Chapitre 2 : Maman, "M" et les hors-la-loi

- Les vrais fidèles survivent, rétorqua le fervent Sossrim, aussi indifférent aux engelures de Jafert qu'aux cadavres glacés qu'ils avaient abandonnés dans la geôle. Leur foi les protège.

Si beaucoup de divinités mettaient leurs adorateurs à l'épreuve, peu allaient jusqu'à punir de mort le manque d'enthousiasme. Saukuruk était-elle une déesse maléfique et cruelle ? Ou incarnait-elle plus simplement la Nature dans toute sa rigueur ? L'Hiver était après tout une saison redoutable et brutale... Quelle que fût la trempe de la Vierge de Glace, force était de reconnaître que l'ensorceleur avait miraculeusement été épargné par le froid. Ses compagnons souffraient déjà d'engelures cuisantes quand il avait commencé à éprouver les premières morsures du gel, presque anodines.

Alors que Falrin prodiguait quelques soins inutiles aux plus faibles des prisonniers, Kald détailla d'un regard défiant le nouvel arrivé. Sa carrure massive comme son accoutrement le désignaient comme un guerrier, vraisemblablement un de ces fameux Poings de Torm par lequel la Justice imposait son règne ici-bas. Ces fanatiques, réputés pour leur manque absolue de souplesse en matière de morale, ne transigeaient pas avec la loi, ni avec leurs principes... Il lui faudrait se montrer prudent..

- Un piège ? releva-t-il d'un ton interrogateur, dardant un regard sévère sur l'Amnien. Ce faux-jeton s'était bien vite dédouané en accusant la Déesse ! Et quels secrets protégeait-il, Jafert ?

Avant que le magicien n'ouvre la bouche pour répondre, le Fils du Gel réprima ses paroles d'un geste désinvolte de la main. L'heure n'était pas venue de régler leurs comptes, ni de se quereller.

- Plus tard... L'urgence est d'aller à Zarmshield avant qu'il ne se débarrasse des preuves de sa trahison, ou qu'il ne s'échappe. Grista avait sans doute couru chez son maître, le temps jouait contre eux. La caserne est-elle sur notre route ?

Un froid glacial leur défendait l'accès aux entrailles de l'entrepôt, ils devaient explorer une autre voie.

La serrure avait été brisée, mais pas par Iskender mais par le nouveau venu. L’essentiel étant que les prisonniers aient pu sortir. Malheureusement pas tous, hélas.
Et, en plus, Kimo, qui était resté fidèlement avec son maître, était inconscient. Le prêtre avait jeté un sort de guérison sur Kimo : une bonne action. Iskender essaya aussi de jeter un sort de premier soin sur Kimo et sur lui aussi.
Falrin s’était aussi occupé des prisonniers blessés.
Les choses les plus urgentes faites, la discussion sur la suite à donner à l’enquête eût lieu dans le groupe dans lequel s’était intégré le nouveau renfort, Murdock, un vrai combattant semblait-t-il.
Le souterrain étant inaccessible car le froid mortel y régnerait encore plusieurs heures, il ne restait que deux propositions d’action qui pouvaient peut-être être menées de front : soit on allait voir Finsire pour dénoncer les malfaisances de Zarmshield, soit on allait directement chez Zarmshield pour essayer de l’attraper.
Iskender exprima son opinion :

- Kimo et moi ne sommes pas au meilleur de notre forme. Je me propose pour conduire les anciens prisonniers à Finsire pour le mettre au courant et continuer les soins dont ils ont besoin. Si vous voulez aller bloquer Zarmshield pour l’empêcher de s’enfuir, je lui dirai de vous envoyer des renforts. Mais, bien sûr, je ne peux pas garantir qu’il les enverra. Cependant, le fait qu’il nous ait envoyer Murdock montre qu’il est tout à fait prêt à nous aider.

Battre le fer tant qu’il était encore chaud semblait être une bonne solution encore que Jafert pour sa part était très mal en point. Jafert répondait malgré ça, à la proposition de Kald avec des hochements de tête ignorant la dernière provocation de l’ensorceleur.

- Nous avons bien fouillé les niveaux superficiels du hangar, cher Murdock. Jafert préférait taire les découvertes nécromantiques et la tentative d’invocation. Ces recherches intellectuelles ne pourraient qu’attiser le fanatisme d’un paladin ou d’un prêtre qui n’avait rien de si dérangeant aux yeux du magicien amnien mais attiser plutôt sa propre curiosité.

