Chap.1 L’ombre et la lance

Eléasis (VIII) 1373, 2ᵉ chevauchée
Moment : fin de soirée (presque nuit)
Météo : Beau temps, nuit fraîche


La Taverne de la Choppe Écumante était fidèle à sa réputation : bruyante, animée, débordante d’une énergie propre aux lieux où se croisent marchands, mercenaires et artisans après une longue journée de labeur. L’odeur de bière, d’épices et de ragoût fumant flottait dans l’air tandis que les conversations allaient bon train.

Parmi les nombreux clients de la salle principale, Tamasin observait l’assemblée, une chope de cidre oubliée devant elle. Depuis son arrivée à Hautelune, elle avait entendu parler d’un homme, un certain Beldran "la Lame de Brume", capitaine respecté de la milice urbaine. On disait de lui qu’il maniait la lance avec une précision chirurgicale, un style fluide et insaisissable, comme une ombre dans le brouillard. Un maître d’armes au talent inégalé, mais difficile à approcher.

Or, ce soir, selon une rumeur glanée plus tôt auprès d’un garde, Beldran devait passer à la Choppe Écumante pour y rencontrer des officiers. L’occasion était trop belle pour être manquée.

Alors que Tamasin patientait, ses yeux balayèrent machinalement la salle, captant les mouvements de la foule animée. Un serveur évita de justesse un poing joueur entre deux compagnons éméchés, tandis qu’un ménestrel accordait distraitement son luth près de l’âtre. Non loin, une table réunissait un groupe hétéroclite : des hommes et femmes de route, à en juger par leurs bottes usées et leurs capes poussiéreuses. Ils semblaient absorbés par leur discussion, penchés les uns vers les autres, leurs voix couvertes par le brouhaha ambiant. L’un d’eux jeta un regard vers la porte, puis vers l’arrière-salle, avant de reporter son attention sur ses compagnons.

Rien d’inhabituel en soi, dans une ville comme Hautelune où voyageurs et mercenaires se croisaient chaque jour. Pourtant, quelque chose, peut-être un simple détail, fit naître une sensation fugace en elle. Une impression qu’elle n’aurait su expliquer, un de ces instincts acquis sur la route.

La porte s’ouvrit brusquement, laissant entrer un homme au port imposant.

Beldran.

Il n’était pas un colosse, mais il avait la stature d’un guerrier aguerri. Son corps sec et noueux parlait d’années d’entraînement rigoureux et de batailles dont il n’évoquait jamais les détails. Son visage anguleux et buriné portait les marques du temps et des combats passés, quelques cicatrices effleurant sa tempe et sa joue gauche. Son regard, d’un gris acier perçant, scrutait la salle avec une acuité presque prédatrice, comme s’il évaluait chaque mouvement autour de lui.

Ses cheveux sombres, striés de mèches argentées, étaient coupés courts mais légèrement indisciplinés, et une barbe naissante soulignait encore la dureté de ses traits. Son manteau gris jeté sur les épaules effleurait le sol lorsqu’il avançait, une cuirasse sombre renforcée sur les épaules et les avant-bras visible sous le tissu.

Mais c’était surtout sa lance qui attirait l’attention. Élégante et redoutable, son bois sombre était renforcé d’incrustations métalliques discrètes, parfaitement équilibrée. L’arme d’un expert.

L’occasion de l’approcher était là.

Le moment était enfin venu. Tamasin poussa un imperceptible soupir de soulagement.

Cela faisait quelques jours déjà qu'elle avait regagné les Vaux, le sort lui ayant fait croiser la route d'une caravane qui se dirigeait vers le Valprofond, non loin de la terre où elle était née. Mais retourner au pays ne l'intéressait que si cela pouvait l'aider à progresser dans ce qu'elle considérait comme "son art". Quand elle avait entendu parler de Beldran, la jeune guerrière avait ressenti un espoir nouveau illuminer son coeur. Sans tarder, elle s'était mise en quête du lancier, mais il s'était avéré difficile de le trouver.

