Chapitre III : Des airs de hibou...

4 Kythorn 1373, Année des Dragons Renégats
Puits de Béorunna, Nord des Marches d'Argent
Village des Uthgardts

Les chasseurs avaient assuré la garde du camp pendant la nuit, si bien que les aventuriers repus et réchauffés avaient pu profiter pour la première fois depuis longtemps d'un sommeil continu.

Ils arrivèrent au Puits de Béorunna en fin de matinée, fourbus certes, mais sains et saufs. Les têtes se relevaient sur leur passage, les yeux cherchaient, s'affolaient et les lèvres se pinçaient ; on sortait des tentes et des huttes, hélait un parent, un voisin, chuchotait quelques mornes paroles en se détournant des étrangers ; les plus audacieux s'adressaient à l'un des chasseurs, pour aussitôt se rembrunir. La rumeur se répandait lentement dans le village, charriant son lot de tristesse, d'amertume et de colère : Ceux que l'Aigle avait choisis était revenu sans Yusam. Skelli s'éclipsa rapidement pour aller retrouver le chef de la tribu : elle viendrait les chercher lorsqu'il serait temps.

Haleena, pour sa part, s'était précipitée chez les parents de Vanetir. Son enfant chérie et désormais en bonne santé dans les bras, elle n'avait eu d'autre choix, face aux questions inquiètes du couple, d'annoncer la fuite de leur fille. Il fut inutile de livrer un récit circonstancié des faits, d'entrer dans les détails, de chercher des excuses à sa consœur : les deux émigrés de la tribu du Loup Gris l'avaient aussitôt interrompue d'un geste las de la main. Résignés, ils maugréèrent que leur fille avait toujours été pour eux une source de déshonneur et qu'elle devrait toujours le rester. Leur silence fit comprendre à la jeune mère qu'ils ne la retenaient pas pour manger...

Après avoir partagé le repas des chasseurs avec ses compagnons et pris soin de son cheval, Phénix s'était rendu au temple de Heaum, probablement curieux de voir à quoi ressemblait l'édifice tant raillé par le vieux Telwyn. Un villageois n'appartenant pas à la tribu le renseigna, si bien qu'il trouvât sans mal. Dressé telle une sentinelle face à l'enceinte nord, le sanctuaire du Vigilant était encore en construction, mais le chantier semblait toucher à sa fin. De taille similaire à l'hôtel de ville où siégeait Andar Coeurdebois, ce bâtiment trouvait des fondations plus solides, plusieurs rangées de pierres séparant le sol des murs de bois - une technique éprouvée pour les préserver de l'humidité. La toiture de planches était terminée et quelques ouvriers au travail - des Illuskiens, reconnaissables à l'absence de peintures tribales sur leur visage - achevaient de monter les murs. Un étendard à la gloire du Gardien ornait la façade. Thard, le fougueux prêtre qu'ils avaient rencontré quelques plus tôt, était absent : il s'était rendu au gué de la Coulée Rouge, soucieux de l'inexplicable retard d'un convoi marchand dont il attendait ardemment la cargaison.

Libre à vous de romancer ou non ces deux bonnes heures passées en compagnie des chasseurs uthgardts, en tenant compte du fait qu'Haleena n'est pas là (du moins au début) pour faciliter la communication.

Le chef de la tribu, le visage grave, se tenait assis dans son fauteuil quand Skelli fit entrer Ceux que l'Aigle avait choisis dans la sombre salle d'audience où ils l'avaient quitté près d'une semaine plus tôt. De part et d'autre du souverain siégeaient la juvénile prêtresse d'Ilmater, pâle et concentrée, et le vieux Patreveni Mainunique, épaules basses et œil farouche. Le belliqueux Heaumite, étrangement, étant absent.

