Chapitre I : Une main tendue

Le nain avait observé et écouté les uns et les autres, patiemment. Il écoutait attentivement les informations qui leur étaient données concernant la main et son propriétaire et sembla très intéressé par la question qui consistait à savoir si celui-ci était vivant ou mort... Il avait tout de même tiqué lorsque le vieil Uthgardt l'avait dévisagé sévèrement. Il y a avait très certainement une différence de perception entre les deux êtres sur le sujet du divin...

Alors que le paladin allait répondre à Mainunique, il entendit un rire moqueur et se retourna donc pour voir d'où il venait. Avisant l'arrivée remarquée du Heaumite, il lui sourit poliment, malgré le rire ironique, comme pour l'inviter à exprimer les raisons qui l'avaient poussées à intervenir de la sorte.

Il observa ensuite avec un sorte de tendresse presque paternelle, la mère qui s'occupait de son enfant, ne manquant pas, après Daphnis, de lui répondre.

- Je ne connais pas Yusam, moi non plus. Pour ce qui est de la raison de ma présence, je suis ici pour aider, tout simplement.

Il inclina alors la tête vers le vieil homme, profitant de quelques secondes pour lui faire part de sa vision des choses en ce qui concernait les desseins des dieux.

- Vous avez raison, on ne sait jamais ce que nous réservent les dieux. En revanche il est toujours possible d'interpréter les signes et les symboles, n'est-ce pas ?

Il accompagna ces quelques mots d'un sourire franc, avant de reprendre, toujours à l'attention de Patreveni Mainunique.

- Il serait peut-être utile de partir à la recherche du druide Yusam afin d'en savoir plus. Plus vite les recherches commenceront, plus grandes seront les chances de le retrouver rapidement.

Il prit bien soin de ne rien dire de l'état mort ou vif du druide, certainement afin de ne heurter la sensibilité de personne. S'adressant toujours au vieil homme, et cette fois-ci à Vanetir également, il enchaina.

- Que pouvez-vous nous dire sur le druide Yusam ?

Il tourna alors la tête vers le serviteur de Heaum, comme pour l'inviter à prendre la parole s'il avait des choses dire, Khelrod étant persuadé qu'étant donné la teneur de la précédente intervention de l'importun, ce dernier n'hésiterait pas à dire ce qu'il avait à dire.

Phénix suivi les conversations autant que possible, ne maîtrisant pas la langue locale il fut bien heureux que la dénommée Vanetir parle le commun. Il ne prêta pas attention aux railleries de Kalam, ce qu'il entendit par contre lui donna espoir.

¤ Un druide! Il faut croire que Tymora est avec moi, il me faut le retrouver, il peut certainement m'aider dans ma mission!¤


Cette pensée était devenu une évidence pour Phénix, c'était probablement la meilleure piste qu'il avait pour avancer dans sa mission et aider sa contrée en danger.

Se tournant vers la jeune mère, il lui répondit:

- Je ne connais pas votre druide Yusam, non plus, et mon compagnon et moi-même escortions une caravane qui faisait route vers le Puits de Béorunna.

Ecoutant les autres se présenter et exposer leurs idées et questions. Phénix opina du chef lorsque l'idée de retrouver Yusam fut évoquée.

- Je suis du même avis, retrouver votre druide Yusam nous permettra d'y voir plus clair. Vous pouvez compter sur moi! Même si le destin m'a déjà désigné pour cette mission.

Les choses étant claires pour lui maintenant, Phénix avait pris sa décision et aider ce groupe dans la recherche du druide lui semblait être la meilleure piste. Au moins ne serait-il pas seul et en les aidant il s'aidait lui-même, ce qui le réconforta un peu. Bien le groupe qui était en train de se former était des plus hétéroclites, Phénix se disait que la combinaison des compétences de chacun ne pourrait qu'être bénéfique.