Tamasin étudia Beldran et admira sa lance aussi belle que redoutable. L'espace d'un court instant, elle hésita sur la marche à suivre. Tout comme elle laissait souvent l'initiative du premier coup à son adversaire pour mieux le jauger, la jeune femme avait pour habitude d'observer les individus avant de les aborder. Elle n'était pas du genre à engager la conversation avec un inconnu sans avoir pris le temps de l'étudier. Mais elle craignait aussi de laisser passer une occasion qui ne se représenterait peut-être pas de si tôt : elle ne pourrait pas passer des semaines entières à chercher un homme insaisisable.

La guerrière se leva, saisit prestement ses affaires et se dirigea vers le nouveau venu. Plus elle s'approchait, plus la mine dure et austère du lancier l'impressionnait. Plus sa lance la fascinait également. D'une voix qu'elle espérait courtoise, elle tenta d'engager la conversation :

- Maître Beldran, je suppose ?

Sa voix avait un peu plus tremblé qu'elle ne l'aurait voulu, mais c'était probablement imperceptible pour quelqu'un qui ne la connaissait pas. Elle se morigena intérieurement, avant de poursuivre sans vraiment laisser le temps à son interlocuteur de lui répondre :

- Je suis Tamasin ajouta-t-elle, en inclinant légèrement la tête en signe de respect. Pourriez-vous m'accorder un moment, maintenant ou plus tard, à votre meilleure convenance ?

Elle espérait avoir fait preuve d'assurance et de politesse et attendit, avec une curiosité mêlée d'appréhension, une réponse qui ne tarderait sans doute pas.

La nuit était fraîche mais c'était, quelque part, une chance. Cela faisait plusieurs jour que Ioueseni ne s'était pas vraiment lavée, et c'était encore sans compter l'absence d'huile de soin et de parfum. C'était hélas son lot depuis son départ de la terre des Pharaons.

Elle réajusta le voile sur sa tête. Elle s'était maintenant habituée a porter une armure, même si elle n'aimait pas beaucoup cela, mais c'était ainsi. Peut-être Bès ou Anhur la gratifierait t'elle d'un tissu imbibé de magie plus tard. Elle ne savait pas grand chose de la magie en vérité... Et en vérité, malgré tout ce qu'elle avait entendu des mages extraordinaires, des dragons, des elfes et d'autres, il lui semblait que la magie était plus rare ici dans l'ouest que dans sa Mulhorande natale.

Elle remontait les rues de cette étrange ville en espérant trouver une auberge ou une taverne suffisamment remplie pour qu'elle passe inaperçue. Sa plus grande crainte depuis son départ restait les chasseurs d'esclaves. Maître Ibedni avait probablement été humilié par la disparition de son esclave... son estomac se noua en pensant à ce qu'il pourrait faire à sa Maîtresse, mais elle avança.

L'odeur de graillon et de bière attira son attention. Ici comme dans l'Est, c'était généralement un indice flatteur. Les mauvaises adresses sentaient souvent plus la sueur et l'alcool de bois. Elle entra juste derrière un homme dont les épaules le désignait comme un guerrier, a petits pas, intimidée par ce lieu où personne ne parlait sa langue et ne comprenait sa culture. Une femme en armure l'interrompit alors qu'il entrait. Et alors que Ioueseni tentait d'être la plus invisible possible, elle percuta le guerrier dans le dos. La différence de masse musculaire fut largement en faveur de l'homme, alors que la mulane rebondissait en faisait un pas en arrière.

- Oh... Veuillez me pardonner messire, je... Euh...

Si son commun était parfait, son accent était un indice criant pour quiconque avait jamais été au delà de Thesk. Heureusement, elle avait des cheveux et ne portait pas de rouge. Avec un réflexe de servitude, elle baissa la tête, espérant que ses excuses soient acceptées.