On avait fait apporter des gros rondins de bois, dont les Uthgardts se servaient de tabouret : cela augurait d'une discussion plus longue que la précédente. Et en effet, bien que Skelli eût livré une première version des faits, il fallut tout reprendre depuis le début dans cet inconfortable ballet linguistique qui obligeait bien souvent à traduire, reformuler, préciser le langage commun en illuskan ou en bothii pour être bien compris. La présence de l'irascible prêtre d'Uthghar obligeait le plus souvent à ces détours et ces répétitions, mais elle n'en était pas l'unique cause. S'il parlait plutôt bien la langue des Royaumes, Andar Coeurdebois n'en maîtrisait bien sûr pas encore toute l'étendue et son lexique, en particulier, demeurait limité. Cela s'était avéré problématique lorsqu'il avait fallu aborder en détail les divers phénomènes magiques qui s'étaient produits, et ce d'autant plus que ce domaine était peu familier aux Uthgardts, qui disposaient donc de peu de mots pour le nommer, le décrire et a fortiori l'expliquer... On s'entendit malgré tout et, une fois le récit de leur périple parvenu à son terme et la curiosité de chacun étanchée, le chef se leva, solennel.

Andar Cœurdebois

- Pour être allés devant le danger, pour avoir donner à Yusam un bon repos, merci. Il inclina brièvement la tête, imités par ses deux conseillers, avant de reprendre d'un ton moins cérémonieux. - Mais il reste beaucoup de... une vague hésitation signala qu'il cherchait le mot adéquat, sans doute quelque chose comme "mystères" ou "énigmes", questions. Nous avons à dire, mais avant, vous allez dire : chaque un. Son regard, dont la douceur ne retirait rien à la fermeté, alla de l'un à l'autre des aventuriers. Il s'attarda plus longuement sur Haleena, dont l'enfant commençait à se plaindre et à gesticuler dans ses langes. - Expliquez. -------------------- Il émane de ce puissant Uthgardt une indescriptible sérénité : la force tranquille des âmes supérieures. Sa grande taille, son port de tête altier, son regard paisible et jusqu'à sa voix douce, tout, chez lui, commande comme naturellement le respect.

Il allait de soi que le chef de tribu n'attendait pas une réponse exhaustive, longue et compliquée, mais plutôt le sentiment de chacun sur les mystérieux événements dont ils avaient été les héros ou les victimes, cela prêtait encore à confusion. Quel sens donnait-il à leur aventure, "chaque un" ?

Les élus de l'aigle furent comme il se devait convié auprès d'Andar Coeurdebois pour faire leur rapport et probablement esquisser les contours de ce qui se trame dans la région et dans le Bois Froid en particulier.

Chacun contribua au récit des évènements et à force de répétitions et de reformulations le chef de la tribu et ses deux conseillers purent se faire une idée des évènements.

Après avoir remercié les aventuriers d'avoir retrouvé et offert une sépulture à Yusam, Andar les enjoignit à formuler leurs hypothèses et pistes de réflexion.

Cela promettait de nouveau moult échanges mais ceux-ci étaient nécessaires car le danger était réel et actuel.

Phénix n'hésita pas une seconde et se leva de sa souche qui faisait office de tabouret pour prendre la parole.

- Andar, tout d'abord je voudrais vous exprimer, et je crois que je parle au nom de tous, nos regrets de ne pas avoir pu ramener Yusam sain et sauf au village.

- Ensuite, en ce qui concerne les évènements, il me semble que cette sorcière adoratrice d'Aurile et ses gobelours représentent une menace pour votre communauté et les autres tribus Uthgard.

- A notre arrivée, Kalam et moi avions trouvé un cadavre au gué de la Coulée Rouge, il s'agissait d'un Uthgard et il avait le symbole du flocon de neige à six branches, symbole d'Aurile, scarifié dans la peau. Le symbole était gravé dans sa peau.

- Ensuite, avant notre départ pour le Bois Froid, la question de l'hiver qui n'en terminait pas et des bouleversements y liés avaient été évoqués ici même.

- Et maintenant, cette sorcière qui maîtrise apparemment une magie qui provoque la neige et adore Aurile. Tous ses éléments séparés ne disent pas grand chose, mais remis en perspective aux vues de nos découvertes je pense qu'ils sont liés et que cela dépasse le cadre de ce village.

- Le pourquoi m'échappe mais le fait que ce soit un danger me semble évident.

