Chapître 3 : M maître, mille esclaves

Seul celui qui semblait le chef, s’était approché du feu. Les deux autres restaient méfiants, assez loin.
Le bracelet de griffes entrevu avait provoqué un malaise chez Iskender.
Impossible de consulter rapidement ses autres compagnons : Iskender continuait à se fier à son intuition et à celle de ses chiens. Il s’adressa de nouveau aux chasseurs :

- Je vois que mes compagnons restent méfiants, et vous aussi d’ailleurs me semble-t-il. C’est bien normal de se méfier d’inconnus rencontrés au fond des bois.

Puis s’adressant directement aux deux chasseurs restés à l’écart :

- Venez vous assoir auprès du feu et prenez le temps de savourer une boisson chaude. Nous n’avons, je peux vous l’assurer, aucune intention agressive vis-à-vis de quiconque ici.

Se tournant ensuite directement vers celui qui semblait le chef :

- Mais vous n’avez pas répondu à ma question de savoir ce que vous faites ici car je suppose que si vous nous avez abordés directement ce n’est pas simplement pour boire une boisson chaude…
Vous avez dû voir passer une caravane avec des esclaves, nous cherchons à la rattraper car parmi les esclaves se trouvent ma compagne et nous voulons la délivrer.
Donc, dites-nous rapidement ce que vous désirez car, comme le dit mon camarade, nous sommes très pressés : la caravane ayant beaucoup d’avance sur nous.

Iskender préférait dire les choses ouvertement : de toute façon, les chasseurs auraient pu leur tendre une embuscade s’ils avaient désirés les éliminer. Et compte tenu de l’apparence solide des chasseurs, l’embuscade aurait fait très mal à la petite troupe. S’ils ne l’avaient pas fait c’est que soit ils n’étaient pas hostiles soit ils n’étaient pas sûr que Iskender et ses compagnons puissent être leur cible.
Mais dans ce cas, pour se présenter à trois, ils devaient avoir des renforts cachés.
Ses compagnons se tenaient prêt au combat, cependant Iskender pensait toujours que les chasseurs ne leur étaient pas hostiles. Mais l’erreur est humaine…

D’abord suspicieux quant aux nouveaux venus, le prêtre-nain ne pouvait s’empêcher de penser que ces rôdeurs des bois, rôdaient au nom de Malar. Ça puait la bête a plein nez depuis un moment sur leur enquête, et laisser deux traînards à l’arrière pour distraire les poursuivants était une belle tactique pour gagner du temps. Il se tint en retrait laissant Iskender mettre les pieds dans le plat avec ceux qu’il avait reconnu comme confrères.

Bien d’accord avec Jafert, le nain ne voulait pas tomber dans l’hypothèse du piège et si ce n’en était pas un, il devait se remettre en selle au plus vite, au péril de leur arrière train déja bien compoté.

Le duo improbable formé par Kald et Murdock semblait avoir encore mieux cerné le petit jeu de ces forestiers. En tout cas, ils avaient percé quelque chose que le prêtre-nain n’avait pas perçu. Mettant les pieds dans le plat, Falrin décida de les laisser faire tout en gardant sa hache prête à l'emploi.

Grognant dans sa barbe, le nain se fit attentif mais ne décocha mot. Il chercha à mieux cerner l’attitude de Jafert voire à retenir ses ardeurs à répartir qu’il aurait lui-même volontiers suivi.

Le temps parut se figer instantanément alors qu'une brutale tension était nettement perceptible. Le visage du barbu s'était contracté pendant que son poing droit se fermait brusquement, laissant nettement apparaître les griffes d'acier sortant du bracelet fixé à son avant-bras. Puis, aussi soudainement qu'elle s'était figée, l'atmosphère se détendit lorsque l'homme éclata d'un rire un peu forcé.

- L'heure de la Chasse n'est pas encore revenue, déclara le prêtre de Malar en se levant. Vous ne risquez rien tant que vos actes ne cherchent pas à nuire au Traqueur.

Lentement, le regard de l'homme fixa chacun des aventuriers comme s'il cherchait à les jauger afin de choisir un gibier digne de lui, avant de se poser sur Iskender.

- Si votre compagne a suivi le Seigneur Bestial, oubliez la et rebroussez chemin. Sinon, affrontez votre destin...

