Chapitre 3 : City-tripes à Telpir

Atanathar ne comprenait pas les échanges entre Baelsul, Mikaïl et leur visiteur manchot. Mais une chose était certaine, ce dernier l'avait bien remarqué et ce n'était pas une mince affaire que de réaliser cela. Outre le fait d'être choqué par cela, cela lui fit tout de suite comprendre qu'ils n'avaient pas à faire à un vulgaire brigand ou poivrot du port.

L'assurance et le ton autoritaire de leur visiteur elfique laissait à supposer qu'il était bien plus qu'il ne montrait, même Laeylan en resta muette, ce n'est pas peu dire.

Mais Atanathar n'était pas certain de la direction que prenait la discussion mais il eut le sentiment, de plus en plus fort, qu'ils ne verraient pas le contenu de ce coffre de si tôt.

Cet elfe semblait en être le protecteur ou le gardien, mais alors pourquoi laisser ce coffre accessible aux premiers aventuriers venus?

- Baelsul, Mikaïl si je comprends bien, cet énergumène prétend être le gardien de ce coffre ou du moins de son contenu. Mais alors pourquoi le laisser ainsi dans l'eau à la portée de tous. Avec un peu de malchance, cela aurait pu être les Koalinths qui le trouvent et l’emmènent, qu'aurait fait notre brave gardien dans ce cas-là, hein? Rien! Il l'aurait perdu. Il devrait nous remercier de l'avoir sorti de l'eau et il devrait alors le mettre à un endroit plus inaccessible.

- Vous n'allez pas me dire que l'on a fait tout cela pour rien! Et qui nous dit qu'il ne nous bluffe pas, hein? Personne! Quelle preuve a-t-il de ce qu'il avance? Pourquoi ne nous dit-il pas ce qu'il y a dans le coffre et ne nous montre-t-il pas le contenu afin que nous puissions vérifier ces dires?

Atanathar était frustré et irrité de cette tournure des évènements, mais il n'allait pas se laisser faire. Si cet inconnu prétendait des choses, il devrait les étayer avec des preuves tangibles.

L'attitude pleine de morgue de Mikaïl s'assouplit et se teinta même de respect devant l'apparence et les titres du vétéran qui portait, gravés dans sa chair, les stigmates des nombreux combats qu'il avait dû mener.

Au fond de lui, le jeune noble approuvait pleinement les propos de Baelsul et inclina simplement la tête pour marquer son accord. Il n'entrait nullement dans ses intentions de spolier quiconque d'un bien lui revenant pleinement, néanmoins cette façon de procéder avait de quoi susciter la curiosité.

- Ceux sont les faibles et les indécis qui ont besoin de bluffer, intervint le mage en réponse aux objections d'Atanathar. Pas ceux qui sont dans leur droit légitime.

, poursuivit-il à l'intention d'Ecthelöwe.

Finalement, devant l'imposante présence du personnage et son culot, les réactions des aventuriers¹ furent assez conciliantes, et ce fut sans doute heureux. Même s'il ne brillait pas souvent par la profondeur de ses réflexions², Baelsul avait souvent une attitude simple et franche, et Mikaïl avait déjà montré plusieurs fois que malgré un certain orgueil, il maîtrisait bien l'étiquette sociale. Leurs réponses et questions polies en elfique finirent, après un temps, à lui délier la langue.

Il s'avança de quelques pas, pour ne plus devoir interpeller les aventuriers, et sembla se vouter et perdre un peu de sa prestance. L'individu semblait porter sur lui une lourde charge, ou ses vestiges…³

– La vérité est que j'ai moi-même immergé ce coffre, après avoir perdu mon honneur et mes responsabilités. Je vis désormais reclus, sans but ni avenir, mais je ne pourrai supporter qu'il soit mal utilisé… Je vous ai vue fouiller le port…

L'elfe n'était pas encore prêt à en dire davantage sur son passé, mais c'était le présent qui l'attirait. Il apprécia particulièrement les motivations des aventuriers:

– C'est donc vous qui avez combattu les koalinths… Alors peut-être êtes-vous dignes… murmura-t-il. Sans doute l'ai-je laissé accessible dans l'espoir d'un jour reprendre la vague.⁴ Mais de simples humains ne sont pas sensibles à sa présence. Ce coffre dissimule les artefacts qui ont été mon office et ma fierté… Venez…

Attendant que les aventuriers se répartissent la charge et le transport de la caisse, il les guida sur quelques centaines de mètres, jusqu'à la lisière de la ville. Une petite cabane anonyme et isolée se retrouva surpeuplée par le groupe à qui Ecthelöwe posa une question cruciale.

– J'ai vu mourir les siècles et croisé bien des personnages particuliers… Dites-moi quelles sont vos motivations ?

