Chapitre III : Des airs de hibou...

Haleena et Daphnis

Pour ne pas trop impressionner le fragile jeune homme, Patreveni - figure pour le moins intimidante - resta à l'écart.

Lire sur le visage d'Ahou les terribles efforts de remémoration que suscitaient les questions qui lui étaient posées n'étaient pas malaisés : ses lèvres se tordaient, ses yeux se révulsaient, fuyaient en tous sens, ses joues se creusaient, se gonflaient, ses sourcils se fronçaient, se soulevaient, faisant se plisser son front... Il cherchait, cela était certain, mais étrangement cette plongée dans ses souvenirs n'attaquait en rien la miraculeuse sérénité que le chant du vieux prêtre lui avait conférée. De son côté, Elvira gazouillait paisiblement en contemplant les plumes, un sourire béat aux lèvres. Daphnis avait-il déjà entendu parler de cette prière capable d'apaiser les émotions les plus violentes ?

L'ébervigé

- Grande prêtresse très méchante !lâcha-t-il, d'une voix singulièrement neutre.Blanc, tout... tout est blanc. Il faut pas lui parler : Ahou trop bête, stupide. Il plaqua les mains sur ses oreilles, ferma les yeux si forts sur sa peau se plissait. - Corne... Cornesoir ! déclara-t-il triomphant, ouvrant de grands yeux effarés. Il fallait croire, après avoir demandé quelques éclaircissements, qu'il s'agissait du nom de la prêtresse. Patreveni, sorti de la cabane, entonna une seconde fois son chant dont les effets, comme la plupart des bénédictions qu'accordaient les dieux, étaient limités. La deuxième question de l'élégant jeune homme avait laissé l'ébervigé des plus perplexe ; il fallait pourtant se presser. Ce ne fut que lorsque Haleena l'interrogea en lui montrant les maisons qu'il avait dessinées que sa langue se délia : - Ahou, Ahou vivait là. Avant... Une fois encore, le ton était étrangement détaché, là où il aurait dû exprimer tristesse ou nostalgie. Avant l'attaque des bêtes méchantes. Des loups, des ours à deux jambes. Méchants, méchants ! -------------------- Un jeune homme crasseux d'une quinzaine d'année, l'air hébété, sourit béatement. Il marmonne ou chantonne : ses mots se bousculent toujours, s'ordonnent quelques fois, restent le plus souvent vides de sens.

L'agitation commençait à regagner l'adolescent : il valait sûrement mieux arrêter un interrogatoire qui ne manquerait pas de déclencher une nouvelle crise. Était-il capable d'indiquer la direction de son village, ou même son nom ? Cela semblait douteux... Une vague panique planait sur le visage crasseux d'Ahou qui, confus, semblait lutter avec ses peurs.

La cuisson du lapin offrit une parfaite diversion, même si elle ne suffit pas à chasser la profonde inquiétude que l'interrogatoire avait ranimée en cet être innocent et fragile.


Phénix et Kalam

Skelli confirma à Phénix que quelques voix s'étaient élevées pour accuser les étrangers de la mort de Yusam : selon eux, des Uthgardts n'auraient pas failli, ils auraient réussi à arracher le druide à la mort. Mais plus que quiconque, c'était Vanetir qui était la cible des attaques les plus violentes. Son manque de sang-froid, sa couardise, étaient violemment moqués et plus d'un se jurait de la tuer s'il la croisait dans la forêt.

Skelli Piedsauvage

- Andar Coeurdebois parler demain... répondit-elle, un peu hésitante. Elle faisait sûrement la une supposition.La chasse, d'accord. Plus de nourriture, bon. Mais reposer bon aussi, ajouta-t-elle en posant sa lourde main sur l'épaule du rôdeur, comme pour lui intimer de se poser quelques temps. -------------------- Le corps musculeux de cette femme semble avoir été taillé au burin. Toujours sur le qui-vive, elle se meut avec une aisance déroutante. Sa mâchoire carrée ne se desserre jamais pour une parole oiseuse.

Tous

Ceux que l'Aigle avait choisis ne tardèrent pas à se retrouver autour du feu, près des deux roulottes.

Daphnis et Haleena avaient d'importantes révélations à communiquer. Était-ce pour cette raison que la jeune prêtresse avait reparu, quelques minutes après avoir entendu leurs voix ?

Daphnis avait remercié Ahou pour ses efforts et lui avait encore accordé quelques paroles bienveillantes avant de prendre congé pour le laisser à la dégustation de son lapin.