À droite, le virage fut serré, mais il l’entreprit avec une telle dextérité qu’il regagna du terrain sur son poursuivant. Le tunnel était étroit mais assez large pour qu’il manœuvre dans cette hâte de ne pas se faire rattraper. Son cœur battait la chamade, mais au-delà de la peur, c’était bien l’adrénaline qui le poussait à fuir à toute vitesse.
À gauche, le crie de la créature strident se faisait un écho à sa respiration haletante. Le danger était bien réel. Enfin il sortie du dédale labyrinthique des fondations de la bâtisse. Le pelage blanc du lièvre se reflétait d’un gris argenté sous la lueur de l’astre lunaire en cette fraîche soirée. Les griffes en appuies, Azril freina sa course in extremis avant de chuter de la marche sur laquelle il avait déboulé en trombe. Le lièvre arctique était poursuivit par un rat noir. Sa capacité de familier qui le différenciait d’un lapin lambdas, l’avait pour le moment permis de mettre de la distance avec le rongeur des villes. Mais sa course sous la taverne l’avait conduit à l’extérieur, plus exposé encore. Trop tard pour poursuivre sa fuite, le rongeur était sur lui, le lièvre légèrement plus imposant que le rat utilisa cet avantage de force pour se décaler juste avant que le rat ne déclenche son assaut toutes incisives dehors. Loupant sa proie, le rat noir se réceptionna en urgence avant que lui aussi ne se risque à chuter de la hauteur de la haute marche. Mais ce laps de temps permis à Azril de lui décrocher un double coup de griffes, en extension sur ses deux pattes arrières. Le coups envoyant valdinguer le rat au-delà du sol, directement dans l’abreuvoir à moutier remplis d’eau plus ou moins usée.
Débarrassé du nuisible, le lièvre ne demanda pas son reste et partie trouver refuge dans un endroit plus sûr, les oreilles aux aguets du moindre danger.

Dans la taverne au dessus, les clients étaient à mille lieux de se douter de l’affrontement qui venait de se dérouler sous leurs pieds. Tous sauf un. L’ensorceleur nain assis au comptoir avait suivit le duel à travers le lien cognitif qu’il partageait avec l’animal bondissant. Le sachant en sécurité il leva sa chope et bu une gorgé à sa santé.

¤ Bien joué Azril. Dame Séluné veille sur toi. ¤

Au moins un des deux avaient eu l’occasion de se confronter aux danger et d’en ressortir plus forts. Depuis qu’il avait quitté Lunargent, il avait eu la chance dans une certaine mesure de ne croiser que très peu de problème. Oh ! Il avait eut quelques incidents et il avait pu faire usage de ses dons profanes, mais ce n’était pas suffisant. La magie en lui vibrait , sommant d’en faire plus. Mais cette dernière traversée jusqu’à Hautelune en compagnie d’un convoi marchand, avait été des plus tranquille. Non résolu, l’ensorceleur avait décidé de s’arrêter dans la première taverne qu’il croiserait. C’était là un des lieux les plus propices pour tenter de glaner une information qu’il espérait intéressante. Mais pour le moment, il n’avait que trop bien apprécié la mousse du coin. Il s’agissait de sa cinquième pintes et en plus de sentir l’alcool faire doucement son chemin et l’enivrait, l’envie d’uriner commençait à se faire sentir.

ans une explosion de lumière absente de tout son, Rhaugilath réapparut sur le plan matériel. Quinze centimètres au-dessus du sol et avec les talons plus haut que les yeux. Son atterissage ne fut pas le plus admirable des tableaux et les jurons qui le suivirent, pendant qu'elle se massait le menton, n'ajoutèrent pas à la grandeur de la scène. Par chance, les deux seuls témoins étaient une poule à moitié assoupie qui rentrait doucement dans son poulailler et un chat gris-souris. La poule sembla décider que la pluie humaine était une bonne raison d'aller dormir et le chat se contenta de hausser un sourcil dédaigneux avant de retourner à ses occupations.