Il fut tirer de ses réflexions par une rire particulièrement sonore et ironique et se tournant vers la source de cette interruption que Phénix jugea impolie. Il fut surpris de voir un jeune Uthgardt non pas vêtu de peaux comme ce congénères mais portant l'habit traditionnel des serviteurs de Heaume. Phénix ne semblait pas être le seul a attendre de voir ce qu'il avait à dire aussi le regarda t-il dans l'attente qu'il s'exprime.

Voyant qu’il n’obtiendrait pas davantage d’informations de la part du vieillard sénile, Kalam resta silencieux. Pour lui, la meilleure solution afin d’avoir des réponses à ses questions, était d’aller rendre visite au chef du village.
Il écouta donc les uns et les autres et observa la sauvage en train de donner le sein à son enfant. Il se demandait si cette dernière allait garder son mioche avec elle pour partir en expédition. S’il fallait simplement retrouver la trace du fameux Yusam, la tâche ne semblait pas pour autant aisée. Est-ce que le bébé ne les ralentirait-il pas ? Saura-t-il garder le silence face une menace qui viendrait à pointer le bout de son nez ? Plus il y réfléchissait et plus le roublard se disait que ce n’était pas son problème. Si la jeune femme semblait assez folle pour emporter son marmot partout avec elle, qui était-il pour l’empêcher ?

¤ Mouais enfin s’il nous apporte plus d’ennuis qu’autre chose, ce sera un problème… Auquel cas, il faudra y remédier…

Surpris par la question de la jeune sauvage, il écouta les diverses réponses données par ceux qui l’entouraient et répondit :

- La raison de ma présence en ces lieux ne regarde que moi. Et personne d’autre. Je ne connais pas ce Yusam. Je n’en avais jamais entendu parler avant d’arriver ici. Et je ne sais pas non plus pourquoi j’ai reçu ce doigt. Mais je vais me faire un plaisir de le rendre à son propriétaire dès que nous l’aurons retrouvé.

Il se tourna ensuite vers le nouveau venu au rire particulièrement sonore et ironique. Il voulut lui demander s’il connaissait ce fameux druide, mais le nain lui coupa l’herbe sous le pied. Il ajouta donc :

- Si vous savez qui c’est, vous savez peut-être où on peut le trouver ? Il nous a refilé ses doigts, mais moi, j’aimerai bien lui rendre.

Le vieux serviteur d'Uthgar et le jeune prêtre d'Heaume se regardaient en chien de faïence, prêts à mordre. Si leur inimitié était palpable, il était néanmoins difficile de déterminer lequel avait le plus de mépris pour l'autre. Patreveni avait-il entendu les questions des uns et des autres ? Les avait-il bien comprises ? La rage qui avait fait se crisper les traits ridés de son visage semblait l'avoir tout à coup rendu muet.

Le Uthgardt au crâne rasé était précédé d'un homme à la carrure massive d'une quarantaine d'années, dont l'épaisse et broussailleuse toison, se confondant avec la fourrure brune dont il était revêtu, évoquait un gros ours. Les villageois s'étaient écartés sur son passage, témoignant leur déférence d'un geste plus ou moins ostentatoire de la tête ou de la main. Vanetir leur chuchota qu'il s'agissait de leur chef, Andar Cœurdebois.

Andar Cœurdebois

- Que chacun retourne à ses travaux ! Allez ! clama-t-il d'une voix impérieuse, mais sans violence, dans le dialecte des siens. Aussitôt la foule se dispersa, regagnant lentement logis, ateliers et champs. Certains traînaient certes des pieds, tournaient la tête ou tendaient une oreille avide pour en apprendre davantage, mais aucun n'osa défier ouvertement l'autorité du Premier de la tribu. - Vous, reprit-il à l'égard du groupe d'inconnus entourant Patreveni Mainunique, les Choisis de l'Aigle. Suivez-moi. En dépit d'un fort accent, son commun était plutôt fluide. Toi aussi, ajouta-t-il pour le vieillard qui inclina la tête avec un zèle presque grotesque. -------------------- Il émane de ce puissant Uthgardt une indescriptible sérénité : la force tranquille des âmes supérieures. Sa grande taille, son port de tête altier, son regard paisible et jusqu'à sa voix douce, tout, chez lui, commande comme naturellement le respect.