Sur ces menaces à peine voilées, le barbu s'éloigna et disparut très vite entre les arbres, suivi par ses acolytes. Un profond signal succéda à leur départ laissant les "Pas Grands" circonspects. Portant son regard vers la cime des arbre, Kald n'y décela aucun mouvement, comme si les félins qui s'y trouvaient avaient, eux aussi, quitté les lieux.



Après quelques minutes passées à reprendre leurs esprits et commenter cette étrange rencontre, les aventuriers rassemblèrent très vite leur affaires pour lever le camp. Ces derniers évènements leur avaient encore fait perdre du temps mais, loin de les décourager, avaient encore accentuer leurs désirs d'aller de l'avant. Visiblement, ils étaient sur la bonne piste et plus trop éloignés de leur objectif.

Après une bonne demi-journée de marche, la végétation sembla s'éclaircir, signe qu'ils parvenaient enfin à la lisière de la forêt. Quelques bosquets épars bordaient maintenant la piste, devenue chemin de terre. Parvenus au sommet d'une colline, le groupe s'immobilisa. La mer apparut soudain sous leur yeux et, niché au bord de l'eau, un petit bastion s'étendait. Un navire avait jeté l'ancre à quelques encablures de la côte et des petits canots faisaient la liaison entre lui et le port de fortune.

Une palissade de fortune entourait ce dernier, allant jusqu'à la plage de chaque côté et son unique accès semblait être une porte en bois devant laquelle se tenaient deux hommes armés. Trois charriots, dont un portant une lourde cage de fer, étaient stationnés près d'une barraque un peu plus grande que les autres, elle aussi surveillée par des gardes armées.

Une approche discrète en plein jour était vouée à l'échec mais la nuit n'allait pas tarder à tomber et permettrait certainement aux plus discrets du groupe de parvenir jusqu'à l'enceinte du port.

Très déçu par l’attitude des chasseurs car il s’était trompé sur leur compte, Iskender prépara rapidement ses affaires pour partir avec ses compagnons. En même temps qu’il s’activait, il s’exclama :

- Eh bien, nous voilà avertis : en continuant nous risquons fort de nous heurter à ceux-là… Et ils semblent quand même assez costauds, d’autant plus s’ils ont des renforts cachés.
Je me demande bien comment ces chasseurs ont été recrutés par les esclavagistes et pourquoi traînent-ils comme cela en arrière : il ne doit pas y avoir des masses de gens qui poursuivent les esclavagistes sur ces chemins !
Bon, je suis prêt : après toi, Falrin !

Après quelques heures de chevauchée sans problème particulier, le groupe arriva en vue d’un bastion. Trois chariots et une cage de fer gardée par des hommes en arme indiquaient que la caravane qu’ils recherchaient était arrivée à son port d’embarquement. Un bateau était à l’ancre non loin, très probablement pour charger les esclaves.
Ils n’avaient pas réussi à rejoindre la caravane sur la route. La prudence, certainement exagérée, dont avait fait preuve le rôdeur les avait trop retardé.
Maintenant, délivrer les prisonniers allait être beaucoup plus difficile, sans compter que les chasseurs malveillants devaient les avoir gardés à l’œil même s’ils n’avaient pas été revus…
Iskender s’écria à mi-voix :

- Impossible de faire quelque chose maintenant qu’il fait encore jour : nous devons nous cacher et nous reposer.

Le groupe s’étant mis à l’abri, il reprit :

- C’est maintenant qu’il va falloir discuter d’un plan pour délivrer les esclaves.
Je pense que nous devrons agir cette nuit. Je ne devrais pas avoir trop de difficultés à franchir discrètement la palissade ne serait-ce qu’en passant par la mer, mais ce ne sera pas le cas de tout le monde, surtout avec des armures lourdes. Et éliminer les deux gardes sans donner l’alerte risque d’être impossible ou au moins très aléatoire. En outre, la serrure de la cage est peut-être difficile à ouvrir sans bruit, rappelez-vous la serrure dans les souterrains… Nous n’avons malheureusement personne qui sache ouvrir discrètement les serrures !
Essayons de voir combien d’adversaires nous avons : peut-être qu’éliminer tous les gardes du bastion, si c’est possible, sera plus efficace que d’essayer d’ouvrir la cage en tapinois au risque de se faire surprendre.
Les gardes sur le bateau mettront beaucoup de temps pour intervenir, et, si nous avons liquidé la garnison, on devrait pouvoir s’occuper d’eux.
Bon, mais première chose : évaluer les forces de la garnison !