Rhaugilath s'épousseta et observa les alentours. Ce n'était visiblement plus la mi-journée donc elle avait dû voyager dans le temps. Cette ruelle ne représentait probablement pas les plus impressionnantes réussite de l'architecture locale mais elle ne ressemblait pas à Halruaa et était aussi différente de celle de Lunargent. Elle avait donc dû voyager dans l'espace aussi. Cela dit, elle était clairement déjà dans la ville donc elle n'allait pas avoir à faire la queue une seconde fois. Elle avait beau les chercher, ni Abakor, ni Locredar ne semblaient se trouver dans les environs. Ils avaient probablement réussi à se perdre. La magicienne pouvait le leur pardonner: être téléporté était une compétence qui demandait un peu d'entrainement. Tant qu'elle y pensait, elle se fit la promesse de ne plus jamais avoir quoique ce soit à faire avec un vieil homme s'identifiant comme un mage. Une promesse sur laquelle elle revint au bout de moins de dix secondes: si elle souhaitait faire carrière dans l'Art, en particulier à Halruaa, elle n'allait pas avoir le choix.

Elle sortit de la ruelle et se retrouva dans une rue qui semblait relativement importante. Ses oreilles et son nez ne tardèrent pas à lui indiquer qu'une auberge se trouvait presque en face d'elle. Ses yeux et l'ensigne aidèrent aussi un peu. Prenant son courage à deux mains, et espérant que son epoussetage hatif avait réussi à déloger l'essentiel de la boue et de la fiente dans laquelle elle avait atteri, elle se dirigea vers ce havre. Toutefois, à peine avait-elle ouvert la porte qu'elle se trouva nez-à-dos avec une jeune femme qui elle-même semblait être entrée en collision avec la personne de devant. Elle allait, finalement, peut-être devoir faire la queue.

-Ce serait possible d'avancer devant.

Le regard de Randal, attablé non loin d'une bruyante troupe de voyageurs, s'était perdu au fond de son assiette. Avait-il bien fait de quitter Valdague, dont les blessures cicatrisaient à peine, pour venir à Hautelune ? La rumeur disait le seigneur Ulath aux abois, pris en étau entre un redoutable clan drow au nord et une horde belliqueuse d'ogres et de gobelins à l'est. Or l'Ilmate n'avait pas découvert une ville en état de siège à son arrivée, ni aucun des symptômes ou des stigmates de la guerre. De hauts murs fortifiés, flambant neufs, abritait une cité en apparence tranquille et prospère. S'il avait croisé quelques soldats, la garde ne semblait pas renforcée ni inquiète.

*Vaut-il vraiment mieux prévenir que guérir ?* maugréa-t-il intérieurement, pas loin de conclure de ces premières impressions qu'il serait plus utile ailleurs.

Il plongea sa cuillère dans son ragoût, le remua machinalement, puis porta une lippée à sa bouche. Son repas avait tiédi, mais il avait si souvent mangé froid qu'il s'en aperçut à peine.

La nuit se faisait plus sombre, amenant de plus en plus de clients à pousser la porte de l'auberge. Deux femmes dont les traits étaient tout aussi exotiques que la carnation venaient de franchir la porte. Il avait été bien avisé de payer sa nuitée en arrivant...

La nuit tombait sur Hautelune, drapant la cité de sa lueur argentée. Derrière ses murailles, la ville s’animait, vivante et insouciante. Pourtant, pour ceux qui savaient écouter, il y avait quelque chose d’étrange dans l’air. Comme un frémissement sous-jacent, une tension latente qui ne demandait qu’à éclater.

À la Choppe Écumante, les conversations allaient bon train, rythmées par le claquement des chopes et les éclats de rire des habitués. Mais parmi les nouveaux venus, certains portaient en eux des histoires plus graves, des fardeaux invisibles.

Un enchevêtrement de rencontres

L’entrée était devenue le théâtre d’un léger tumulte. Iouenseni, tentant de passer inaperçue, avait percuté un guerrier imposant en pénétrant dans l’auberge. Son accent trahissait son origine lointaine, un détail que certains ici ne manqueraient pas de noter. Derrière elle, Rhaugilath, tout juste revenue sur le plan matériel, se retrouva stoppée dans son élan.