La petite troupe fut conduite jusqu'à la plus grande bâtisse de bois du village, voisine de la place qui venait de servir de théâtre au macabre spectacle offert par le rapace. La porte d'entrée donnait directement sur une vaste salle d'audience au fond de laquelle trônaient plusieurs fauteuils de facture fruste, négligemment habillés de fourrures dont la blancheur désormais passée tirait sur le gris. Skelli tisonnait une énorme bûche sommeillant dans un âtre ; l'atmosphère était quelque peu enfumée, peu lumineuse. Tous les murs étaient aveugles : les Uthgardts ne semblaient pas connaître les fenêtres, ou alors ils les jugeaient inutiles...

Le Heaumite avait rejoint une acolyte à l'apparence presque juvénile, qu'un symbole divin plus discret - une paire de mains blanches liées aux poignets par une cordelette rouge - désignait comme une servante du Dieu Brisé, le doux et triste Illmater. Ils échangeaient encore à voix basse quand le vieux manchot vint s'assoir à quelques pas d'eux, prenant place sur le siège le plus lointain. Andar trônait au centre : il tenait la main démembrée offerte à Vanetir.

Andar Cœurdebois

- La bonne rencontre, déclara-t-il en guise de préambule, reprenant une formule qui, tant elle sonnait empruntée dans sa barbe, devait être très éloignée des usages barbares. Je suis Andar Cœurdebois. Je commande la tribu. Il marqua une légère pause, afin que tous prennent la mesure de ce que cette dernière information signifiait. Il avait parlé sans prétention et ne semblait tirer aucun orgueil de sa fonction. - L'Aigle Kotka a parlé. De qui vient son message ? Yusam ? Ou celui qui a fait ça ? Il brandit la main exsangue. Les dieux ? Je ne sais pas. Une chose est sûre : ce signe n'est pas un bon signe. Et vous êtes choisis pour aider. -------------------- Il émane de ce puissant Uthgardt une indescriptible sérénité : la force tranquille des âmes supérieures. Sa grande taille, son port de tête altier, son regard paisible et jusqu'à sa voix douce, tout, chez lui, commande comme naturellement le respect.

Les derniers mots avaient été prononcés avec une once d'incrédulité dans la voix. Pragmatique, le chef s'en était tenu à ce qui semblait évident sans pour autant être tout à fait convaincu.

- Que le soleil réchauffe ta tribu Andar et que Tempus de donne puissance. Je suis Haleena de la tribu du Poney Céleste, j’ai déjà commercé au Puit de Béorunna à plusieurs occasions mais aujourd’hui je viens m’établir ici. La jeune mère n’avait pas jugé utile de se présenter au chef lors de son arrivée.Elle avait été plus pressé de trouver un lieu pour poser son bardât mais maintenant qu’elle était présenté à lui, elle s'en sentait obligé. Chez les tribus nomades, le chef avait toute autorité quand à l’acceptation d’un nouveau venu et elle n’imaginait pas qu’une tribu sédentaire puis fonctionner autrement.

- Je te fais allégeance et accepte cette mission ; qu’elle soit donné par un dieu ou pas toi grand chef.En dothii, la langue des Uthgards. Urgent retrouver ce Yusam, mort ou vivant. Si vivant, il faut lui donner guérison. Elle s’adressait au groupe. Je ne connais bien pas plantes guérisseuses et vous ?

- Ou habiter Yusam ? Quelqu’un sait pourquoi il sort village ? La question s’adressait à Andar, il ne pourrait être que plus prolixe que Patreveni, mais elle s’exprimait en commun pour que ses acolytes comprennent.