- De plus, cette sorcière possède le Repentir du Druide de Yusam, il faut le lui reprendre.

Phénix avait essayé de faire court mais sans pourtant négliger certains détails qui lui semblait importants. Il du s'y reprendre à plusieurs fois pour reformuler et expliquer certaines idées mais au final son message fut bien compris.

Le jeune rôdeur se rassis et laissa ses compagnons s'exprimer à leur tour. Il était curieux de voir quelles étaient leurs impressions et leur ressenti de ce qu'ils avaient vécus. Probablement avaient-ils une autre vue des évènements ou une autre compréhension de ceux-ci.

Le chef du village fixait indivisément Haleena du regard mais la jeune mère n’avait aucune envie de prendre la parole en premier. Heureusement Phénix se lança et rompit le silence, pour offrir sa vision de la situation. Berçant chaleureusement son enfant, elle ne prêtait que peu d’attention au récit du rôdeur.

- Vous connaitre Venetir, moi un peu moins. Elle revenir quand être en paix avec elle. Elle parla d’une voie forte. Les regards se braquèrent sur elle qui ne voulait pas se lever pour parler devant toute l’assemblée.

- Menace grande sur Loups Noir mais aussi sur toutes les tribus. La magie du froid d’Aurile n’est pas meilleure que celle des druides du passé. Toute magie doit être retenue au sud et loin de la terre des Uthgards.

- Il faut savoir si Gobelous nombreux avec sorcière.

- La ceinture est puissante pour Uthgards donc il faut récupérer.

- Je crois Ahou sait des choses sur l’avenir, si nous comprendre, peut etre ça nous aider. Mais il faut m’aider parler avec lui. Il dessinait grande guerre entre Uthgards et créatures monstrueuses. Haleena se leva et déplia la toile du simplet pour la brandir tel un étendard. Les convives plissèrent les yeux pour déchiffrer les idéogrammes dans la semi obscurité.

- Je avoir prouvé mon lien avec Puit Béorunna. Voilà je demande autorisation à avoir maison ici pour travailler et habiter. Je pas pouvoir continuer aventure dans forêt avec enfant bébé. Elle fixait Andar Coeurdebois dans les yeux en espérant que son cœur soit fait d’un bois de sureau et pas de hêtre.

Biensur si Haleena souhaite s’installer et mener une vie pépère au Puits, moi le joueur je suis partant pour continuer les aventures avec vous.

Durant la soirée passée avec les chasseurs, Daphnis s'était dit à plusieurs reprises qu'une bonne conversation avec les autorités du Puits serait utile et salutaire pour tirer au clair la situation complexe que les aventuriers avaient mise en lumière. Cela n'avait heureusement pas tardé et le groupe se trouvait enfin auprès d'Andar Cœurdebois et ses plus proches "conseillers".

Daphnis avait laissé les autres narrer leur expédition en se contentant de vérifier si leurs dires étaient exacts et suffisamment précis, pour peu qu'il puisse le vérifier. Il avait ensuite laissé Phénix prendre la parole en premier : celui-ci avait présenté avec clarté et bon sens, les principaux problèmes qu'ils avaient mis au jour. Haleena avait quant à elle évoqué ses craintes, plus simplement, et son désir de s'installer définitivement au sein du village. Même s'il s'était attaché à la jeune femme, Daphnis comprenait et approuvait ses motivations.

Le jeune élu divin fut le suivant à prendre la parole, exprimant à haute voix la question qui le taraudait depuis des jours :

- Pour moi, le plus grand mystère est le début de toute cette histoire : Kotka nous a remis des doigts pour nous inciter à partir à la recherche de Yusam. Toutefois, nous savons à présent que ce n'étaient pas véritablement des doigts, mais une illusion magique, et que ce n'était pas Yusam qui avait envoyé Kotka. A vrai dire, nous ne savons même pas si c'était bien Kotka ou s'il s'agissait d'une autre illusion. Il serait peut-être bon de l'observer de plus près si elle est toujours dans les environs.