Tout en cheminant vers leur hébergement, le jeune élu divin s'était remémoré à plusieurs reprises les paroles de l'ébervigé qui leur avaient appris plus de chose qu'il ne l'aurait espéré. En outre, il était assez satisfait de lui-même et de ses intuitions. Il avait le sentiment de devenir celui qu'il rêvait d'être : l'un de ces aventuriers ingénieux et courageux qui par leur seule présence en un lieu pouvaient changer le cours des choses.

Daphnis n'avait adressé que peu de mots à Haleena et à Patreveni sur le chemin du retour, mais les avait remercié de leur intervention. Il s'était simplement permis de leur demander s'ils avaient connaissance de la communauté d'Ahou et de ces étranges créatures qu'il avait mentionnées.

Arrivé à destination, l'élu de Tymora s'était débarassé de son manteau, puis s'était assis pour profiter confortablement de la chaleur du feu. Un petit sourire aux lèvres, il brisa le silence qui s'était établi :

- Ahou nous a appris beaucoup de choses, à sa manière. Bien sûr, ceux d'entre vous qui l'ont croisé savent que ses propos sont décousus et parfois difficiles à interpréter. Mais néanmoins, il nous a confié quelques éléments importants...

Daphnis ménagea un petit silence pour faire monter l'impatience de son auditoire, avant de poursuivre :

- Comme je le pensais, son état est probablement lié au fait qu'il a croisé notre sorcière. Ce Gum qu'on a évoqué tout à l'heure souffrait de symptômes similaires : ce n'était pas hasard. Ahou nous a indiqué que la sorcière s'appelait "Cornesoir" et il nous a récité certaines de ses litanies. D'après ce qu'il nous a dit, il vivait dans un village qui a été attaqué par de "méchantes bêtes" : des loups et des ours marchant sur deux pattes.

Il conclut :

- Naturellement, ces ours à deux pattes pourraient être nos gobelours. Il semble en tout cas que la sorcière et ses troupes n'hésitent pas à s'attaquer de petites communautés, cela doit nous inciter à la plus grande prudence. Reste à savoir quelles sont ses intentions et s'il serait utile de partir à la recherche du village d'Ahou...

L'idée lui était venue en marchant. Explorer le village pourrait permettre de récolter de nouveaux indices. Observer les traces de pillage et de destruction pourraient leur apprendre beaucoup sur les intentions de leurs adversaires : cherchaient-ils des vivres ? Ou à apeurer les habitants de la région ? Ou quelque chose de plus précis ? Mais cela supposait évidemment de localiser le village et de se lancer dans un autre périlleux voyage.

Ecoutant d'une oreille attentive la conversation de Ceux que l'Aigle avait choisis, tout en faisant mine de rien, la jeune prêtresse d'Ilmater s'activait non loin du feu. Deux femmes sans âge l'avaient rejointe pour l'aider à préparer le repas des miséreux qui ne tarderaient pas à venir quêter à manger au modeste hôpital qui, en plus de soigner les maux, soulageait aussi les estomacs. Elle disparut un instant dans sa roulotte, la conversation égrenant les hypothèses autour d'Ahou, avant de reparaître un demi-sourire énigmatique aux lèvres.

- Les chasseurs ont retrouvé Ahou il y a presque deux ans, les interrompit-elle, son registre entre les mains. Je n'ai pas cherché plus tôt, n'imaginant pas l'importance que pourrait avoir ce pauvre enfant dans cette funeste histoire.

Elle ouvrit l'ouvrage puis le leur tendit, pointant du doigt les quelques lignes par lesquelles elle avait consignées l'insolite événement. L'écriture, petite mais ronde, était très lisible :

L'émotion de la toute jeune prêtresse avait dû être vive, car les lignes avoisinantes étaient dépourvues d'aussi vives effusions. L'arrivée d'Ahou au Puits de Béorunna précédait donc de quelques mois à peine la première apparition de la sorcière... Était-ce une coïncidence ?

La veillée entre les roulottes avait été de courte durée pour les aventuriers qui, exténués, s'étaient empressés d'aller dormir au sec. Une foule d'Uthgardts avaient pris place sous le préau de fortune de l'hôpital pour manger l'épais ragoût charitablement offert par l'Eglise d'Ilmater : beaucoup de femmes et leur marmaille, mais aussi quelques vieillards et des hommes jeunes mais estropiés. Haleena, pour qui les peintures tribales n'avaient aucun mystère, identifia plusieurs membres de tribus étrangères, pour la plupart issus des Poneys célestes, et, ce qui était inattendu, des Tigres rouges. Tous ces "intrus" portaient sur leur visage le signe de l'exil.