Haleena ne se sentait pas en confiance en présence des fidèles de ces dieux étrangers. Ils se comportaient en terrain conquis au Puit de Béorunna et il était certain que ces infidèles influençaient la politique de Coeurdebois, selon elle. Quelle mouche avait piquée les Lions Noirs pour abandonner le naturel et la puissance d’Uthgar. Haleena était pleine de préjugés inculqué par la doctrine de Wolmad. Le nouveau chef avait utilisé ce levier simpliste pour assoir son pouvoir sur la tribu des Poneys Celestes, un peuple primitif finalement très peut en contact avec le reste de la civilisation.

Le mystérieux Andar Cœurdebois avait finalement fait son apparition. Du chef de la tribu émanait une forme d'autorité naturelle qui impressionna Daphnis. A son grand soulagement, il constata qu'Andar maîtrisait mieux le Commun que la plupart des membres de sa communauté. Il l'avait suivi diligemment jusqu'à la grande bâtisse, curieux d'en apprendre davantage sur tout ce dont ils avaient été témoins.

Le jeune élu divin s'était installé aussi confortablement que le permettait le mobilier fruste qui s'y trouvait. Il avait relevé, non sans étonnement, la présence de disciples de Heaume et d'Ilmater dans la pièce. Malgré leur statut d'étrangers et leur maîtrise probable de la magie divine, ils semblaient avoir été acceptés, ou à tout le moins être tolérés, ce que Daphnis prit pour un signe encourageant.

¤ Ils ne semblent pas tout à fait fermés aux étrangers et à leurs pratiques… Peut-être seront-ils réceptifs à Tymora qui touche notre quotidien à tous ? A plus court terme, je suppose que cela signifie que je peux parler en toute liberté auprès d'Andar... ¤

Le chef avait confirmé que la main était celle de Yusam et évoqué l'"Aigle Kotka", dont Daphnis ignorait tout. Haleena avait pris les devants et, si son Commun était élémentaire, les questions qu'elle posait étaient très justes et correspondaient en bonne part aux interrogations du jeune homme.

Il prit la parole d'une voix douce, mais déterminée :

- Je veux bien, moi aussi, vous aider à retrouver Yusam. Je m'appelle Daphnis et j'ai quelques talents en matière de guérison qui pourront servir, au moins stabiliser sa blessure si nécessaire.

Il s'interrompit un bref instant, avant d'ajouter :

- Je dois néanmoins savoir où pourrait se trouver Yusam. La caravane de Regmond repart demain, je peux difficilement m'engager au-delà de ce moment...

L'élu divin était payé par Regmond et, jusqu'à présent, on ne lui avait parlé de récompense. Si Regmond partait sans lui, Daphnis devrait rester des jours, peut-être des semaines, dans la communauté. Certes, le mois de Mirtul était plus clément que les précédents, mais dans une région telle que celle-ci, le climat était toujours une source de dangers et d'incertitude.

¤ S'il s'avère que cela doit durer plus d'une journée, nous aviserons... ¤

Le jeune homme espérait que tout se règle rapidement ou que Tymora lui confère un nouveau signe. Il se risqua à une dernière question :

- Vous avez évoqué l'Aigle Kotka. Excusez mon ignorance d'étranger, mais qui est-il exactement et que représente-t-il à vos yeux ?

L'arrivée remarquée du Heaumite fut effacée par la présence charismatique, comme l'apprit Phénix quelques instants plus tard, du chef du village. Les Uthgardts présents s'effacèrent à son passage et lui obéirent promptement lorsqu'il leurs commanda.

Les élus furent enjoint de suivre le chef dans sa hutte où Skelli s'était réfugiée quelques instants plus tôt.

Ils se retrouvèrent tous dans la hutte du chef Andar Coeurdebois avec le prêtre de Heaume, une disciple d'Ilmater et le prêtre manchot du village Uthgardt Patreveni Mainunique.

Quelques élus se présentèrent au chef et lui confirmèrent leur participation à la recherche de leur druide. Phénix, toujours encapuchonné, saisit l'occasion pour s'avancer, se présenter et confirmer ce qu'il avait annoncé à l'extérieur avant l'arrivée d'Andar Coeurdebois.

