Chap.1 L’ombre et la lance

La mulane se dirigea vers le comptoir en faisant de son mieux pour être invisible, et demanda de quoi se restaurer. Elle écoutait distraitement ce qui se passait. Elle avait vaguement entendu parler du dit temple lorsqu'elle avait été soignée dans le temple de Yhaunne. Oghma, lui semblait elle, était une sorte d'alter-ego de Thot, quoique bien plus influent dans l'Ouest. Elle haussa les épaules. Ce n'était pas son problème, même si, il lui fallait admettre que la bibliothèque pourrait peut-être lui donner des raisons philosophiques de sa recherche de la liberté.

Trouver un sens à son existence lui semblait étrangement ardu...

Et puis, elle entendit son voisin jurer au nom du Dieu Brisé. Elle se sentait encore une dette vis à vis des illmateri, malgré le don qu'elle avait fait au temple. Elle soupira, avant d'avaler rapidement le brouet qu'on lui avait servi, et laissa quelques pièces de cuivres.

- Bès guide mon chemin...

Se murmura t'elle, avant de suivre le clerc de loin. D'une façon où d'une autre, elle pourrait sans doute lui être utile, et une fois cela fait, considérerait sa dette lavée.

'embouteillage n'avait pas mis trop longtemps à se résorber et Rhaugilath pouvait maintenant se concentrer sur sa tâche principale: déterminer où la magie du vieillard lunargentin avait bien pu l'envoyer. Et aussi, peut-être quand. Elle ne voulait pas se faire remarquer, en tout cas pas plus que nécessaire, et elle estimait qu'il devait être possible d'écouter les conversations de ses voisins et de trouver les réponses qu'elle cherchait sans même avoir à poser de question. Toutefois, la patience n'était pas vraiment son fort et "Nous sommes aujourd'hui le n-ième de tel mois dans la ville ennuitée de ???" ne semblait pas être la manière favorite de commencer, ou de continuer, une conversation dans le coin. Où que ce coin soit. Non que cela soit vraiment informatif.

La magicienne était sur le point de passer au plan B et de décider à ouvrir sa bouche pour faire autre chose que commander à boire quand un soldat, humain comme la plupart des présents ce qui était une information, fit irruption dans la taverne l'air passablement paniqué. Rhaugilath ne s'attendait pas à ce que le garde dise quoi que ce soit d'utile mais il y avait un risque qu'elle se trouve maintenant dans une région où il fallait prouver son identité pour se trouver dans une taverne, ou dans la ville d'ailleurs, et que l'arrivée impromptue du milicien était une mauvaise nouvelle.

Au contraire, la conversation entre le soldat et le "Capitaine" (bloquer les portes n'était donc pas son seul talent ... même si c'est exactement ce qu'il ordonna presque immédiatement donc il s'agissait probablement d'un réflexe) l'informa qu'elle se trouvait à Hautelune. C'était mieux que rien mais cela ne l'aidait pas tant que cela.

Apparemment, il y avait eu un cambriolage qui avait tourné à la violence. Rhaugilath savait qu'il serait sage d'ignorer cela. Après tout, ce n'était pas son problème et être une étrangère qui s'intéressait de trop près à un crime était probablement le meilleur moyen de se retrouver accusée du-dit crime mais elle ne pouvait pas laisser Capitaine Bloque-porte se fourvoyer comme il le faisait. Elle se dirigea donc vers lui, ce qui n'était pas difficile vu qu'ils étaient encore tous deux près du comptoir, et essaya de lui apporter ses lumières.

-Sans vouloir vous manquer de respect ... Capitaine, fermer les portes de la ville et en garder les sorties ne va pas vous aider à contenir les voleurs. S'ils ont accès à de la magie relativement compétente, ils peuvent s'être envolés ou téléportés ou être passés à travers vos murs, avec ou sans trou pour marquer leur passage, ou avoir l'apparence des gardes en train de se précipiter vers les portes pour les clore ... et ce sont juste les premières idées qui me viennent en tête. Les criminels y ont probablement réfléchi plus de cinq secondes.

’annonce du milicien continuait de résonner dans l’ambiance soudainement plus pesante de la Choppe Écumante. Quelques regards se faisaient fuyants, d’autres au contraire cherchaient déjà à comprendre la portée de ces événements.

Le tavernier, Dorn, jeta un regard au nain qui s’enquérait de la situation en vidant sa chope avec application. Il haussa les épaules en nettoyant un gobelet d’un coup de torchon distrait.