Il marqua une courte pause avant d'en venir à ses questions :

- Si ce n'est pas Yusam qui nous a envoyé ce message, qui l'a fait et dans quel but ? Ce ne peut être qu'un lanceur de sorts aguerri pour avoir jeté un sort d'une telle puissance et capable de tenir aussi longtemps. Est-ce la sorcière d' Aurile ou une troisième partie dans cette histoire ? Y a-t-il quelqu'un d'autre capable de lancer un tel sortilège dans la région ? Et quelles sont les intentions de cette personne qu'elle quelle soit ?

Il conclut :

- S'il s'agit de la sorcière, cela ne semble avoir ni queue ni tête, car on ne nous a pas poursuivi ou interrogé, ni même remis Yusam. Nous ne revenons qu'avec des informations et beaucoup de questions. S'il s'agit d'une autre personne, qu'a-t-elle cherché à nous faire faire et quel est son rôle dans cette affaire ?

En arrivant au village, Kalam resta planqué sous sa capuche. De temps à autre, il levait la tête pour regarder autour de lui et surtout pour tenter de sentir à nouveau le regard pesant d’une personne qui l’épiait. Avec toute cette foule qui les entourait, cela était difficile de juger mais le regard perçant qu’il avait senti sur sa personne avant leur départ, pesait sur ses épaules. Si cet individu posait une nouvelle fois son regard sur le roublard, ce dernier le sentirait à coup sûr.
Il se mit à l’écart et pris quelques instants pour réfléchir à ce qu’il venait de vivre. Et surtout sa rencontre avec un de ses pères adoptifs.
Lorsqu’il s’aperçut que Phénix se dirigeait vers le temple de Heaume, le roublard lui emboita le pas. A leur arrivée au village, ils avaient oublié de prévenir les membres du temple du retard de la caravane. Il tenait à rectifier cet oubli.
En passant devant le temple, il héla un prêtre :

- A notre arrivée, nous devions vous dire que la caravane d’un certain Helmite avait dû faire demi-tour, à cause de la pluie et de la boue. Il devait vous ramener des marchandises. Il a dit qu’il reviendra. Mais je ne sais pas quand.

Il se détourna ensuite sans plus d’explication.

Plus tard, lorsque Skelli lui demanda de se joindre à eux dans la salle de réunion, Kalam l’a suivie sans broncher. Il écouta ses compagnons faire le récit de leur aventure. Au moment où il comprit que chacun devait prendre la parole, il se força à parler.

- Phénix a raison. Nous avons trouvé un corps en venant ici. Nous ne savons pas de quoi il est mort, mais peut-être que son cadavre est encore au même endroit. Avec le froid qu’il a fait et avec un peu de chance, les charognes ne l’ont pas encore dévoré. Peut-être qu’une expédition jusque là-bas pour retrouver et ramener son corps donnerait un début de réponse. Il a peut-être fui la sorcière, qui en retour lui a fait payer.

Il repensa ensuite à sa rencontre avec son père adoptif, mais il ne voulait pas en parler. Pour autant ses dernières paroles résonnaient dans sa tête :

¤ "Celui que tu rencontreras en premier n'est qu'un pion. C'est Elle qui a ce que nous cherchons."

¤ Que cherche-t-il ?

Le roublard avait sa petite idée sur la question. Il allait falloir la jouer fine et être malin.

Il reprit à l’adresse de tout le monde :

- Pour ma part, je ne sais pas trop quoi penser de cette expérience. Aurile, des gobelours, une chouette en plein jour qui nous espionne, tout ça est nouveau pour moi. Mais je pense qu’il ne faut pas laisser cette sorcière s’installer dans la région et arrêter au plus vite ses agissements. Et que dire des druides… Haleena nous a parlé d’eux. S’ils sont vraiment de retour, cela n’augure rien de bon.

Il s’arrêta quelques secondes puis conclut :

- Je suis d’accord avec Phénix, il ne faut pas laisser cette ceinture, ce Repentir ou quoique ce soit d’autre à la sorcière. Il faut tout faire pour lui reprendre.

Je considère que Khelrod a lui aussi répondu et intègrerai les réactions des PNJ à ses propos dans un prochain message.