- La bonne rencontre Andar Coeurdebois, je suis Phénix du Grand-Val, je viens de loin pour chercher des informations et des réponses ici au Puits de Béorunna et je compte sur votre druide pour m'y aider. Aussi, c'est avec un immense honneur que je mettrais ma force et mes talents de rôdeur à la recherche de votre druide, mon arc et mon épée son vôtre pour cette expédition.

Après cette présentation, Phénix s'inclina devant Andar et recula d'un pas pour laisser la place à d'autres et leur donner l'occasion de se présenter également.

Observant la réaction des membres de la tribu, lorsque le nouveau venu leur parle dans une langue étrangère, Kalam comprit rapidement qu’il avait en face de lui, le chef du village.

¤Tant mieux. Ça nous évitera de chercher après lui.¤

Ayant l’intention de le rencontrer, il le suivit sans rechigner avec le reste du groupe. Lorsqu’il arriva dans la salle d’audience, le roublard resta silencieux. Il avait de nombreuses questions à formuler mais il s’avérait qu’il n’était pas le seul à se les poser. Alors qu’il allait ouvrir la bouche, le chef leur expliqua la situation et leur fit comprendre qu’il n’en connaissait pas davantage qu’eux.

¤ Nous voilà bien avancé… ¤

Il resta donc dans son coin et attendit le bon moment pour parler à la suite du rôdeur.

- Je pense que la meilleure solution reste effectivement de trouver l’endroit où vit Yusam. Peut-être qu’en fouillant son logis, nous trouverons des informations importantes qui pourraient nous aider à le retrouver. Sinon peut-être qu’en retrouvant son aigle et en le suivant nous pourrions trouver une piste.

Il observa l’assemblée puis fit un pas en arrière afin de retourner en retrait. Il s’était fait à l’idée d’aider les membres de la tribu et ses nouveaux compagnons à retrouver le manchot.

D'abord impressionné par la sagesse qui émanait de Mainunique, Khelrod fut surpris par l'animosité et la haine dont il faisait preuve envers le Heaumite. Ces aspects éloignaient clairement le vieil homme de l'orque que le nain avait rencontré voilà plusieurs mois...

A l'instar de ses nouveaux compagnons, lorsque le chef du village le leur avait demandé, le paladin l'avait suivit jusqu'à la plus grande bâtisse du village. Alors qu'il entrait il ne put s'empêcher une pensée.

¤ Sur le plan du confort, la civilisation ne serait pas une mauvaise chose pour ces Uthgardts... ¤

Il n'y avait là aucune moquerie de la part du Nain, il s'agissait d'un simple constat. Alors que ses yeux se posaient sur les lieux ainsi que sur les gens présents, le serviteur de Clangeddin Barbedargent allait de surprise en surprise. A l'extérieur de la bâtisse, il n'avait pas mesuré à quel point les rumeurs disaient vrai, mais une fois à l'intérieur, il se rendit compte que tout semblait effectivement vrai.

¤ Ils ont réellement fait la place à d'autres dieux. C'est une preuve d'ouverture impressionnante ! ¤

Et alors qu'Andar Coeurdebois d'adressait à eux, Khelrod posa sur lui regard à la fois curieux et respectueux. Cet homme inspirait le respect. Tout dans son être semblait le désigner comme naturellement fait pour commander.

Le nain laissa ses compagnons se présenter et évoquer les différents sujets qui leur posaient problème, partageant avec eux le besoin de réponses à ces interrogations, avant de prendre la parole à son tour, debout faisant face à leur hôte, dans la posture militaire qui était la sienne lorsqu'il abordait des sujets sérieux.

- La bonne rencontre Andar Coeurdebois. Je suis Khelrod Martelroc, de l'Epine Dorsale du Monde. Merci de nous recevoir. Tous comme les autres étrangers désignés par l'aigle Kotka, je vous apporterai mon aide.

Il marqua une courte pause, continuant le questionnement du groupe d'étrangers.