— Le temple des Feuilles de la Connaissance, c’est pas qu’un simple sanctuaire, voyez-vous. Ils conservent des écrits, des parchemins, des secrets qu’on dit précieux. Quant à la magie… Il y a bien quelques artefacts gardés sous bonne garde. Mais faudrait être fou ou sacrément audacieux pour s’y attaquer.

Pendant ce temps, Tamasin ne lâchait pas Beldran du regard. Elle avait vu ses espoirs s’effriter devant l’urgence de la situation, mais elle n’était pas du genre à renoncer. Son insistance ne sembla pas irriter le capitaine, mais il lui répondit d’un ton neutre :

— Si tu es vraiment déterminée, prouve-le. Aide-moi à élucider cette affaire et nous reparlerons de ton entraînement.

Le ton ne souffrait aucune contestation. Il lui lançait une épreuve.

À quelques pas de là, Randal s’apprêtait déjà à partir, sa foi en Ilmater chevillée au corps. Un prêtre blessé, une attaque violente : son devoir l’appelait. Derrière lui, Ioueseni le suivait d’un pas plus mesuré, son esprit pesant encore les raisons de cette implication.

Mais avant qu’ils ne franchissent la porte, la voix de Rhaugilath s’éleva. Ses paroles, empreintes d’une lucidité glaciale, firent tourner quelques têtes. Beldran la fixa, ses yeux se plissant légèrement.

— Vous pensez que les voleurs ont déjà quitté la ville ? Ou qu’ils nous surveillent encore ?

Il jaugea la magicienne, puis les autres personnes présentes.

— Vous avez des talents, vous aussi. Suffisamment pour savoir que cette affaire dépasse un simple cambriolage. Si vous avez des compétences qui peuvent être utiles, c’est le moment de le prouver.

Son regard balaya Tamasin, Rhaugilath, Poulior et les autres. Il n’avait pas l’air de faire grand cas des statuts ou des origines. Il voulait des résultats.

Tandis que la tension montait et que les décisions s’imposaient, Ioueseni perçut quelques murmures échappés d’une table voisine. Deux hommes, probablement des habitués de la ville, échangeaient à voix basse.

— D’abord ce prêtre renvoyé, et maintenant ça… La bibliothèque n’a jamais connu autant de remous.
— C’est bien ce qui m’inquiète. Quand un érudit d’Oghma est mis à la porte, c’est rarement pour une peccadille. Et maintenant, un cambriolage ? Drôle de coïncidence…

Ioueseni ne réagit pas immédiatement, mais elle enregistra l’information. Une pièce de plus à ce puzzle qui commençait à prendre forme.

Beldran, de son côté, ne perdit pas plus de temps. Il hocha la tête en direction de Randal et des volontaires avant de se diriger vers la sortie. La lourde porte de la taverne grinça en s’ouvrant, laissant entrer un souffle d’air frais chargé de l’odeur de suie et d’humidité.

Dehors, la nuit avait étendu son manteau d’ombre sur la ville. Pourtant, l’obscurité était troublée par de nombreuses lueurs dansantes : des torches allumées le long des remparts, des ombres en mouvement. Un tumulte grandissant.

Au loin, le son sourd et métallique d’une cloche de garde retentit, brisant le calme relatif de la cité. Un signal d’alerte. Des voix montaient depuis les murailles, confuses, inquiètes.

La ville entière se refermait sur elle-même.

Tamasin avait été surprise de voir tant d'aventuriers prendre aussi à coeur cette affaire. D'abord, ce prêtre exalté qui s'était immédiatement manifesté. Son enthousiasme et sa confiance en son dieu lui rappelaient vaguement Daphnis, mais il était loin d'avoir la beauté et le charisme de ce dernier. Ensuite cette jeune étrangère qui questionnait avec bon sens, et un peu de culot, les mesures prises par Beldran. Elle n'avait jamais vu de femme semblable et se demandait d'où elle pouvait bien venir...

Beldran avait écouté la requête de la lancière, ce qui était plutôt bon signe pour la suite, et lui avait proposé une marché.

¤ C'est de bonne guerre... Si je parviens à l'aider, je le libère d'une préoccupation qui l'empêcherait de toute manière de me former... Et je gagne au passage un peu de son estime... ¤

La mission ne l'intéressait pas particulièrement, mais elle avait déjà officié dans d'autres tâches moins valorisantes que celle-là. Et puis, malgré tout, elle se sentait quand même un peu concernée étant originaire des Vaux : elle gardait un certain attachement à sa région natale et c'était son patrimoine qu'on était en train de piller. Sans se faire prier, Tamasin opina du chef et suivit Beldran vers la sortie de la taverne :

- C'est d'accord, vous pouvez compter sur ma lance. J'imagine que vous nous en direz plus en chemin. J'ai grandi dans les Vaux, mais je connais mal cette ville...