5 Kythorn 1373, Année des Dragons Renégats
Puits de Béorunna, Nord des Marches d'Argent
Village des Uthgardts

Alors que chacun reprenait des forces, qui restant allongé plus longtemps que de coutume, qui prenant soin de son corps, qui encore briquant armes et armures, Kalam, lui, ne s'était pas laissé aller à l'oisiveté. Le taiseux aquafondien, secret mais sagace, était allé trouver l'un des rares habitants du Puits de Béorunna avec lequel il pouvait communiquer sans entrave : Prudhosk Maindor, l'usurier véreux. De tous les villageois, qui d'autres que ce puissant marchand pouvait être mieux informé sur ce qui se passait au-delà de la haute palissade de bois qui abritait la tribu ? Toutes les caravanes et tous les colporteurs passaient par son entrepôt, charriant avec leurs cargaisons leur lot de nouvelles et de rumeurs...

Leur compagnon avait eu une bonne intuition, car le demi-orc avait eu vent de l'attaque d'une petite bourgade, à l'ouest du Boislune, il y avait presque deux ans. S'il avait oublié le nom du village, l'identité des agresseurs lui était bien restée en mémoire tant elle inspirait la crainte : des Malarites, à la faveur de la pleine lune, avaient laissé libre cours à leur sauvage bestialité ! On imaginait bien que le roué n'avait pas livré gratis une information aussi précieuse à un inconnu : sans se répandre en détails, Kalam expliqua qu'il devrait leur fausser compagnie pour s'acquitter auprès du cupide Maindor. Le mercenaire avait-il saisi une belle occasion de se soustraire à la malédiction de l'Aigle ? Il ne semblait nullement embarrassé de les abandonner...

Khelrod, quant à lui, eut plus de scrupules à les quitter. Partagé entre son sens du devoir, qui lui imposait d'enquêter sur la menace qui se terrait dans le Bois Froid, et la peur de voir grandir la sombre influence de sa hache sur son esprit, il avait tranché en faveur du mal le plus imminent. Ne pouvant se défaire de l'arme maudite, héritage ancestral de son clan, il irait consulter les Maîtres de Forge de la citadelle de Felbarr. Prenant Moradin comme témoin de sa promesse, il les assura que son retour auprès d'eux serait aussi prompt que possible.

Les informations de Kalam rebattaient les cartes... Skelli pensait que les aventuriers pourraient en apprendre plus sur l'attaque des lycanthropes à Quaervarr, village sylvestre au sud du Boislune, dont les habitants livraient depuis longtemps une guerre féroce aux adorateurs de Malar.

Les quelques heures de répit et la bonne nuit de sommeil qui avaient été offertes à Daphnis lui firent beaucoup de bien. C'est rasé, lavé et reposé qu'il s'était réveillé, avec une énergie retrouvée. Il aurait bien passé plus de temps avec Haleena et Skelli pour tenter d'en apprendre plus sur le Puits, sa langue et ses traditions, mais l'enchaînement des événements avait coupé court à ses projets : une double défection et une nouvelle piste avaient émergé.

L'élu divin ne fut guère étonné du départ de Kalam : le taciturne aventurier avait toujours semblé agir à contrecœur et être plus impatient de les quitter que de les seconder dans leur enquête. La défection de Khelrod était plus surprenante tant le paladin s'était battu pour retrouver Yusam, mais Daphnis estima qu'il devait avoir ses raisons. Force était cependant de constater que leur petit groupe était fortement déforcé : si l'on ajoutait à cela la disparition de Vanetir, ils avaient perdu la moitié de leur effectif !

Kalam leur avait laissé une piste des plus intéressantes, nettement moins hasardeuse que de parcourir la région en se fiant au dessin d'Ahou. L'idée avait traversé plus d'une fois l'esprit du jeune homme, mais elle semblait constituer un dernier recours, faute de mieux, tant l'esprit d'Ahou était dérangé.

Après que Skelli leur ai exposé ses hypothèses, Daphnis fut le premier à prendre la parole :

- La piste de Kalam semble intéressante en effet. Peut-être que les habitants de Quaervarr pourront nous en apprendre plus sur ces lycanthropes et sur la communauté d'Ahou. Tout est probablement lié d'une manière ou d'une autre...