Andar Cœurdebois se rassit, invitant d'un geste de la main les étrangers à s'exprimer. Ouvert au dialogue et pondéré, ce chef était loin de la sauvagerie inculte que prêtaient aux Uthgardts les rumeurs - mais peut-être la tribu du Lion noir faisait-elle exception ?

Les interventions se succédèrent, plus ou moins succinctes, offrant divers éclairages sur les mystérieux événements qui avaient réunis les aventuriers. Il n'y eut que le vieux prêtre pour troubler la quiétude de l'audience, lequel manifesta son impatience par divers raclements de gorge, grognements et gestes agacés. Chacun put aisément comprendre à ce manège que les discours échappaient souvent à la sagacité du pauvre homme, handicapé par sa mauvaise maîtrise du langage commun. Mais l'heure n'était plus aux échanges : c'était désormais au souverain et à lui seul que l'on rendait des comptes. Aussi fut-il superbement ignoré.

Andar était resté silencieux, se contentant d'indiquer d'un nouveau signe que le suivant pouvait prendre la parole. Ponctuellement, il avait témoigné son intérêt en tendant le cou ou en fronçant les sourcils, lorsque le cadavre scarifié ou la relique ancestrale avaient été évoqués par exemple, mais aussi à la mention des mystères entourant Kotka ou lors de l'exposition de l'œuvre d'Ahou. A la lueur dansante des torchères, les figures peintes en surimposition s'étaient comme mises en mouvement, conférant une lugubre vitalité à la toile. Il avait accordé à Haleena sa demande d'un geste trop empressé pour dissimuler son indifférence quant à une telle digression, ici anecdotique.

Andar Cœurdebois

- De bonnes paroles, conclut-il, pensif mais visiblement reconnaissant. Et beaucoup de questions... Trop ! S'il avoua ne pas être en mesure d'élucider les mystères autour de Kotka, il félicita Daphnis pour la grande sagesse de ses réflexions, qui devaient les inciter selon lui à la plus grande méfiance. Que de la magie entrât dans cette mystification n'était évidemment pas pour plaire au chef Uthgardth, ni au vieux Patreveni Mainunique qui renchérit aussitôt sur le chapitre. Tous deux rejetaient l'hypothèse selon laquelle sorcière les aurait attirés dans la forêt et pensaient que ce devait être une autre personne, sans pouvoir deviner dans quelles intentions. - Si une personne voulait avertir du danger, aider les Lions noirs, alors pourquoi elle n'est pas venue dire ici ? Quant au cadavre découvert par les deux voyageurs partis de Lunargent, Thard le découvrirait sûrement : le Heaumite s'était rendu au gué de la Coulée Rouge pour guetter un convoi en retard. Peut-être même pourrait-il découvrir un détail ayant échappé aux étrangers ? Andar ne voyait pas, en revanche, ce que la fresque d'Ahou pouvait bien avoir en commun avec l'affaire qui les occupait : l'enfant avait été trouvé errant dans la forêt par des chasseurs, un ou deux ans auparavant, sans pouvoir se souvenir de ce qui lui était arrivé. Il demeurait une énigme pour la tribu, qui l'avait tout de même recueilli. - Ahou parle avec les vents et les rivières, sa langue a perdu le chemin de son esprit... Patreveni, soucieux d'avoir un mot sur tout et de prouver sa valeur, rappela tout de même que les "ébervigés" - ainsi qualifiait-on les fous et les simples d'esprits tel Ahou - étaient parfois doués de dons mystérieux pour la divination. Il accompagnerait Haleena pour interroger le jeune homme. La réponse s'acheva par une longue tirade sur le danger que représentait une sorcière à la magie de glace pour la tribu. Il était impératif d'éradiquer une telle menace et, bien sûr, de récupérer le Repentir des Druides, relique à laquelle plus d'un Lion noir devait la vie. Il commençait à échafauder un plan de bataille quand la jeune prêtre d'Ilmater, qu'on aurait oubliée sans peine tant elle était discrète jusqu'alors, se leva. -------------------- Il émane de ce puissant Uthgardt une indescriptible sérénité : la force tranquille des âmes supérieures. Sa grande taille, son port de tête altier, son regard paisible et jusqu'à sa voix douce, tout, chez lui, commande comme naturellement le respect.