- En effet Iskender, avançons par étape. Jafert fit une moue approbatrice en direction du rôdeur.

- Je pense ne pas m’avancer outre mesure en imaginant que ces pourritures doivent être bien supérieures en nombre que nous. Il était pensif.

- Peut-être pourrions-nous tirer avantage du fait que leurs forces sont divisées entre le navire et le fortin. Nous aurions besoin d’une diversion assez... spectaculaire. Un sourire vicieux se dessinait sur son visage.

ffectivement, Jaffert, les forces du fortin semblent trop importantes pour une attaque directe, même une attaque surprise.

Est-ce qu’il serait possible de mettre le feu au navire ? Ce qui, bien sûr, empêcherait l’embarquement des prisonniers.

Quelle est donc ton idée, Jaffert, tu m’intrigues beaucoup…

*Grrr*

Falrin aurait bien voulu casser du crane Malarite, mais l’heure était à la rapidité et les deux bougres avaient décidé de les laisser en paix. La suite de la poursuite fut harassante, la fatigue était la mais l'adrénaline maintenait l’énergie et l’envie du nain d’en découdre. Ils tomberaient rapidement sur les esclavagistes, il en avait la conviction profonde ! Mais quelle ne fut pas sa surprise lorsqu’il découvrit un bastion, défendu et gardé ! Voila qui ne serait pas a leur avantage.

La nuit permettrait au nain d’utiliser ses sens nocturnes, que les hommes n’ont pas naturellement.

- T’as bien raison Iskender, c’est la nuit qui s’ra not allié dans c’t’bataille. Pour la discrétion, ct’en effet pas trop mon fort. L’idée du feu c’est pas mal, mais j’sais pas bin faire ça, ajouta-t-il en regardant Kald dont il avait remarqué la préférence pour le froid. Ya aussi la possibilité qu’Kimo attire les gardes vers ici et qu’on les démontes avant d’aller au fortin.

- En tout cas faut pas traîner.

Le Fils du Gel eut bien du mal à ne pas baisser les yeux quand l'intimidant Malarite le dévisagea, vraisemblablement prêt à en découdre. La sauvagerie des adorateurs du Seigneur des Bêtes était sinistrement renommée à travers tout Faêrun, et il n'avait nulle envie de vérifier le bien-fondé d'une telle réputation. Aussi ne cacha-t-il pas son soulagement quand la brute tourna les talons et disparut dans les arbres.

- Vos chiens... interrogea-t-il en se tournant vers Iskender, ont-ils été charmés ? Ils n'ont rien senti venir ; ni les hommes, ni leurs fauves !

Ce mystère n'avait rien pour rassurer l'ensorceleur, qui depuis le début de leur périple en forêt comptait beaucoup sur le flair des canidés pour les prémunir contre le danger. Peut-être le rodeur avait-il une explication ?

Durant leur trajet, il continuait à fouiller la forêt de son regard inquiet. Il allait de soi qu'il gardait une distance raisonnable avec Murdock, dont il redoutait la conversation.

La scène qui s'offrit à sa vue, du haut de la colline, arracha un soupir de désappointement à Kald. Il avait espéré arriver trop tard et se débarrasser à peu de frais d'une mission inutile, et voilà que ce fichu navire n'avait toujours pas levé l'ancre !

Se laissant nonchalamment tomber de sa selle, il attacha les rênes de sa monture à une branche robuste avant de se cambrer pour étirer son dos endolori par le voyage. Ses compagnons, plus enthousiastes, esquissaient déjà les prémisses d'un plan qu'il feignait de ne pas écouter mais dont il n'avait pas perdu une miette. Falrin ne s'y trompa pas lorsqu'il surprit le froncement de sourcil désapprobateur du Sossrim, qui avait réagi comme par allergie au projet incendiaire qui se dessinait. Il resta muet cependant, attendant que le Tormtar prenne la parole...

Murdock écoutait les différents échanges et les propositions faites par ces compagnons. Il savait qu'ils attendaient son avis sur la question et il se devait de peser le pour et le contre vis à vis de la situation et du combat à venir probablement.

- Kald a raison. Nous devons en priorité éviter que les esclavagistes puissent embarquer les prisonniers. Nous devons donc s'occuper de ces barques. Cela doit être notre première cible au cours de l'attaque de ce soir.