Elle recoiffa machinalement une mèche de rebelle tout en étudiant les autres volontaires qui se joindraient à eux.

Iouseni s'était arrêté avec fluidité en entendant que, non seulement d'autres semblaient vouloir se joindre à l'effort (ce qui l'arrangeait), mais aussi les discussions qu'elle avait entendu à une table proche. Tout en gardant un oeil sur l'illmateri, elle réfléchit un instant.

¤ Un prêtre renvoyé ? Et le capitaine ne se demande pas si il y aurait un lien ? Hum... ¤

Assez persuadé qu'un illmateri était, de toute façon, digne de confiance, elle s'approcha de Randal. Elle posa doucement une main sur son avant-bras.

- Sir Illmateri, si je puis me permettre. J'ai une dette envers le temple de Yhaunne, et vous aider dans cette affaire me semble être une bonne façon de la régler. Il semble que d'autres ici soit enclins à aider la cause, il me semblerait sage d'attendre d'autres compagnons pour y aller ? D'autant que cela renforcerait notre légitimité.

Elle s'arrêta un instant.

- D'autant que je vient d'entendre me pousserait à croire qu'il ne s'agit peut-être pas d'un simple cambriolage de cupidité.

Du brouhaha général avait émergé une voix à l'accent des plus exotiques, qui avait arrêté le prêtre dans son élan. Son regard, placide, alla de la jeune étrangère au soldat. Aussi effrontées qu'elles fussent, les paroles de cette petite femme noiraude n'en étaient pas moins emplies de bon sens... L'homme, en habile capitaine, le reconnut aussitôt et loin de prendre ombrage, profita du trouble ambiant pour embrigader les cœurs vaillants. Une affaire rondement menée, qui se conclut par un hochement de tête en la direction de l'Ilmate, pour ainsi dire recruté d'office : lui n'avait rien à prouver, il en allait tout simplement d'un devoir sacré.

Randal ajustait les lanières de son sac quand une main à la peau mate se posa avec douceur sur son avant-bras. Ses yeux se levèrent aussitôt pour découvrir, à sa surprise, la seconde étrangère : frêle, elle devait avoir la légèreté d'un oiseau pour qu'il ne l'entendît pas approcher. Il sourit d'un air bonhomme, manifestement gêné, sans oser retirer son bras. L'accent de la jeune femme était pareil à nul autre à ses oreilles, mais l'heure n'était point à faire connaissance.

- La charité d'Ilmater ne coûte rien, soyez tranquille, et sachez que ses prêtres ignorent les dettes... dans la mercantile Sembie comme ailleurs, répondit-il d'un ton plus sincère que proverbial, son œil frisant lorsqu'il égratignait la nation marchande. Votre aide est la bienvenue, mais ne vous amusez plus à me donner du sire ! Appelez-moi Randal.

Emboitant le pas du milicien, il s'enfonça dans la nuit sans s'inquiéter de l'agitation sur les remparts et des signaux d'alarme. Une telle scène n'était que trop familière pour qui avait grandi dans le Valdague, région déchirée par la guerre civile des années durant, et œuvré en arrière-ligne dans bien des batailles. Il n'en abandonnait pas pour autant toute vigilance.

- Pas un cambriolage, disiez-vous ?

a réaction du capitaine de la milice n'était pas exactement ce à quoi elle s'était attendue. En général, les réactions à ses remarques étaient directement corrélées à la position relative de ses auditeurs par rapport à Rhaugilath CLXXI: un regard dédaigneux avant d'ignorer la remarque pour ceux qui n'avait rien à gagner des faveurs du vieux (ou savait qu'elle n'avait aucun impact sur lui), une exclamation admirative avant d'ignorer la remarque pour ceux qui étaient plus intéressés et ignorants. Comme le vieux n'avait probablement jamais mis les pieds à Hautelune, ou que cela puisse bien se trouver, Rhaugilath s'attendait à la première option mais la réaction avait ressemblé beaucoup plus à la seconde. A ceci prêt qu'il ne semblait pas considérer l'intervention de la magicienne comme absolument stupide. A moins qu'elle n'ait manqué un ton ironique dans ses paroles; il lui était difficile d'en être certaine à cause de son accent.