- Les orques et les gobelins sont les ennemis de la tribu, objecta-t-elle après avoir été autorisée à s'exprimer,et chaque guerrier peut raconter plusieurs combats avec eux. Mais pas avec les gobelours.

Elle se retourna pour saisir un volumineux codex à l'épaisse couverture de cuir, qu'elle feuilleta rapidement. Patreveni Mainunique la regardait avec des yeux effarés, sentant le vent tourner.

- Martel 1372, voilà. Le seizième jour. Un homme arrive au village, c'est le seul survivant d'une embuscade tendue par des gobelours dans le Bois Froid. Gum Lameluisante.

Elle releva des yeux humbles vers Andar Cœurdebois. La mémoire écrite et le système calendaire d'Harptos triomphaient sans appel sur la tradition uthgardte, orale, imprécise, évanescente. La jeune femme n'était pas du genre à s'en gargariser. La surprise des deux hommes laissaient deviner qu'elle n'avait pas communiqué cette information précédemment : l'avait-elle à peine découverte ou réservait-elle ce coup d'éclat pour les aventuriers ?

- Il a affirmé qu'une femme criait des ordres aux gobelours, ajouta-t-elle, donnant le coup de grâce à son rival avec la plus grande douceur.

Daphnis avait secrètement espéré que les membres du conseil puissent dégager quelques pistes à propos du commanditaire de l'envoi de Kotka, peut-être un puissant mage actif dans la région ? Mais les interventions qui s'étaient succédées n'avaient fait que confirmer le bien-fondé de ses réflexions, sans apporter d'élément neuf.

La prêtresse d'Ilmater avait ajouté une nouvelle pièce au puzzle qu'ils avaient à reconstituer, en sous-entendant que la sorcière aux gobelours pourrait avoir été active depuis un certain temps dans la région. Les faits qu'elle signala remontaient cependant à plus d'un an.

L'élu divin fut le premier à prendre la parole :

- Ce Gum Lameluisante pourrait en effet nous fournir de précieuses informations. Qu'a-t-il dit exactement à propos de l'attaque et de cette femme ? Des mesures ont été prises par la suite ? Et a-t-on une chance de le retrouver dans un délai raisonnable ou a-t-il quitté la région pour de bon ?

Il se risqua à une autre question :

- En parlant de témoins, nous avons recueilli les dernières paroles de Yusam. Je lui ai demandé s'il avait un message à vous faire passer, une dernière volonté par rapport au village. Ses paroles ont été assez énigmatiques.

Daphnis se tut, le temps de se remémorer précisément les mots qui avaient été prononcés :

- Il a déclaré vouloir dire à l'ensemble des Lions Noirs : "Aller vers Uthgar, le Père et laisser forêt". La traduction est sans doute maladroite, les mots un peu confus comme le sont souvent ceux des mourants. Mais cela évoque-t-il quelque chose pour vous ?

Les paroles de l'Ilmate avaient laissé les deux Uthgardts songeurs. Patreveni Mainunique, renfrogné, semblait rageusement fouiller dans sa mémoire pour à son tour marquer un point : il avait pour ainsi dire fait de la figuration depuis le début de la réunion.

- Je n'ai rien écrit de plus, répondit-elle à Daphnis en baissant les yeux. C'était il y a bien longtemps, je ne me souviens même pas du visage de cet homme. Je l'ai soigné pourtant : il était très secoué, très craintif aussi ; n'avait plus toute sa tête.

Andar Cœurdebois

- Oui je me rappelle, Kethra ! s'exclama Andar Cœurdebois alors que le souvenir refaisait surface. Une autre tête en désordre, toujours en danger. (Le vieux prêtre opinait du chef, mais se souvenait-il vraiment lui aussi ?) Il est parti vite. Il ferma les yeux un instant, essayant d'arracher encore quelques bribes aux brumes de sa mémoire. - J'ai pas écouté ce Gum Lameluisante : pas de confiance. Une faute ! s'emporta-t-il en haussant la voix, pour aussitôt se radoucir. Comment croire... des gobelours avec une humaine ? Une humaine qui a un grand carré de fourrure blanche. Folie... -------------------- Il émane de ce puissant Uthgardt une indescriptible sérénité : la force tranquille des âmes supérieures. Sa grande taille, son port de tête altier, son regard paisible et jusqu'à sa voix douce, tout, chez lui, commande comme naturellement le respect.