- Retrouver Yusam semble effectivement la chose à faire. Etant donné ce qui vient de lui arriver, il serait peut-être utile de savoir qui pourrait lui vouloir du mal... Avait-il des ennemis déclarés ou connus ? A-t-il eu une ou plusieurs altercations ces derniers temps ? Quelqu'un aurait-il des raisons particulières de lui vouloir du mal, au point de lui trancher une main ou pire encore ?

En dépit des nombreuses barrières linguistiques qui séparaient les interlocuteurs, on parvint à se comprendre. La conversation avait démarré avec lenteur et maladresse puis, une fois Vanetir au chevet du vieillard et Haleena au côté des étrangers, avait fini par aller bon train. On s'exprimait en commun la plupart du temps, mais cette langue peu précise et finalement pas si bien partagée en ces terres reculées contraignait régulièrement à des détours en illuskien, voire en bothii.

Les conseillers d'Andar Cœurdebois faisaient preuve d'une discipline très respectueuse envers leur chef, auxquels ils avaient naturellement cédé la parole. Ils levaient la main pour demander à intervenir et attendaient toujours un signe d'assentiment pour répondre lorsqu'une question leur était directement adressée. Si Skelli Piedsauvage et la servante d'Illmater étaient restées silencieuses, les prêtres rivaux de Heaume et d'Uthgar rivalisaient sans cesse de mots, se disputant la première place auprès de leur imperturbable souverain.

Ceux que l'Aigle Kotka avait choisis apprirent ainsi que le druide Yusam, l'un des anciens de la tribu, vivait plutôt en marge du village. Adopter une vie sédentaire semblait avoir été d'autant plus difficile pour ce vieux nomade qu'il avait toujours été un homme des forêts, avec lesquelles il partageait ce profond et mystérieux lien propre à ceux de sa caste. S'il s'était offusqué que les siens abattent des arbres et introduisent dans leur quotidien de plus en plus de métal - en particulier la monnaie -, il s'était rapidement résigné, préférant fuir ces changements par de plus longues retraites dans les bois plutôt que s'opposer frontalement à la tribu. Aussi n'avait-il pas d'ennemis connus au Puits de Béorunna. Au contraire, il bénéficiait du respect que la plupart des peuples avaient coutume d'accorder à leurs anciens. Vivant une existence solitaire, il entretenait peu de liens avec les membres de son clan ; ses rares disciples ne lui ont pas survécu, ou ils quittèrent la tribu lors de sa sédentarisation. Cette vie singulière, libre d'attache et faite d'errance, explique que personne ne se soit inquiété de l'absence du druide. On ne l'a plus vu au village depuis une bonne dizaine de jours. Il serait possible de visiter sa hutte, habitat très modeste dont l'Uthgardt peine à voir quel intérêt elle pourrait présenter pour l'enquête.

Kotka était l'ami de Yusam. Un lien mystérieux unissait ce magnifique rapace - plus grand et plus fort que ses semblables - au druide, un lien qui se passait de mots, en quelque sorte divin. L'animal se montrait des plus farouches avec tout autre que le compagnon qu'il s'était choisi. Recourir à l'aigle pour remonter la piste du druide paraissait exclu, mais qui savait, au fond...

A cette heure, Andar Cœurdebois estimait que Yusam pouvait être aussi bien mort que vif et se trouver n'importe où dans les collines du Bois Froid, au nord du village. C'était le seul membre de la tribu dont on déplorait l'absence, pour autant qu'il le savait. Les hypothèses se multipliaient pour éclairer son sort. La tribu du Lion noir était depuis longtemps en conflit avec celle du Tigre rouge. Les tensions s'étaient exacerbées depuis son installation au Puits de Béorunna : quelques bagarres avaient eu lieu, mais aucun mort n'était encore à déplorer.
Contrairement à son chef, le prêtre de Heaume estimait cette tribu ennemie capable d'avoir attaqué Yusam. Selon lui, la sauvagerie de ces barbares ne connaissait aucune limite et la cruauté de leur nouveau chef, Thradulf Longcroc, était digne de celle des orques et des géants. Patreveni Mainunique, bien évidemment, n'apportait aucun crédit aux paroles belliqueuses de son insolent cadet. Par le truchement d'Haleena, il exposa une autre piste : Yusam évoquait régulièrement un équilibre brisé, qui dépassait le seul bouleversement du mode de vie de la tribu. Quelque chose, dans la forêt, avait changé et posait problème ; le climat n'était pas normal ; le grand gibier n'était plus là et l'hiver restait. C'était là pour le Heaumite les paroles d'un vieillard à qui l'âge faisait perdre la raison - ce jugement frappait bien évidemment de dérision le prêtre d'Uthgar, qui fulminait. Ce dernier ne pouvait en dire plus à Phénix : le druide était peu disert, mais il était sincèrement préoccupé par cette nouvelle énigme que lui proposaient les forêts.