Toujours était-il qu'elle n'avait aucune raison de s'impliquer dans cette histoire étrange. Elle se détourna pour recommencer à profiter de sa soirée. Théoriquement, ses priorités étaient toujours, dans un ordre dont elle n'était plus vraiment certaine: trouver comment rentrer chez elle, trouver l'académie magique où elle était censée continuer ses études, trouver le nain et l'elfe qui avait réussi à se perdre pendant une téléportation et trouver un trafiquant de masques maudits. Enquêter sur un cambriolage dans un temple ne l'aidait à progresser vers aucun de ses objectifs. Sauf qu'elle était vaguement intriguée et que le capitaine lui avait ouvertement demandé son aide. Il semblait gentil mais pas très doué et elle ne pouvait pas l'abandonner ainsi, le pauvre, n'est-ce pas? Elle se retourna donc et avait presque commencé à prononcer: "Ne vous inquiétez pas, je vais vous aider." avec un sourire triomphant quand elle s'aperçut que tous les autres s'étaient déjà mis en route et les mots périrent sur ses lèvres. Elle se mit donc en marche en silence mais attentive aux propos du reste du groupe, fort hétéroclyte, qui s'était formé.

Ioueseni se souciait des oreilles curieuses. On lui avait appris pendant sa recente formation que même un individu qui ne lui était pas hostile pouvait, volontairement ou non, révéler de quoi augmenter le pétrin ambiant.

Cependant ceux qui suivait la suivre, elle et Randal, donc, apprendrait vite ce qu'elleavait entendu, aussi n'avait elle pas d'intérêt à le cacher :

- Un cambriolage, si, mais peut-être pas par simple cupidité. Deux personnes discutaient à côté de moi. Apparemment un prêtre a été congédié récemment du temple. Et l'un d'eux semblait ilkou... euh... sage ?

Elle s'arrêta un instant pour chercher ses mots :

- On congédie rarement un prêtre sans bonne raison... Du moins pas d'où je viens.

Marchant a côté de Randal, un peu mal à l'aise, elle observait ceux qui avaient décidés d'agir et semblait les rejoindre.

- On a donc affaire à un acte bien préparé ou du moins effectué par une personne ayant un certain savoir faire et plutôt couillue ou même voir, faisant preuve d’une certaine puissance, si je comprend bien ce que tu me dis tavernier.

Le nain se gratter la barbe. Il était en pleine réflexion. Mais Beldran, lui, partait déjà avec à sa suite quelques personnes répondant à son appel, prêt à lui porter main forte.
Cette ambiance, le nain, la connaissait. Jeune garde à Lunargent, il avait eu l’occasion de renforcer des patrouilles ou accentuer une vigilance, durcir les contrôles, etc, etc. Mais son statut ne l’avait jamais mis en position de se joindre directement à une enquête. Même si cela pouvait être intéressant, là n’était pas son intérêt premier dans les Vaux. Il recherchait un moyen de s’illustrer, de prendre de l’expérience et d’enrichir sa volonté à travers son utilisation de la toile. Pour cela il avait pour ambition de se confronter aux défis du destin et cela était peut-être les prémisses de ce qui l’attendait.

Légèrement enivré par l’alcool, il réalisa qu’il avait prit bien trop de temps pour réfléchir à ce qu’il allait faire. Tout le monde ou presque, qui avait montrer un intérêt par l’affaire, avait quitté la taverne.

- Par la barbe de mes aïeux, et les frisottis des poils de mon derrière, ils ont tous décamper.

Le nain bondit de son haut tabouret, pour retomber sur ses deux pieds, bien encré au sol. Sa choppe était maintenant vide, mais sa vessie toujours aussi pleine. Il se pinça l’entrejambe de manière très inapproprié et sortie à son tour dans une petite foulé de la taverne.

Une fois dehors la brise de la nuit lui chatouilla le bas ventre, l’envie était trop présente. Il tourna en sens inverse pour s’isoler contre une palissade où il se soulagea enfin la vessie.

- Non d’une bière fraiche, ça m’apprendra d’abuser de la mousse, se fit-il la réflexion voyant que le groupe qui suivait Beldran l’avait déjà distancer.

Il rangea en hâte son petit oiseau et plus par curiosité qu’une réelle volonté d’aider, il essaya de rattraper le groupe. Il n’avait aucune idée d’où se situer ce temple des Feuilles de la Connaissance, il ne comptait donc pas se faire trop distancer.

Sentant son maître en mouvement, le lapin blanc, son familier, se joignit à sa marche rapide.