L'elfe avait sorti un médaillon de sous sa pauvre chemise et se tenait devant les aventuriers, avec le coffre au milieu.

¹: J'ai été sympa et j'ai considéré qu'Atanathar parlait à ses potes en aparté.
²: Baelsul a 8 en intelligence, ne l'oublions pas. Je préconise d'utiliser des phrases plus simples, même si ton charisme est légèrement supérieur à la moyenne.
³: Personne n'est formé en psychologie, mais je vous donne des infos pour qu'on avance plus vite dans ce genre de rencontres. Puisqu'il s'est approché, plus d'aparté possible vis-à-vis de l'elfe.
⁴: expression aquatique équivalente à reprendre le flambeau

La posture de l’elfe avait changé, les mots de Mikaïl et la posture du groupe avait permis de renverser la situation. Ecthelöwe semblait même prêt à nouer la discussion et leur en dire plus. L’intuition guidait Baelsul vers l’écoute de ce curieux personnage.

À la première réponse que l’estropié fit, le lunargentais accueilla ses paroles. Il prit le temps d’écoute avec la volonté de ne pas l’interrompre de peur qu’il cesse ses éventuelles confidences. En tout cas, il semblait avoir un riche passé, pas toujours des plus pieux. Alors qu’il leur demanda de le suivre, la perplexité du moment laissa place à l’excitation. Le Cha'Tel'Quessir s’empressa de le suivre, il n’avait de pensées que pour ce que l’individu pourrait leur révéler ou bien leur raconter. Comme avec le vieux Sarouf, ces puits d’histoires et de savoir était ce qui animaient le plus l’archer.

Une fois dans la petite cabane, qui créait à la fois le sentiment de promiscuité et l’impression qu’assis autour d’un feu, ils allaient être témoins d’une soirée inoubliable. Rentrant dans son jeu, Baelsul lâcha directement :

- Nous enquêtons sur les koalinths parce qu’ils attaquent le port. Et puis ces attaques des démons des mers cachent quelque chose. Nous souhaitons le découvrir pour que les mers et la cité retrouvent leur calme. Et puis personnellement, j’ai un lien avec les océans, alors je ne peux m’empêcher d’en savoir plus. Voilà tout, fini-t-il par dire…

Voyant que l’interlocuteur sortait un médaillon, le demi-elfe décida lui aussi de sortir son insigne. Celui de la confrérie des gardiens sylvestres qu’il avait rejoins par les hasards de ses aventures mais dont il était un fervent défenseur de leurs convictions.

Atanathar fut immédiatement calmé par les propos de Mikaïl, ce dernier avait raison et Atanathar se dit intérieurement qu'il ne devrait pas laisser ses émotions prendre le dessus. Il se jura de faire attention à l'avenir.

Atanathar était même soulagé que son attitude et ses paroles ne soient pas parvenues jusqu'aux oreilles de l'elfe manchot, il aurait pu faire capoter ce que Baelsul et Mikaïl étaient en train de construire.

Il se frotta énergiquement le visage comme pour se réveiller d'un mauvais rêve et emboîta le pas au groupe qui suivait leur nouveau guide.

Il semblerait que cet elfe pourrait les aider dans leurs pérégrinations à la recherche d'informations utiles contre les koalinths.

Arrivé dans l'humble demeure de l'elfe, le groupe se serra autour de coffre et Atanathar se força à garder la bouche fermée pour ne plus commettre d'impair. Il attendit patiemment que Mikaïl ou Baelsul, leur explique les échanges. Il ne parlerait que quand il y serait convié. Cela serait un exploit pour notre jeune halfelin mais il devrait l'apprendre, comme durant ces années d'étude avec Maître Sarouf. Et mieux vaut s'y mettre tôt à cet apprentissage que trop tard.

¤Tout est un question de discipline!¤

Comme disait son vieux Maître, comme quoi Atanathar avait encore beaucoup à apprendre. Cela lui fit penser qu'il devait demander le livre de sorts de la guenaude à Mikaïl, il y dénicherait certainement quelques intéressantes choses mais l'heure n'était pas à la rêvasserie, il était question de rester concentrer maintenant.

L'affrontement verbal s'était, semblait-il, terminé et de façon pacifique de surcroit. L'attitude, à la fois ferme et respectueuse, des aventuriers avait amené l'elfe à les considérer sous un jour moins hostile.

Approuvant d'un simple signe de tête l'invitation à le suivre, le jeune noble laissa ses compagnons se charger du transport du coffre. S'abaisser à une telle tâche, outre le fait qu'elle fût encore au-delà de ses forces, lui apparaissait vraiment indigne de sa condition.

Une fois installés dans la modeste cabane, le devin prit la parole pour confirmer les propos de Baelsul.

- Ce sont bien ces Koalinths qui requièrent notre attention, commença-t-il en elfique avant de se reprendre. Mais parlons plutôt en langage vulgaire, si vous le voulez bien, afin que tout le monde puisse comprendre.