Personne ne put en dire davantage. On n'avait plus jamais entendu parler de l'unique survivant de cette rixe dont Kethra avait gardé la trace, semblait-il, uniquement en raison de la rareté des attaques de gobelours.

La conversation prit un nouveau tour quand le favori de Tymora évoqua les dernières paroles de Yusam.

Patreveni Mainunique

- Ah ! s'écria-t-il victorieux en se levant, manquant de renverser sa chaise. Il brandissait bien haut son bâton, exhibant à la vue de tous le totem divin de la tribu : la tête d'un lion à l'épaisse crinière. "Aller à Uthgar !" Le seul guide. Le vrai. -------------------- Ce vieillard encore robuste dévisage quiconque l'approche avec la méfiance farouche des animaux blessés. Un moignon à la place de la main gauche, il tient vigoureusement de son autre main un bâton dont l'extrémité ferrée représente la tête d'un lion.

Les dieux en soient loués, le fougueux prêtre de Heaume était absent et la jeune femme n'était pas de nature belliqueuse. Elle demeura silencieuse alors qu'Andar Cœurdebois, patient mais ferme, étouffa cette incartade théologique. Lui et Patreveni s'accordèrent sur l'interprétation des mots du défunt qui, nostalgique d'une époque révolue, appelait ses frères à revenir en arrière : vénérer Uthgar et respecter les arbres.

Phénix avait écouté tous les intervenants et essayait de réfléchir à ce que cela pouvait signifier. Le jeune rôdeur avait décider d'exposer ses idées mais également de faire une confession, il pensait que le temps était venu de dévoiler la raison de sa présence et ses intentions. Se relevant pour la deuxième fois, le rôdeur mutilé retira son capuchon et dévoila ainsi son visage meurtri à toute l'assemblée, Phénix voulait pouvoir regarder Andar dans les yeux. Le jeune humain voulait également que ce dernier puisse voir les siens en retour afin qu'il puisse y lire toute sa sincérité. Il se tourna donc vers Andar et lui raconta son histoire.

- Andar, je m'excuse de vous infliger la vue de mon corps saccagé mais je veux vous parler en toute honnêteté et en toute transparence.

- Sur base de ce qui a été dit ici, je ne sais pas si cela est possible, mais je n'ai aucune conclusion logique qui se présente à moi mis à part une intervention divine! Peut-être que le dieu que Yusam vénérait a voulu que son fidèle soit retrouvé et sauvé afin de nous inciter à contrecarrer les plans d'Aurile. Celle-ci est apparemment active depuis un moment dans vos contrées et ne fait que gagner en puissance et cela ne plait probablement pas aux autres dieux.

- Mais quel que soit la cause de notre départ vers le Bois Froid, cette expédition m'a permis de faire une grande découverte, pour moi, pour ma patrie et pour les gens qui m'envoient.

- J'ai une confession à faire et je tiens à vous raconter mon histoire car je me dois d'être honnête avec vous, votre peuple et les personnes qui m'accompagneront dans mon périple.

- Je viens de très loin, je suis originaire du Grand-Val, une région très à l'est d'ici et il m'a fallu plusieurs mois pour aboutir dans votre village. Ma contrée est en guerre, en guerre contre le Gangréné et ses seigneurs putrides. Le Gangréné est l'élu de la déesse Talona, la Dame des Poisons, la Mère de Tous les Fléaux. Lui, que l'on on l'appelle également Talontyr, et ses sbires dévastent les forêts de ma région natale. Les Druides de Léthyr, les protecteurs des forêts du Grand Val, m'ont envoyé ici dans l'espoir qu'une légende concernant votre peuple soit vrai et puisse nous venir en aide dans notre combat.