- L’encre ne pourrait pas être plus noire. Je ne sais pas si je peux me permettre une nouvelle altercation et ce Zarmsheild semble être un homme puissant. Je suis prêt à vous suivre jusqu’à son échoppe et on verra une foi là bas. Lançait il un peu inconsciemment.

Rapidement, Falrin s'était occupées des différentes personnes inconscientes. Alors qu'un homme éploré ne comprenait pas pourquoi le prêtre usait de magie sur certaines victimes et pas sur l'autres, le nain dut expliquer, avec douceur mais fermeté, qu'il ne pouvait pas intervenir si Kelemvor avait déjà posé les mains sur la victime. La magie d'Haela s'immisça lentement dans les corps gelés des deux enfants, redonnant quelques couleurs à leur peau livide et leur permettant de retrouver une respiration moins filante.

Reconnaissant, Iskender observa Falrin redonner vie au fidèle Kimo qui se retrouva bientôt sur "pattes" et rassura son maître en lui léchant consciencieusement le visage. Perplexe, le rôdeur, après avoir constaté le manque d'efficacité des premiers soins qu'il avait pratiqué de façon "naturelle", ne put s'empêcher d'observer attentivement la façon dont la magie divine opérait. Le Shou tenait peut-être là une piste d'évolution...

Bien qu'il eut été très utile de pouvoir retourner dans l'entrepôt et en fouiller plus en détail les sous-sols, le froid mortel qui y régnait toujours restait dissuasif pour toute exploration. Nul ne sachant combien de temps durerait encore ce phénomène, le groupe ne pouvait, visiblement, pas perdre trop de temps à attendre que les manifestations de cette magie ne se dissipe, d'autant que les malheureux prisonniers, ainsi que certains aventuriers d'ailleurs, avaient besoin de soins urgents.

Une fois de plus, les avis divergeaient pour savoir ce qu'il convenait de faire. Alors que Falrin et Iskender privilégiaient la santé des victimes affaiblies, puis l'appel à l'autorité du guet, Kald, suivi de façon peut-être inconsidérée par Jafert, voulait mettre la pression sur Zarmshield, étant convaincu de la culpabilité de l'alchimiste. Nouvel arrivé dans le groupe, Murdock penchait plutôt sur une approche plus "officielle", via un rapport à Liras Finsire, mais aurait préféré disposer de davantage de preuves, preuves qu'il était difficile d'aller rechercher immédiatement.

Finalement, un compromis boiteux fut encore trouvé : les adeptes de magie profane iraient surveiller Zarmshield, attentifs à l'empêcher de fuir, tandis que le reste du groupe irait voir le commandant de la garde, après avoir confié les prisonniers aux soins d'Ilmar N'Rys, prêtre du temple de Valkur.



Pour s'y être déjà rendu, Jafert guida sans difficulté son compagnon jusqu'à l'échoppe d'alchimie. Celle-ci paraissait tranquille, une clientèle clairsemée s'y présentant de façon régulière. Par les fenêtres encrassées, il était difficile de voir ce qu'il se passait réellement à l'intérieur mais il n'y avait aucun signe d'une quelconque agitation qui aurait été un signe évident de fébrilité. L'étage de la maison, qui abritait très certainement les appartements du marchand, semblait vide à cette heure de la journée. En contournant la boutique, il était possible de s'éloigner de la rue passante pour y accéder par l'arrière, donnant sur une ruelle étroite et déserte.



De son côté, le reste du groupe se trouvait dans le bureau de Finsire. Bien que très occupé, le paladin avait consenti à bouleverser son emploi du temps pour recevoir les Pas-Grands et entendre leur rapport.

Si le compte-rendu de Falrin, partiellement confirmé par Murdock, pour ce qu'il en avait vu depuis sa jonction avec le groupe, confirmait une activité criminelle dans l'entrepôt, il était encore difficile d'y relier directement Zarmshield. Certes, de fortes présomptions existaient mais aucune preuve n'étayait de façon irréfutable la culpabilité de l'alchimiste. Tout au plus, Finsire pourrait décréter d'une perquisition dans son échoppe mais il se retrouverait dans une situation compliquée si rien n'était trouvé.

Néanmoins, le chef de la garde envoya immédiatement un sergent et deux hommes pour surveiller l'entrepôt, en leur demandant de sécuriser les lieux et d'y pénétrer dès que la température le permettrait. Puis, se tournant vers le groupe, il demanda une confirmation aux aventuriers :

- Êtes-vous vraiment certains de ce que vous avancez ? Je suis prêt à vous accompagner pour interpeler Zarmshield et fouiller sa maison mais vous devez être conscient que nous devrons impérativement y trouver quelque chose de tangible pour appuyer cette arrestation sinon je me verrais obligé de le relâcher immédiatement.

