L'oeil des Sorcières, Aventure dans les Moonshae

A la bille du frondeur, les yeux de l’animal se voilèrent d’incompréhension. Il ne l’avait pas vu, lui le gris, le père de la meute, le chasseur, avait failli, encore une fois. La cible n’avait pas d’odeur, il ne laissait aucune trace, comme les bipèdes gardiens sans en être un. Il aurait dû se méfier… cet humain n’était pas d’ici …
Mais ils avaient faim depuis que les géants étaient arrivés sur leurs terres et dévoraient tout leur gibier, et les petits trop jeunes encore que pour quitter les lieux.
Il secoua la tête, la fourrure entre les oreilles hérissée, les babines retroussées pour montrer des crocs blancs comme la neige.

Le loup savait que l’intimidation ne marcherait pas, ils étaient trop bien armés, et trop nombreux tandis qu’ils se regroupaient. A l’instant où il s’en rendit compte, une flèche le percuta en pleine tête. Le coup était puissant, douloureux, ses oreilles bourdonnèrent une seconde seulement, avant qu’une deuxième, d’une précision diabolique, le frappa en plein milieu du front.

L’archer aurait pu lui trancher la carotide tant il était précis, et arracher à ce qu’il restait de la meute, son plus valeureux défenseur pour une triste erreur de jugement guidée par la faim. Finalement, ils auraient dû oser s’approcher de l’abri de la femelle humaine. Sans l’ours charogne, ils avaient accès à de la nourriture plus facile.

Le gris s’effondra de toute sa masse. Par instinct, les quatre fils abandonnaient le cercle autour des aventuriers pour se rapprocher de leur père.
Une nouvelle bille fusa, frappant les côtes d’un des quatre, glapissant de douleur.
C’est leur père qui devait prendre la décision d’éliminer cette menace pour la meute. Il fallait qu’il se réveille, et qu’il les guide.

L'enfant ne put retenir une mimique de satisfaction lorsque ses projectiles précis frappèrent leurs cible, petit instant d'orgueil propre à son âge. En quelques secondes, il avait retourné la situation passant de la position peu enviable du gibier à celle, dominante, du chasseur. Les longues journées passées à courir les bois autour de Hovdène portaient leurs fruits et Tijak se sentait parfaitement à l'aise en évoluant dans une forêt quelconque, retrouvant instinctivement ses repères, au point qu'il pourrait croire y avoir toujours vécu.

Il lui fallait néanmoins garder la tête froide et ne pas commettre une imprudence qu'un excès d'enthousiasme pourrait bien provoquer. D'autant que l'attitude des loups n'était vraiment pas normale, trahissant bien le désespoir des fauves poussés à agir de la sorte.

Toujours juché sur sa branche, le gamin interpela ses compagnons.

- On d'vrait filer d'ici, conseilla-t-il. J'pense pas qu'les loups nous attaquent encore si on n'va pas les chercher. Ils ont compris qu'on était un morceau trop dur à croquer.

Descendant aussi rapidement de l'arbre que la prudence le lui permettait, le jeune mousse rejoignit le groupe pour montrer aussitôt la direction de la piste qu'ils suivaient jusqu'à maintenant.

- On continue ? proposa-t-il, toujours aussi enthousiaste. J'repars devant mais faut faire attention, ls géants sont p't-être pas loin. C'est sur'ment à cause d'eux qu'les loups n'ont rien à bouffer.

Inconscience ou simplement désir de bien faire, le jeune éclaireur paraissait vouloir reprendre la tête du groupe comme s'il ne s'était rien passé, quitte à encore disparaître à la vue de tous en évoluant à l'avant-garde.

Le tir de Sahadeva avait été parfait, touchant de plein fouet le loup et le mettant hors de combat sans le tuer. Le Maquar avait esquissé un sourire de satisfaction, heureux de voir que ses flèches avaient fait mouche.

¤ Loué soit l'Adama, l'action vertueuse est toujours récompensée ! ¤

Son entrainement quotidien n'était probablement pas non plus étranger à cette réussite, mais, pour le guerrier, l'aspect moral et les aptitudes physiques formaient un tout indissociable.

Il avait encoché une nouvelle flèche, mais aucun loup ne semblait pour l'heure disposer à passer à l'attaque. Toujours vigilant, il enjoignit Sail et Sylaruil à se diriger prudemment vers Vëla et Tijak.