Esquissant un petit sourire, Mikaïl poursuivit en commun, cette fois :

- Comme je le disais, nous voulons en apprendre davantage sur les raids des Koalinths. Leurs pillages, visant principalement des objets magiques, semblent trop ciblés pour n'être pas commandités. J'avoue avoir un intérêt particulier pour tout ce qui touche à la Toile alors cette affaire me tient à cœur.

Sans se départir de son attitude hautaine, sans toutefois être agressive, le Cormyrien fixa calmement Ecthelöwe.

- Je ne sais pas si nous sommes dignes de votre confiance mais voila mes motivations, du moins à court terme. Bien malin peut être celui qui sait vers où le destin voudra me guider ensuite.

Laeylan rongeais son frein. A tel point qu’elle ne desserrait pas les dents. Oscillant entre frustration de ne pas pouvoir ouvrir un coffre perdu sans être dérangée et l’agacement de devoir justifier le moindre acte quel qu’il soit à n’importe qui qui se pointe en le demandant, en plus, sans aucune forme. Elle était plutôt d’accord avec Atanathar sur ce point-là. On le dézingue et comme ça on est peinard pour finir la découverte. Sachant que son tempérament n’aidait pas les négociations en général, elle se retint de dire quoi que ce soit, espérant que tout ce blabla inutile et ces ronds de jambes grotesques fassent partir l’autre inopportun. Le tout en plus dans cette langue qu’elle trouvait un peu prétentieuse d’elfe, pour ne pas améliorer son humeur.

Pendant la discussion, elle s’était agenouillée devant le coffre, posant les bras et les mains dessus pour s’y appuyer en attendant que la situation prenne un tournant ou un autre. Elle tapotait nerveusement du bout des doigts le coffre, appréciant le bruit sourd qui en sortait au moindre coup de doigt.

La genasie connaissait de réputation ce dont le nouveau venu estropié parlait. Le mur et tous ces trucs divinesques d’histoires à faire peur aux enfants. Elle était tiraillée entre sa pensée propre, à négliger tout ça, et celles de son éducation à respecter plus encore ces choses. Mais autant elle avait eu un soupçon de respect pour lui de part sa position de gardien du mur, autant cette étincelle s’étouffa rapidement quand il annonça sa déchéance.

Sur le chemin de la cabane abandonnée, elle ne pipa mot non plus. Rageant de devoir encore s’expliquer sur ses motivations et autres buts pour le bien commun. Depuis ses années de captivités, elle était d’abord intéressée par elle et sa survie, et si cela aide les autres, ce n’était un bonus collatéral appréciable. Voyant Baelsul sortir son médaillon du loup argenté, elle en fit de même, se disant opportunément que le mec serait plus sympathique avec elle si montrait un semblant de lien avec lui, comme il avait réussi à l’amadouer avec Mikaïl. Elle se permit malgré tout une tentative de parole pour continuer de sonder un peu l’estropié.

-On n’est pas déchu de son poste au mur pour rien, et quoi qu’il se trouve dans cette boite, les Koalinths auraient pu la récupérer sans que vous ne vous en rendiez compte. Je vous parlerais de mes motivations après avoir un peu entendu de votre histoire.

Si Ecthelöwe semblait faire le dos rond et s'ouvrir à eux, la remarque de Laeylan le fit se raidir aussi sec. Il foudroya la genasi du regard, alors même qu'il s'était sans doute attendu à ce qu'une fille de l'eau soit plus sensible et proche de ses sentiments. Mais ces métis étaient tous trop uniques et imbus d'eux-mêmes pour répondre aux attentes qu'on avait d'eux:

– Personne ne garde plus la septième porte, de nos jours, car elle n'existe plus, comme bien des cités sous-marines. J'ai usé ma vie à la défense d'un idéal de paix qui peine à survivre… Quant à ce coffre, les koalinths ou des voleurs seraient bien en peine de l'ouvrir, même si je choisissais d'épargner leurs misérables vies.

Il resserra vivement la main sur son talisman, écrasant dans l'œuf l'idée d'ouvrir le coffre.

– Il est coutume chez nous Alu'Tel'Quessir d'accepter l'emprunt d'un bien dont on n'a pas l'usage, mais mon peuple avait raison d'en exclure les étrangers. Sortez d'ici…

Et aussi sèchement, l'entrevue prit fin. Peut-être auraient-ils l'occasion de recroiser le vieux gardien, mais ce soir-là, il n'était manifestement plus d'humeur, et rien ne semblait pouvoir y changer quoi que ce soit.

L'humain rongeait son frein dans son coin. Comme d'habitude il n'était pas du genre bavard, et surtout il ne comprenait strictement rien à ce qu'il se disait. Et ça... ça l'énervait encore plus.