- Cette légende raconte qu'une peste virulente avait décimé des clans entiers, menaçant les tribus uthgardes d'extinction. Le pire avait été évité grâce à un vénérable cercle de druides qui, fort d'un savoir ancestral, avaient élaboré des talismans assez puissants pour vaincre la maladie. La légende voulait que ces reliques triomphent de toute infection, même magique. Face à la désolation que semaient les Seigneurs putrides et leurs morbides soldats, les plus sceptiques des nôtres avaient fini par accorder foi à cette fable. Et j'ai donc été envoyé ici pour tenter de percer le mystère et voir si une aide pouvait être trouvée ici pour aider mon peuple aux abois.

- Ce qui vous arrive actuellement avec cette sorcière ou prêtresse adepte d'Aurile ne sont que les prémisses de ce qui arrive à mon peuple avec l'élu de Talona. Si nous ne faisons rien, cela va s'empirer et seuls les dieux savent comment cela peut terminer.

- Alors quand j'ai eu connaissance de l'existence du Repentir du Druide et que son histoire me fut racontée, j'ai su que mon peuple avait une chance, qu'il y avait une lueur d'espoir. Il est donc primordial pour moi de récupérer ce que cette sorcière a volé à Yusam mais jamais je ne pourrais partir avec cet artefact sans votre consentement.

- Alors Andar, je vous fais la promesse que je ferais ce qui est en mon pouvoir pour vous aider vous et votre peuple a récupérer ce qui vous a été dérobé, dans l'espoir que vous et votre peuple en retour m'accordiez votre confiance et me permettiez de vous emprunter le Repentir du Druide afin d'aider mon peuple à combattre le mal qui nous a envahi. Et lorsque les druides de Léthyr en auront fini avec le Repentir du Druide, je vous le ramènerai afin qu'il retrouve sa place dans votre tribus.

Après cette tirade, les lèvres sèchent et les larmes aux bords des yeux, Phénix fixa Andar encore un moment et fini par se rassoir en remettant son capuchon sur la tête.

Phénix espérait qu'il obtiendrait l'aide d'Andar en échange de sa propre participation à l'éradication des gobelours et de leur maîtresse.

Les révélations de Phénix impressionnèrent Daphnis : le rôdeur avait tellement bien caché son jeu que l'élu divin pensait qu'il était arrivé, comme lui, un peu par hasard dans la communauté. Mais son objectif était noble et il se promit de l'aider s'il le pouvait.

Le jeune homme posa sa main sur l'épaule de son compagnon, en signe de soutien. Puis il prit la parole à son tour :

- Tant que nous sommes dans les révélations, je tenais à vous faire d'un rêve que j'ai fait la veille de l'arrivée de Kotka dans le village. Je n'y ai guère accordé de crédit sur le moment, mais la suite des événements m'a perturbé et peut-être faut-il y voir un message. Skelli pensait que vous pourriez peut-être m'aider à l'interpréter.

Après s'être éclairci la voix, il récita mot pour mot le récit qu'il avait fait à ses compagnons :

- Il y avait une louve blanche qui courait en poursuivant un grand hibou blanc, lui aussi, mais dont le plumage était constellé de noir. Le hibou se posa sur un immense rocher, près d'un espace dégagé, et la louve se plaça au centre de celui-ci. Des ours bruns faméliques aux grands croc s'approchèrent. Un cri strident interrompit la scène, la louve retroussant ses babines et les ours abaissant leur gueule jusque dans la neige, comme en signe de soumission. Avez-vous une idée de ce que cela pourrait signifier ?

Sans attendre qu'on lui fournisse une réponse, il leur communiqua son ultime interrogation :

- Et une dernière question : j'ai cru comprendre que la communauté n'était pas en mesure de passer à l'attaque face aux gobelours. Mais peut-elle se défendre en l'état ? Avez-vous des alliés que nous pourrions solliciter pour défendre la place ou, mieux, pour passer à l'offensive ? L'inaction joue probablement contre nous...

Ayant terminé sa tirade, il s'assit à côté de Phénix, curieux d'entendre ce qu'on lui répondrait.