Murdock réfléchissait encore à la suite et estimait que les esclavagistes ne resteront probablement pas réaction.

- Ensuite, les esclavagistes vont surement pas nous faciliter la tâche et ils sont probablement plus nombreux que nous, sans compter les Malarites présents qui sont de redoutables combattants. Pour détruire ces barques, nous devons faire une diversion. Si nous n'avons plus besoin, pour le moment, de nos chevaux, nous pourrions les lancer en direction du camp comme une chevauchée sauvage. Cela aura deux bénéfices. Tout d'abord, nous aurons une diversion pour notre action et ensuite, avec un peu de chance, nos adversaires se découvriront un peu.

Murdock poursuivait son raisonnement et espérait que le groupe allait acquiescer à son analyse de la situation.

- Cependant, je ne pense pas que nous ayons d'autres choix que de combattre nos adversaires. Si nouse empêchons les esclavagistes d'embarquer dans le navire, nous devrons forcément combattre. Maintenant, afin de préparer au mieux notre action de ce soir, il nous faut un plan d'action précis que chacun respecte.

Murdock regardait chacun de ses compagnons avant de poursuivre.

- Nous savons ce que nous avons à faire cette nuit. Agissez au mieux en fonction de vos compétences et pour le bien du groupe. Ne prenez pas de risques insensés. Nous devons tenir jusqu'à l'arrivée des renforts. Maintenant, pensez vous qu'il soit possible d'envoyer quelques flèches enflammées avec ce que nous disposons sur nous. J'ai mon arc long et mes flèches. Si nous parvenons à les enflammer, je pourrais probablement faire plus de dommage.

Murdock souriait à ces camarades.

- Si nous parvenons à mettre le feu au navire, cela provoquera très certainement le chaos et le désordre parmi nos adversaires. En outre, les prisonniers ne pouvant plus être conduit hors de ces terres, nous aurons accomplir notre mission. Qu'en pensez vous et estimez vous que cela soit possible ? Par contre, Kald, autant te le dire franchement dès maintenant, si l'occasion se présente d'éliminer les Malarites, je n'hésiterais pas à le faire. Et que chacun réfléchisse à la meilleure manière d'utiliser ses ressources pour l'action de ce soir.

La discussion se prolongeait et les contours de la stratégie esquissée par ses compagnons n'avaient rien pour plaire au Fils du Gel. Aussi intervint-il pour tempérer l'enthousiasme belliqueux des guerriers, rappelant que leur mission était de retarder le départ du navire et non d'assiéger le fortin des esclavagistes. Une attaque frontale ne pourrait tourner qu'à leur désavantage tant les forces étaient inégales ; cela était trop évident pour faire débat. Il valait mieux agir dans l'ombre, en sabotant les barques par exemple.

Le paladin se rangea rapidement du côté du bon sens, mais la satisfaction de l'ensorceleur fut de bien courte durée...

*Une chevauchée sauvage... forcément combattre... Les traits de son pâle visage se durcissaient peu à peu sous l'effet de la contrariété. Il darda un regard glacial sur Murdock à la mention de "flèches enflammées" et siffla de mépris lorsqu'il annonça son projet de "mettre le feu au navire". Une telle insulte à la Déesse était intolérable, mais il était trop dangereux de s'aventurer sur le terrain théologique avec le Tormtar.

- C'est trop dangereux, trancha-t-il d'une voix froide, catégorique, peinant à dissimuler sa mauvaise humeur. Un charme étrange émanait du Sossrim, un parfum de mystère et de danger qui le rendait presque intimidant. L'affrontement doit rester notre dernier recours. Les renforts n'arriveront pas avant deux ou trois jours, peut-être plus...

Il tourna la tête vers Jafert, son meilleur allié jusqu'à présent, pour appeler son soutien. Comme lui, le magicien n'avait pas l'esprit de sacrifice et ne risquerait probablement pas sa vie pour une mission où ils n'avaient clairement rien à gagner.

- Il vaux mieux agir discrètement... prudemment... L'ensorceleur n'avait que faire de passer pour un couard. Je peux créer une lumière invisible à ceux qui sont loin de moi : nous n'aurions donc pas besoin de torches. Saboter les barques éveilleraient les soupçons ; une chasse à l'homme nous débusquera rapidement. On pourrait peut-être prendre le contrôle du bateau, non ? La mer nous protégerait, ce serait facile à défendre.