Son visage déjà fermé semblait encore plus sombre, et il serrait les dents. Mais il ne disait rien. Y avait il quelque chose à dire ? Il sentait qu'il y avait quelque chose chez l'elfe. Ils l'avaient tous sentit.

Combien de temps ? ¤ Cinq... Six secondes peut être... Peut être moins... Pas plus en tout cas.¤ Ca c'était en face à face. Dans le dos... Peut être dix, douze secondes. Il n'aurait qu'une chance et il n'était pas certain de réussir son coup.
De loin peut être ? Une esquive lui ferait perdre une ou deux secondes... Suffisant pour que la bleue fasse son numéro ? Il serait le suivant, à n'en point douter.

Ils avaient de la magie, mais Merak ne savait pas quoi. Ni si c'était utile. ¤ Fichu lanceur de sort... Ca cause ca cause et on est encore là à se geler le cul en plein milieu de la nuit à faire des belles phrases.¤

Et le voilà qui portait le coffre. Apparemment il y avait eu un accord. Ah une cabane ! Si on le blesse et qu'on y fout le feu en l'attendant dehors. Baelsul pouvait le cribler de flèches si il essayait de sortir...

C'était pas une fin très noble pour un guerrier, mais aucune guerre n'est propre... On ne choisit pas toujours sa mort.

Merak caressait de sa main libre le tranchant de sa hache de lancer. ¤Juste là, entre les deux omoplates... Il ne devrait pas avoir le temps de réagir.¤ Ses pensées défiler, mais visiblement il semblait le seul à penser à ça. Alors il attendait encore.

Et il se retrouva là, debout dans cette cabane minuscule avec les autres. A écouter encore des mots auxquels il ne comprenait rien, et sa patience arrivait à bout. Il allait intervenir jusqu'à ce que Mikaïl commence à parler... en langage vulgaire, comme il le dit lui même.

- Le bouseux t'emmerdes cordialement Mikaïl... lui glissa t-il pas forcement très discrètement.

Mais avant qu'il puisse parler pour lui même, Laeylan et son franc parler fit le reste et la discussion coupa. Il avait envie de rire à pleins poumons.

- Bien bien, je commençais à trouver le temps long... murmura t-il.

Un regard à Laeylan. Ses mains étaient prêtes. Il n'était pas tout à fait remis. Mais quand les batailles s'enchainent, on ne l'est jamais vraiment...

Décidemment, cet elfe mystérieux intriguait fortement Mikaïl avec ses ambiguïtés, décrépitude et noblesse mêlées. Alors que celui qui s'était lui-même présenté comme gardien face aux envahisseurs aquatiques semblait dans de bonne dispositions à leur encontre, l'attitude directe et abrupte de Laeylan vint faire capoter l'issue de la discussion.

¤Maudits soient ces elfes et leur foutue fierté mal-placée !¤, pesta intérieurement le jeune noble du Cormyr tout en foudroyant du regard la génasi et son absence manifeste de tact.

D'ailleurs, en parlant de tact, voila que Merak n'en était pas en reste, prenant visiblement la mouche pour un prétexte futile. Les lèvres du magicien se pincèrent alors qu'il se retenait de tancer vertement l'impudent. Cette saillie de l'humain n'était, hélas, que l'illustration du gouffre séparant deux mondes, celui des rustres et celui des gens de qualité.

Visiblement, il n'y avait rien à faire pour rattraper la situation que Merak semblait d'ailleurs se préparer à envenimer aussi Mikaïl inclina légèrement la tête, un petit sourire attristé aux lèvres.

- Veuillez pardonner le manque d'éducation de mes compagnons, répondit-il à Ecthelöwe, revenant à l'Elfique pour l'occasion, le temps n'étant plus à montrer de la considération envers ceux qui la refusaient de façon aussi vulgaire. Ceci, pas plus que l'ignorance, ne constitue néanmoins une excuse alors que votre sacrifice ne devrait vous falloir que de la gratitude et non des questions déplacées. Vous êtes, bien entendu, seul juge de l'utilisation de votre héritage. Pour ma part, je me verrais honoré si vous acceptiez, au moment où vous le jugerez opportun, de partager avec moi votre expérience.

Déçu, Mikaïl ? Certainement un peu, mais pas au point de provoquer un affrontement inutile. Ecthelöwe était, au fond, sans son droit le plus strict et les aventuriers n'avaient aucune légitimité à insister.

- Que le souffle de l'océan vous imprègne de sa force pour vous pousser de nouveau vers vos idéaux. Il est temps pour nous de prendre congé.

La dernière phrase était prononcée en Commun afin que tous puisse la comprendre. Sur un ultime salut, le Cormyrien laissa là l'elfe, toujours majestueux dans son digne dénuement, et quitta la masure, invitant ses compagnons à le suivre.