce. Je maîtrise quelques mots de dialecte."

Sous le manteau, ses poings se serraient nerveusement sur le manche de son arme. Elle appréhendait une réponse même si elle faisait tout pour n’en rien montrer. "Mieux vaut être attentif à la route." S’empressa-t-elle d’ajouter, tentant de stopper la conversation.

rêle silouhette si discrête qu'on vient rapidement à en oublier sa simple présence, Nialëanne accompagne le groupe depuis la sortie de cette établissement dans lequel les autres ont décidés de faire route commune. Les membres les plus attentifs du groupe auront pu l'apercevoir seule à une table, sirotant un verre d'eau fraiche avec pour seul compagnon le bel arc qu'elle tient à présent en main.

Muette ou passablement intimidée, nul n'a pu entendre le moindre mot sortir de sa bouche depuis le début du trajet, elle ne semble d'ailleur pas vouloir s'intégrer à la joyeuse compagnie, marchant sur le flanc droit de celle ci à quelques mètres de distance, son pas leste semblant s'accoutumer sans mal aux sols irréguliers.

Son regard brillant de vivacité alterne entre le groupe composé majoritairement d'humains et les alentours pour le moins rassurant. Malgrès qu'elle ne dépasse pas la taille d'un enfant humain de 8 ans, aucune peur ne se lit dans l'éclat bleuté de ses yeux, et ses des doigts fins mais assurés qui maintienne en place la fléche à l'empenage roux sur le bois sculté de l'arc. Bien que nul ne connaisse son nom, ses objectifs ou ses intentions, elle semble bien décidé à faire ce bout de chemin avec les voyageurs, à distance raisonnable tout de même, surement plus à l'aise ainsi.

entement, le groupe progressait. Grayback avait conscience de la chance qu'il avait eu d'être présent lors de la formation de ce groupe hétéroclite... Mais il se disait que contre une bande organisée, ils ne feraient peut-être pas le poids. Il n'y avait aucune entente dans le groupe, aucune complicité, et cela pouvait être décisif dans un combat. La plupart se méfiaient du sang-mêlé, et bien qu'il les comprenne, il ne les approuvait pas. Ses longs voyages lui avait appris une chose : on trouvait des crapules et des honnêtes gens chez toutes les races peuplant Fâerun, et même si il était curieux de savoir ce qui motivait ce Bolthörn, il ne se permettait pas le droit de le juger, pour l'instant du moins.

Mais si une personne l'intriguait plus encore que le demi-orque, c'était la jeune Elfe des bois qui faisait tout son possible pour rester à l'écart. Bien sûr, personne ne bavardait dans le groupe, et on ne pouvait vraiment pas parler de franche camaraderie, mais elle ne s'intégrait même pas physiquement au groupe, et se tenait délibérément loin de tous. Pourtant instinctivement, il se doutait qu'on pourrait compter sur ses talents en cas de lutte.

Il bourra sa pipe tout en avançant, toujours en arrière garde. Un silence étrange régnait sur la forêt, que le froid expliquait peut-être... ou peut-être pas. Attentif, il tira sur sa pipe et regarda le ciel un instant. Resserrant de nouveau sa cape dans un mouvement presque naturel, le magicien accéléra un peu. Vivement Haute-Garde, pensa-t-il.