S'ils souhaitaient se lancer à la recherche du disparu, Skelli Piedsauvage, pisteuse émérite de la tribu, pourrait leur servir de guide. L'entreprise ne s'annonçait pas seulement dangereuse - le Bois Froid abritait de terribles créatures - mais aussi très hasardeuse : Yusam ne laissait pas la moindre trace de son passage derrière lui, il semblait que la Nature effaçait d'elle-même la piste de son protégé.

Les questions naïves que posa Phénix sur la religion des Uthgardts allaient immanquablement déclencher une dispute, qu'Andar s'empressa de prévenir par un geste autoritaire de la main. Un sourire sardonique s'était dessiné sur les lèvres du Heaumite, tandis que sa consœur, plus sage semblait-il, avait levé les yeux au ciel. Le vieux Patreveni marmonnait frénétiquement dans sa barbe, furieux. Le rôdeur du Grand-Val avait sa réponse, elle se passait de mots : il était évident que l'adoption de nouveaux dieux par la tribu était une source de conflit ! Et bien maladroit de mettre cet épineux sujet sur la table...

L'ultime question de Daphnis prit chacun des notables tribaux au dépourvu. Aucun, semblait-il, n'avait songé au caractère en effet très étrange de la macabre tâche à laquelle s'était adonné l'aigle. Peut-être les voyageurs se rappelèrent-ils les cris déchirants que le plaintif rapace avait poussé pour annoncer son arrivée ? Si le sens du rituel était évident, la violence qui l'accompagnait laissait pensif... Aucun des prêtres ne se risquait d'ailleurs à une explication.

Andar Cœurdebois

- Eh bien, finit par dire Andar, après avoir vainement cherché le secours de ses conseillers, c'est une bonne question. Très bonne question. Il y avait d'autres moyens, plus doux. Je ne sais pas. -------------------- Il émane de ce puissant Uthgardt une indescriptible sérénité : la force tranquille des âmes supérieures. Sa grande taille, son port de tête altier, son regard paisible et jusqu'à sa voix douce, tout, chez lui, commande comme naturellement le respect.

D'un geste lent et sûr, la jeune prêtresse d'Ilmater leva la main. Trop frêle pour être native de la tribu, dont elle n'arborait pas les peintures ancestrales, elle avait les yeux clairs et le tient laiteux des peuples nordiques.

- Peut-être que cette main n'est pas celle de Yusam ? conclut-elle d'une voix aussi douce que l'était la Compassion qu'incarnait le dieu qu'elle servait.

Silencieux pendant tout l'entretien, Kalam s'interrogeait peut-être sur le bien-fondé de sa présence en cette région barbare. Sa fuite de Lunargent avait été précipitée, il avait agi sur un coup de tête. On pouvait d'ailleurs en dire autant de son départ d'Eauprofonde. Retrouverait-il ici une stabilité, ou continuerait à fuir ? Et quoi, précisément ? Alors qu'il écoutait les uns et les autres, le sentiment diffus d'être observé, ou surveillé, s'imposa à lui de plus en plus fortement. Devenait-il paranoïaque, comme le plus sombre et secret de ses pères avait toujours eu tendance à l'être ?

Lancers...

Kalam - Jet de compétence : Perception : 8(d20) +4(deg) +0(Sag) = 12