— Ce serait possible d’avancer devant ? lança la magicienne, un brin d’agacement dans la voix.

L’homme percuté lui lança un regard indéchiffrable. Quelques regards curieux s’attardèrent sur la scène, mais dans l’ensemble, l’agitation de la taverne reprit son cours. Il s'avança de quelques pas jusqu'au comptoir où déjà une choppe de bière l'attendait. Avait-il oublié l'interpellation de la lancière ?

— Merci, Dorn, s'adressa-t-il au tavernier.

Acculé au comptoir, Beldran fit face à Tamasin. Après un silence pesant, il inclina légèrement la tête, jaugeant la guerrière avec l’œil d’un vétéran.

— Parle. Pourquoi devrais-je t’accorder de mon temps ?

Sa voix était rocailleuse, tranchante comme une lame. Il n’y avait pas d’hostilité dans son ton, mais une épreuve implicite. Tamasin savait qu’elle n’aurait qu’un instant pour convaincre ce maître d’armes insaisissable.

Alors que le silence s’étendait un instant, la porte de la taverne s’ouvrit brusquement, attirant l'attention des clients. Un milicien entra précipitamment, l’air bouleversé, son uniforme légèrement déchiré et la sueur perlant sur son front. Il se dirigea directement vers Beldran, le capitaine de la milice, sans perdre de temps.

— Capitaine, il y a eu un cambriolage au temple des Feuilles de la Connaissance, annonça-t-il d’une voix haletante. Les portes ont été fracturées. Nous avons retrouvé des traces de magie, mais rien qui puisse nous indiquer qui sont les responsables.

Les regards se croisèrent, intrigués, alors que le milicien poursuivait, ses mains tremblantes.

— Il y a eu des blessés parmi les prêtres et les gardes. L’un d’eux est gravement blessé et risque de ne pas survivre.

L’attention des clients se tourna aussitôt vers la situation. Beldran fixa le milicien, un regard impassible sur le visage. Il hocha lentement la tête.

— Bloquez toutes les sorties de la ville, ordonna-t-il d’une voix ferme. Personne ne doit quitter Hautelune avant que nous n'ayons plus d'informations. Rassemblez vos hommes et assurez-vous que chaque sortie soit sous surveillance immédiate. Personne ne sortira sans que nous le sachions.

Un frisson parcourut la taverne. L’atmosphère se fit soudainement plus lourde, chacun comprenant que quelque chose de grave venait de se produire. Le milicien s’éclipsa en hâte pour obéir à l'ordre.

- Hé camarade ! Héla le nain afin de capter l’attention du tavernier. C’est qui le gaillard ? Lui demanda-t-il, tout en désignant de son menton barbue l’homme à la carrure certaine qui venait de prendre une chope au comptoir non loin d’où était assis le nain.

Cette dernière était déjà préparée à son attention. Poulior en déduit qu’il était un habitué, et peut-être même que l’individu était potentiellement une figure locale. C’était peut-être intéressant de l’identifier. Il ne repartirait pas comme ça de cette soirée qu’avec la vessie pleine.

Mais avant même que le tavernier ne prenne la peine de s’intéresser à son client barbu des éléments de réponses s’imposèrent à lui. Il faisait partie de la garde de Hautelune.

- Un haut gradé, se chuchota-t-il pour lui-même.

Ses ordres trouvèrent un écho chez le nain. Il avait été lui-même un temps, un garde de la citée de Lunargent. Certes pas longtemps et à un niveau bien moindre. Mais il aspirait à plus et comprenait l’exigence du rôle, ses responsabilités et ce que cela impliquait dans le cadre de la sécurité d’une ville.

L’alcool n’aidant pas, l’ensorceleur avait du mal néanmoins à percevoir ce qui se passait concrètement. Il avait capté qu’un larcin avait été commis, mais pourquoi une réaction aussi excessive pour un vol ?
Il but une nouvelle gorgée réduisant considérablement le contenant ambré de sa chope.