Les preuves manquaient, Falrin en était conscient. Mais il était tellement persuadé d’avoir raison qu’il ne pu s’empêcher de contre argumenter :

- Nos trouvailles, les lettres écrites d’la main d’Zamrhiled, la voix d’Jakar Junior que nous avons entendue, d’tout ça je suis sûr ! Vous pourrez solliciter les prisonniers que nous avons délivrés d’une mort certaine, ils pourront très certainement r’connaître tous les visages qu’ils ont vu défiler d’vant eux.

- En c’moment même Jafert et Kald, nos deux compagnons se sont rendus à la boutique d’Zarmshield, ils n’attendent qu’votre soutien pour trouver les preuves supplémentaires d’sa culpabilité. Mais il faut agir vite ! Maint’nant que nous avons fourré not’ nez dans leurs affaires, y vont vite réagir et s’efforcer d’effacer toute traces.

Espérant un appui de Murdock, il compléta :

- Ce preux Paladin en qui vous devez sûrement avoir toute confiance pourra confirmer mes dires.

- Enfin… vous savez au fond de vous ce qu’il en est vraiment de Zarmshiled et sa clique. C’est le moment d’agir. Vous aurez tout not’ soutien.

Jet de social

Heureux que son chien ait échappé à la mort et content des soins prodigués par Falrin, aussi bien à Kimo qu’à lui, Iskender suivi le prêtre et le paladin chez Finsire, accompagnant les prisonniers libérés.
Devant les réticences du chef de la garde à aller perquisitionner la boutique et le domicile de Zarmshield, Iskender donna son avis :

- Il me semble qu’une perquisition est bien nécessaire. Nous avons bien conscience que rien ne dit que nous trouverons une preuve quelconque de la culpabilité de Zarmshield chez lui ou dans sa boutique ; et notre simple parole, en tant qu’étrangers à la ville, ne pèsera pas très lourd face aux dénégations d’un très important citoyen de la ville. Cependant il y a suffisamment d’indices qui justifient ces perquisitions :
D’abord, l’entrepôt où se trouvaient les prisonniers lui appartient, ceci est incontestable. Ensuite nous l’avons vu se rendre nuitamment à l’entrepôt et discuter avec la naine et enfin il ne doit pas être difficile de prouver que la naine est, ou était, à son service. Les prisonniers doivent pouvoir attester avoir vu cette naine dans le souterrain. Et j’ajouterai aussi qu’une analyse plus approfondie des documents que nous avons trouvés pourra très probablement confirmer que Zarmshield est responsable au minimum des emprisonnements.
Certes, je suis d’accord avec vous : arrêter Zarmshield sur les seuls indices que nous avons actuellement serait problématique mais, sur la base de ces seuls indices, une perquisition est tout à fait justifiée.
J’ajouterais même qu’il faut y aller très vite avant qu’il ne fasse disparaître des preuves compromettant pour lui, s’il a commis l’erreur d’en garder chez lui…

Les minutes s’égrainaient alors que les deux tisseurs de toiles attendaient dans l’ombre de la venelle mais rien ne se passait ici. Jafert s’adossait à un mur.
- Ca va vite me saouler cette histoire, je déteste attendre !

Pour rompre le silence de l’attente, le magicien ajoutait.
- Je suis dégouté, il y avait une baguette dans le meuble protégé par le piège. Il faudrait vraiment y retourner pour la récupérer avant que d’autres ne s’en chargent.

- Regardes ce que j’ai ramassé plus tôt! Jafert révélait les différentes fioles et onguents. Qu’en penses-tu ? Les deux thaumaturges inspectaient les substances et tentaient de fouiller leur mémoire encyclopédique des recettes magiques afin de les identifier avec précision. On avait déjà vu mieux coté surveillance mais pouvait on leur reprocher ça, ce n’était pas espions mais des intellectuels.


Je veux bien une identification des differentes substances.

Murdock écoute attentivement les propos de ces compagnons ainsi que ceux de Fnsire et il se doit d'intervenir.

- Je n'ai rien qui puisse contredire les propos de mes compagnons par rapport à ceux qu'ils ont vu dans cet entrepôt. Je suis malheureusement arrivé trop tard pour avoir pu estimer davantage la situation.

Murdock prend quelques instant pour réfléchir.