C'est d'une voix plus hésitante qu'il interrogea Skelli :

- Cependant, nous avons déjà perdu trois des nôtres. La tâche n'est pas facile. Skelli, la route vers Quaervarr est-elle sûre ? Es-tu prête à nous guider ? Serons-nous assez de quatre pour la parcourir ou devons-nous chercher du renfort ?

L'élu divin se tourna ensuite vers Phénix et Haleena :

- Quant à vous, souhaitez-vous poursuivre ? Je ne doute pas de ta motivation Phénix, mais Haleena a une petite fille. Et les épreuves qui nous attendent pourraient être aussi éprouvantes que celles que nous avons traversées.

Il regarda Haleena droit dans les yeux, intensément. Le choix lui revenait. Daphnis espérait qu'elle se joigne à eux, mais il ne voulait pas lui forcer la main.

Lors de la veillé, Haleena repéra sans mal les peintures Poneys Célestes et c’est en toute simplicité qu’elle alla au-devant des refugiers qui profitaient de l’aide alimentaire de l’église.

- Que faites-vous ici ? Je vois à vos marques que vous êtes de la tribu des Poneys Céléstes.

- Cela fait plusieurs semaines que nous avons quitté les steppes. Ils hésitaient à parler mais en réponse au sourire d’Haleena, leur langue se délia. Nous avons décidé d’abandonner la horde, Wolmad mène notre tribu à sa perte, nous n’avons jamais eu autant d’ennemis et nous sommes chassés partout. Heureusement que l’église d’Ilmater veille sur nous.

Haleena découvrait qu’elle n’était pas la seul à avoir rejoint le Puit de Béorunna pour changer de vie, en quelques sorte cela lui faisait plaisir. Mais le groupe que constituait ces réfugiers ne représentait pas une puissance nécessaire à former une nouvelle tribu.

L’histoire de Kalam faisait de lointains échos à la rencontre avec Ahou. C’était l’indice qu’attendait Haleena depuis longtemps. Et si l’ébervigé venait bien du village de Quaervarr, il possédait peut être encore de la famille la bas.

Le temps sembla s’arrêter quand la barbare se perdit dans les yeux de l’élu divin. Le jeune homme avait quelque chose d’unique et en même temps semblait ne faire qu’un avec le monde uthgart. Apres un temps qu’Haleena estima long, elle ne put se retenir de cligner des yeux.

- Oui Daphnis. Je pense Ahou doit venir avec nous. Peut-être c’est sa maison. Haleena venait de se compter dans la mission d’enquête, elle qui quelques instant avant était prête a s’installer confortablement au Puits de Béorunna pour s’occuper d’Elvira.

Sans le dire franchement - sûrement par crainte de froisser l'élu divin, qu'elle semblait tenir en haute estime - Skelli était réticente à faire le voyage jusqu'à Quaervarr. Elle assura ses compagnons d'hier que la route était plutôt sûre, à condition de ne pas s'aventurer en dehors du chemin. Les menaces se terraient dans les profondeurs des montagnes et l'épaisseur des bois ; elles n'en sortaient que rarement, généralement à la faveur de la nuit. Phénix connaissait la piste pour l'avoir empruntée quelques jours plus tôt : sa mésaventure dans la forêt des Arbres de Nuit paraissait confirmer les dires de la barbare. Quant à la traversée de la Coulée Rouge, elle serait sans doute plus facile désormais que le ciel s'était calmé.

La route apparaissait d'autant plus sûre qu'ils devraient croiser Thard, l'arrogant prêtre de Heaume, parti à la rencontre du convoi qu'avaient justement laissé derrière eux Kalam et Phénix. Le retard du jeune prêtre et de ses guerriers commençait à susciter des inquiétudes ; de mauvaises langues allaient même jusqu'à dresser un parallèle avec la disparition de Yusam.

- Oui, mon ami! Je me dois de continuer. J'ai promis et donc j'irai jusqu'au bout!

Répondit laconiquement le rôdeur à l'interrogation de Daphnis.

Bien que leur groupe s'amoindrisse de jour en jour, Phénix avait une mission et celle-ci avait la priorité sur tout le reste. Il irait jusqu'au bout de celle-ci même si cela signifiait d'y aller seul.

- Allons prévenir Andar, notre aller-retour vers Quaervarr correspondra peut-être avec le retour des éclaireurs.