S'étant rapproché de l'ancien mousse, il déclara :

- Beau tir tout à l'heure, Tijak ! J'en ai mis un hors de combat, mais je l'ai épargné : j'espère que cela leur servira de leçon et que nous n'aurons pas à le regretter. Tu as donc raison, mieux vaut ne pas traîner ici… Mais soyons prudents : pas d'escapades lointaines en solitaire…

Sahadeva crut bon de préciser :

- Ces loups avaient un comportement franchement anormal : peut-être à cause des géants, comme tu le dis, peut-être autre chose. Mais cela doit nous inciter à la prudence…

La jeune femme approchait de Tilak quand soudain les loups se dispersèrent sans qu’elle puisse les voir ni les sentir, ce fut les paroles de Tijak et de Sahadeva qui lui confirmait leur fuite. Intérieurement la jeune femme de la Rashéménie se posait de sérieuse question sur le comportement anormal des loups. De sa connaissance, les meutes étaient plus nombreuse et très rarement s’attaquait aux humanoïdes, cette bande qu’ils venaient de rencontrer était trop peu nombreuse et très téméraire ce qui présageait qu’il devaient être très affamé pour oser une telle attaque. Une tristesse la prit comme une brise furtive aux dernières paroles de Tijak qui lui vrillait le coeur de vérité. Ressentant une profonde empathie aux paroles de Sahadeva une désolation vint soudainement anéantir sa joie de vivre. Son air mélancolique reprit de plus bel. Posant son regard sur le Maquar elle demandait d’une voix presqu’éteinte...


-Il est gravement blessé? Croyez vous que je devrais le soigner et les nourrir? –

Puis son regard se tournait dans celui de Sylaruil, la suppliant presque de soutenir son vouloir. La paladin sentait en elle un appel, cette nature lui apportait un point de vue différent qu’avant. Etait-ce cette île qui lui faisait cet effet ou l’intermède auprès de l’huitre ou bien la nature tentait de lui lancer un appel à l’aide. Elle se sentait étrangement différente depuis qu’ils avaient commencé leur entrée dans cette forêt. Rangeant SainteÔ dans son fourreau dorsale elle sortie deux rations de viande séchés, elle en déchirait les morceau pour répandre l’odeur puis les déposait à ses pieds se retenant de ne pas aller les porter plus près. Une chose qu’elle savait était qu’il faut être talentueux pour approcher une bête blessée, elle ne se risquerait pas de tenter de soigner le blessé, mais leur laisser un peu de nourriture était le moindre qu’elle pouvait faire.

Se retournant vers les compagnons elle dit sèchement...


-Allons rétablir un certain équilibre dans cette nature et vous avez surement raison, les géant peuvent débalancé l’ordre des choses. Ne perdons pas plus de temps. Tijak, Sahadeva est de bon conseil, restons prudent et soyons moins téméraire que les loups.-

L’ex-folle de Torm récitait ensuite quelques mantras et reprit son arc et y encochait une flèche pour reprendre la marche.

Sahadeva approuva les propos d'un hochement de tête et la rassura quant à l'état du loup :

- Je ne pense pas qu'il soit nécessaire de le soigner. Je ne m'y connais pas trop en anatomie animale, mais il devrait reprendre connaissance d'ici quelques heures et être assez rapidement en mesure de chasser à nouveau. Raison de plus pour ne pas trop nous attarder…

L’elfe du soleil levant n’osa pas faire preuve d’agressivité envers les loups. Ses compagnons avaient utilisé des techniques qui semblaient ne pas porter atteinte à la vie de ces animaux des forêts. Elle continua sa progression alors que le guerrier lui enjoignait de lui emboîter le pas. Les loups avaient chassé en meute le petit groupe d’aventurier qui ne s’y était pas laissé prendre. Surtout que les loups s’étaient apparemment retirés et que la menace n’était plus directe.

Répondant à Sahadeva elle réagit :
« Oui, ces loups doivent avoir bien faim ! Puis s’adressant à Tijak elle lui dit, repars devant, mais restons groupés si nous ne voulons pas risquer de nouveau de nous retrouver dans cette même situation. Se retournant vers Vëla elle ajouta, je crois que ses amis ne voient pas d’un bon œil que tu t’approches de lui, ils risquent de lui prêter assistance si tu tentes qui que ce soit. A mon avis il est sonné mais il devrait s’en remettre ou alors il est déjà mort. »

Suivant le geste de la Paladine, Sylaruil entrepris elle-aussi de leur remettre une partie de ses provisions en viande, ça calmerait peut-être pour un temps leur appétit. Concernant les géants, l’elfe ne savait rien mais elle suivit l’intuition de ses compagnons.