- Sais-tu me dire de quoi il s’agit tavernier ? Le milicien surexcité à fait mention de magie ou j’me trompe ? Il a quoi de spécial votre temple ?

Poulior n’avait plus les idées assez claires pour paraître subtile. En même temps il n’avait fait aucun effort jusque-là pour ne pas paraître étranger à cette région de Valprofond. Les nains n’y était de toute façon pas légion. Sa légère dilettante aidée par l’addition des chopes de bières ingurgitées, le mettait en décalage avec la tension qui venait de s’abattre sur l’atmosphère de la taverne.

Tamasin était à ce point impressionnée par Beldran qu'elle n'avait pas accordé la moindre attention à la jeune femme qui l'avait bousculé, ni à l'autre étrangère qui la suivait.Elle avait machinalement suivi le lancier jusqu'au comptoir et c'était alors qu'elle préparait sa réponse que les événements s'étaient enchaînés avec une rapidité étonnante, changeant du tout au tout l'atmosphère qui régnait dans la taverne. Même si Tamasin n'avait pas partie prenante dans cette affaire de vol, elle ne put s'empêcher d'en mesurer les conséquences.

¤ Misère... Beldran ne va plus avoir de temps à m'accorder avec cette histoire... Et avec la ville bouclée, je n'aurai même pas l'occasion de repartir avec une caravane avant un moment ! Sauf si tout se règle rapidement, bien évidemment... ¤

La jeune femme était toujours aussi intimidée par Beldran qui avait aboyé ses instructions avec une autorité qui n'incitait pas à discuter ses ordres. A vrai dire la réponse qu'il avait faite à l'interpellation de Tamasin n'était pas non plus des plus encourageantes.

¤ Mais bon sang, par la Générale Cramoisie ! Je n'ai pas fait tout cela pour renoncer comme une petite fille qui aurait peur de se faire gronder ! ¤

La détermination était l'un des traits de caractères de la guerrière. Elle se rapprocha de Beldran et se racla légèrement la gorge avant de reprendre la conversation :

- Je comprends bien que le moment est mal choisi, mais j'étais venue vous trouver pour vous demander de m'aider à me perfectionner dans l'art du maniement de la lance. J'ai travaillé avec Fendor, à Valherse : il m'a appris tout ce qu'il savait, mais ce n'était pas un spécialiste de la lance. Je m'entraîne sans relâche et je voudrais franchir une étape supplémentaire...

Ce disant, elle avait machinalement caressé la hampe de son arme. Elle ne savait pas comment sa tirade serait perçue. Allait-elle déranger un guerrier acariâtre préoccupé par une affaire bien plus importante ? Ou bien celui-ci saluerait-il sa ténacité ? Elle crut nécessaire d'ajouter :

- Cela attendra naturellement que vous y voyiez plus clair dans cette triste histoire...

Si l'agitation somme toute ordinaire qui régnait dans la taverne avait laissé Randal indifférent, l'irruption du milicien ne manqua pas de capter son attention. Ses gestes précipités, son front perlant de sueur, sa voix haletante, tout, chez le nouveau venu, exprimait la plus grande urgence. Mais l'œil expert de l'Ilmate, qui s'était posé sur nombre de drames et de victimes, décela aussi les symptômes de l'effroi. Était-ce l'intrusion elle-même qui avait effrayé ainsi le soldat, l'usage de la magie ou la nature du vol ? Le temps d'y réfléchir ne lui fut pas donné, le messager de malheur annonçant qu'il y avait plusieurs blessés.

*Ilmater a rarement été aussi prompt à dissiper mes doutes* se morigéna le Valien, attrapant son barda tout en se levant de table.

- Le Dieu Brisé m'en soit témoin, cet homme vivra ! déclara-t-il avec cette emphase propre à ceux que la foi exalte. Que l'un de vous me conduise au temple. Vite !

Son sac élimé sur le dos, le prêtre s'avançait déjà vers la porte, irrésistiblement appelé par son devoir.