- Ensuite nous pourrons faire le point avec lui et voir ce qu'il y aura lieu de faire sur base de ce que nous aurons trouver à Quaervarr et sur base de ce que les éclaireurs auront trouvé dans le Bois Froid.

Les compagnons avaient besoin d'information afin de prendre de bonnes décisions. Même si son coeur lui disait d'aller à la recherche du campement de la sorcière et de ses gobelours, le jeune rôdeur savait qu'ils devaient rester vigilants et maintenant encore plus qu'avant avec la disparition de Vanetir et le départ de Kalam et de Khelrod.

- Nous sommes affaibli, trouver des informations et de l'aide ne sera pas du luxe dans notre position.

Ajouta-t-il bien que cela ait été une évidence pour les trois derniers élus de l'aigle.

- Ah, vous pas penser que c’est village de Ahou…
Haleena restait pensive. Puis elle haussa les épaules. La présence de l’ébervigé pouvait certainement apporter son lot d’imprévus et d’embarras, c’était peut être un bon choix.

Haleena avait du mal à estimer les distances, elle qui avait toujours voyagé au grès des pâtures et à dos de poneys. Le voyage vers Quaervarr ne semblait n’être qu’une formalité pour ses compagnons ce qui rassura la jeune mère.

- Si c’est pas loin, je préfère ne pas me séparé de ma fille. Je très peur pour elle, pendant dernière expédition.

Ses camarades étaient près à subir les conséquences d’un par respect pour Haleena. Elle apprécia l’attention même si elle n’en fit rien paraitre. ¤ Ces hommes du sud sont bien sages et polis, c’est plaisant et encourageant. ¤

Alors que la troupe s’apprêtait à quitter le village, les voyageurs réunissant leur bardât et les dernières provisions pour quelques jours, une vieille femme issus des réfugiés Poneys Celestes interpella Haleena en bothii :
- C’est très courageux ce que tu vas faire pour nous! Confies-moi ton enfant, je m’en occuperais bien, je lui chanterai des chansons de notre tribu.
La barbare fronça les sourcils, elle était déstabilisée par la proposition. Elle avait pris sa décision, il y avait certes des risques et elle allait peut être mettre Elvira dans des situations dangereuses mais la savoir dans son dos était la meilleure solution pour elles deux.

-C’est gentils vielle femme. Je sais ce que je fais. La dernière fois, j’ai regretté d’abandonner mon enfant, plus jamais je ne le referais.

-Mais c’est très dangereux pour elle, pour toi, pour votre groupe.

- Chut, je décide. Je sais.
L’ancienne semblait déçu ou triste mais son instinct maternelle lui disait aussi qu’elle aurait pris la même décision et la conversation s’en arrêta là.

Haleena attendait ses camarades à la sortie du village, elle caressait la crinière du lourd cheval de trait, qui soufflait tant qu’il pouvait. Pour sûr, ce bourrin n’avait rien à avoir avec les bidets de la tribu du Poneys Célestes, voyagé sur l’animal serait ridicule. Ils allaient encore devoir marcher pendant des heures dans la boue glissante.

Andar avait prêté une oreille très attentive à l'exposé des nouveaux éléments que Ceux que l'Aigle avait Choisis apportaient à l'enquête. La piste lui paraissait ténue, mais pas au point d'être ignorée : dans l'attente des éclaireurs dépêchés dans le Bois froid, il était préférable de l'explorer plutôt que de rester inactifs au village. Avec une franchise un peu brutale, le chef avait ajouté que leur absence permettrait aux esprits échauffés de s'apaiser...

Ce dernier avait décrit les habitants de Quaervarr comme des gens peu accueillants, dont le cœur et l'esprit étaient rongés par la méfiance. La cause en était la guerre sauvage qui les opposait depuis des années à une meute de lycanthropes des plus farouches, qui revendiquaient la propriété exclusive du Boislune. Une série de meurtres avait conduit le village à se refermer sur lui-même, au point de considérer tout étranger comme un suspect, voire une menace. Aussi leur avait-il confié à chacun une petite figurine d'ambre sculpté, grosse comme le point d'un enfant, représentant un lion gueule grand ouverte. Au dos de celle-ci, sur une surface plane et polie, était gravée un curieux symbole qui correspondait en quelque sorte à son blason, ou marque personnelle. Haleena, plus familière de ces signes, reconnut la signature qui marquait l'appartenance au clan Coeurdebois, enchâssée entre les lignes qu'arborait en tatouage ou peinture faciale presque tous les membres de la tribu des Lions noirs. Le chef espérait que ce gage leur ouvrirait les portes bien gardées de Quaervarr, mais n'avait aucune certitude...