- Je comprends également parfaitement qu'en tant que notable de Tulmène nous ne pouvons pas procéder sans preuve irréfutable à l'encontre de Zarmshield. Et, comme vous le soulignez, Finsire, nous n'en avons pas de preuves incontestables en l'état.

Murdock regarde ces compagnons pour avoir leur soutien et pour tenter une autre approche.

- Cependant, nous ne pouvons pas ignorer ce qui s'est passé dans cet entrepôt dont le propriétaire est Zarmshield. Je vous propose donc une solution intermédiaire à la perquisition, dans un premier temps. J'imagine, Finsire, que vous disposez de la liste des lieux appartenant à Zarmshield à Tulmène. Cette liste pourrait nous être utile en vue de l'option que je souhaite vous proposer.

Murdock attend quelques instants pour avoir un signe de la part du commandant avant de poursuivre.

- Ce qui s'est déroulé dans l'entrepôt va rapidement circuler dans les rues de Tulmène notamment lorsque les prisonniers seront soignés au temple. Dans la matinée, tout au plus, la rumeur circulera. Dans ce cas, utilisons les évènements de cette nuit pour avoir le maximum d'effet. Mandatez moi au nom du guet de Tulmène afin d'exposer les terribles évènements qui ont frappé l'entrepôt auprès de Zarmshield et lui demander de me transmettre toutes les informations possible concernant ce lieu et ceux qui aurait pu engendrer une telle tragédie. Cela me permettra d'évaluer cet individu et, comme le souligne mes compagnons, cela entraînera, s'il est coupable, une réaction immédiate de sa part et de ses hommes. Si cela advient, moi et mes compagnons, interviendront alors pour récupérer preuves et, si nécessaire, procédé à l'arrestation de Zarmshield. Qu'en pensez vous ?

Murdock n'avait pas eu le temps d'exposer son idée à ces compagnons mais il savait, par expérience, que le commandant va être très réticent à agir contre un notable sans preuves irréfutables. Il espère que ces deux amis se rallieront à son idée.

Falrin n’était pas d’accord pour attendre, Murdock jouait le temps et la sagesse propre aux Paladins rangés de Torm, mais pour combattre le grand banditisme, il fallait plus de ressources que seulement des procédures.

- Vous voul’ez qu’on attende d’avoir des preuves pour pouvoir intervenir, alors que c’est l’intervention qui nous permettra d’en avoir plus. Vot’ dilemme c’est la poule et l'œuf ! Ça nous conduit à l’inaction, l’immobilisme. On vient d’frapper un grand coup, enfin d’remuer la fourmilière, alors c’est maintenant qu’il faut agir s’emporta le prêtre-nain.

Respirant un bon coup, le nain reprit :

- Parce que vous seriez mandaté officiellement et que votre jugement s’exerçait on s’rait mieux armés pour la suite ? C’est tout vu, vous connaissez Zarmshield et qui il est vraiment. Pas besoin de lui donner plus de temps pour masquer toutes ses activités illégales. La réaction d’ses hommes elle est d’jà en cours, faut pas rêver.

- Et puis seulement à la fin vous voulez qu’on intervienne pour trouver d’autres preuves ? C’est maintenant qu’il faut y aller. À quoi bon remettre à demain ce qui est tout cuit et prêt à tomber ?

Falrin qui s’était principalement adressé à Murdock, sur un ton ferme se dirigea vers Finsire, attendant sa décision.

Couvant la porte de l'échoppe d'un regard prédateur, l'enfant du Grand Glacier se montrait bien plus patient que Jafert. Dès son enfance la chasse lui avait enseigné cette vertu, qu'une vie austère et studieuse à la Maison Froide avait insensiblement consolidée.

*Une baguette ! L'imbécile !* s'étrangla-t-il intérieurement, ses minces sourcils se fronçant en signe de réprobation. Le magicien ne connaissait-il donc pas la valeur d'une telle arme ?

- C'est peine perdue, la milice mettra la main dessus la première, rétorqua-t-il d'une voix glaciale, presque méprisante, avant d'écarter d'un geste agacé les babioles que lui tendait Jafert. Je n'ai pas le temps pour ça, je vais jeter un œil derrière.

Était-ce là un prétexte pour fausser compagnie à l'irritant Amnien ou pensait-il vraiment découvrir quelque chose dans la ruelle ? Les substances alchimiques n'intéressaient pas Kald ; il avait d'ailleurs jusqu'ici abandonné à son acolyte tout ce qui s'y rapportait. Dans un froissement de cape précipité, il avait fait volte-face et s'était éloigné.

Kald surveille la ruelle