Ils partirent le lendemain matin, dès l'aube, après avoir harnaché une partie des bardas sur le cheval de Phénix pour plus de confort. Si les bois des Arbres de Nuit, qui bordaient de part et d'autre la piste, semblaient des plus lugubres et hostiles, le voyage se passa sans encombres jusqu'au gué de la Coulée Rouge. Le temps était froid et sec, ce qui le rendait bien plus supportable que l'humidité assassine du Bois froid. Haleena perfectionnait son commun en conversant de choses et d'autres avec ses deux compagnons, que la contrainte de s'en tenir à un vocabulaire des plus élémentaires pouvait peut-être agacer à la longue.

Phénix reconnut au loin les grands cairns qui délimitaient le passage ; le débit de la rivière semblait bien moins rapide et tumultueux que la dernière fois. Les aventuriers hâtèrent le pas, bien que l'obscurité commençât à tomber : ils tenaient à traverser avant d'installer leur bivouac, afin de pouvoir se sécher et se réchauffer. Quel fou commencerait une journée de marche par un bain de pieds gelé ? Sur cette rive comme sur l'autre, il n'y avait nulle trace de Thard ou du convoi au devant duquel il s'était porté. La terre, humide et meuble, était trop piétinée pour qu'on puisse distinguer la trace du Heaumite et de ses hommes ; mais des traces de roue, elles, auraient été parfaitement identifiables s'il y en avait eu. Peut-être les plus pessimistes des Béorunnars avaient-ils finalement raison de s'inquiéter ?

Depuis le bosquet où elle s'était réfugiée en les voyant apparaître au loin, sur l'autre rive, Eliza avait observé les trois voyageurs traverser le gué, se rechausser en plaisantant, puis chercher un endroit propice à l'installation d'un camp. Le ciel s'était teint de couleurs mordorés alors que le crépuscule approchait. Il ferait bientôt nuit.

Petite interruption dans le voyage (qui fera l'objet d'une ellipse) pour introduire du renfort : la jeune et impulsive Eliza, venue retrouver Khelrod.

Pour quiconque connaissait sa mère, il était désormais évident qu'Eliza était sa fille. A la notable exception de ses yeux rouges, et des deux cornes qui pointaient parmi ses cheveux, la jeune tieffeline était désormais le portrait craché de sa génitrice plus jeune. La sveltesse et les traits séducteurs naturels de son atavisme diabolique en plus.

Khelrod peinerait probablement à reconnaître la jeune femme qu'il avait rencontré un an plus tôt tant elle avait changé. Elle avait abandonnée la capuche qui cachait les signes de son héritage, ses muscles s'étaient serrés grâce aux incessants entrainements de son maître, et ses avants bras comme ses mains étaient maintenant couverts de cicatrices que l'arc long présent sur son dos lui avait laissés. Mais il la reconnaîtrait très vite tout de même. Ce qui l'avait poussé à chercher le nain par monts et par vaux ces dernières semaines, avec l'aide des informations qu'elle avait reçue du Conclave et des conseils de ses maîtres, lui semblait cependant un peu légers au regard de la fatigue qu'elle commençait à ressentir.

¤Et dire que maman n'est même pas là pour me féliciter¤, ne put elle s'empêcher de penser avant de se reprendre. Elle était toujours une jeune fille finalement, même si elle avait été envoyée en mission.

C'est une forme de chance qui l'avait déposée sur ce vieux chêne. Elle avait suivie une piste jusqu'ici sans vraiment être sur et, par bonheur, le groupe qu'elle cherchait... était là. Du moins c'est ce qu'elle pensait.

- Soyez louée, Ma Dame..., murmura t'elle dans un soupir de soulagement remerciant la Dame des Forêts.

Elle sauta prestement de branche en branche et s'approcha. Si sa discrétion naturelle ne lui faisait pas faire de bruit, elle n'essaya pas pour autant de se cacher. Mieux, elle alluma sa lanterne sur le chemin. Le groupe du voir arriver dans la pénombre deux yeux rouges entourées d'une crinière presque aussi rouge. A la limite de de la lueur du camp, elle s'arrêta. Ne sachant pas trop comment se présenter, elle se pris à haussez les épaules avant de commencer :

- Salut ! Je suis Eliza, j'ai un message de la part de Lunargent pour Khelrod. Vous sauriez où il est ?