L’elfe en profita pour ranger sa lame, reprenant peu à peu un état d’esprit plus serein.
« Puissent la Terre Mère ou Rillifane Rallathil lui venir en aide. Qu’il se relève et guide sa meute vers d’autres proies dans une forêt apaisée. »

La tournure des évènements avait très vite changé, et Sail était sans doute au moins aussi surprise que le mâle alpha qui s'était écroulé devant elle. La jeune femme avait vu comme un éclair percuter le front gris du canidé, mais elle ne comprit que lorsqu'elle aperçu Sahadeva encocher une seconde flèche puis rassembler le groupe.

Ce n'est que lorsqu'elle entendit geindre de douleur un des jeunes loups qu'elle se rendit compte que les quatre autres mentionnés plus tôt par Jakelm étaient alors autour de leur chef, effondré.

Elle se détendait progressivement face à la situation que le groupe venait de reprendre en main, tapotant l'épaule du Maquar et ébouriffant la tignasse de Tijak pour les féliciter.

Par contre, elle resta bouche bée face aux agissements de Vëla et Sylaruil. Supposant par moult préjugés qu'il s'agissait encore là de délires religieux pour la première et de connexion mystico-culturelle pour la seconde, la jeune femme s'exprima non sans quelques sarcasmes tandis que le groupe continuait son chemin.

-Donc maintenant on nourri ceux qui voulaient se nourrir de notre chair? C'est nouveau ça! C'est un commandement de Torm? Ou une pratique elfique, peut être?, railla-t-elle à ses deux compagnons.

La réponse de Sahadeva sécurisait l’ex-folle de Torm, ainsi que le mouvement de Sylaruil et de sa recommandation, mais la tirade de Sail apportait un regard que Sail n’avait jamais encore vu dans celui de la Rashéménienne. La dureté du regard était celle des légendaires bersek du nord, une sauvagerie proche de l’animal et celui de Vela présentement, était bien celle d’une louve.

Il parut difficile à la paladin de se retenir, mais elle y arrivait quand même puis d’un ton plus soutenu elle ajoutait vers Sail...


-L’ordre des chose, ici, à été changé Sail, soit par les géants, soit par autres choses que nous allons découvrir bientôt ou plus tard. Une chose certaine, c’est que dans ma jeunesse, le loup était mon animal totem. Chez nous, en Rashéménie, nous nous soumettons à un partage de force avec l’animal totem de notre choix nous puisons en lui les forces et sa rage pour ensuite entretenir une relation particulière avec ceux-ci. Malheureusement quand Torm m’a choisi, j’ai du faire un choix déchirant, soit choisir Torm où soit choisir le lien qui m’unissait aux loups. Ils m’auraient attaqué je me serais défendu, mais la situation présente à changé Sail. Leur comportement n’est pas habituel, il faut respecter plus faible que soi, ce n’est pas si... Sorcier. –

Le dernier mot sorti, lui laissait un air égaré comme si elle était ailleurs puis elle revint rapidement à sa position de départ pour poursuivre la route. Dans cet égarement sommaire, elle c’était retrouvé devant Kazgaroth et elle avait comprit qu’elle devait continuer de se battre intérieurement et redoubler d’effort, beaucoup plus qu’auparavant. Ce dernier avait trouvé une faille en elle, peut être même plusieurs autres, mais celle de son ancien lien bersek était un de taille, il lui avait fallut tellement de temps pour contrôler cette rage qui était en elle qu’elle avait faillit perdre Torm plus d’une fois.

Tous purent entendre qu’elle psalmodiait des mantras pour se contenir. Elle entendait dans ses lointains souvenir les paroles du maitre moine de l’Ordre du Corbeau lui mentionner qu’il était tellement plus facile de retomber que de se relever, de revenir dans ses vieux tourments que de s’en sortir, de continuer de voir la lumière que de fermer les yeux de céder à la peur que de prendre son courage, de faire le chaos au lieu de faire l’ordre, de se laisser aller à sa rage au lieu d’être sage...

Elle déposait sa main droite sur l’épaule de Sail laissant sa main se refermer sur la tendre épaule et sur un ton autoritaire...


-Je te pardonne soeur, mais fait attention à tes sarcasmes, ce n’est vraiment pas le moment.-

Se retournant sérieuse son regard croisait celui de Sahadeva, il y vit une certaine détresse, contrôlé, mais Vëla avait bel et bien changé. Elle reprit la marche que Tijak ouvrait remettant les doigts de ses mains droites sur la corde de son arc.

Une heure encore, les jeunes loups gardèrent leur père, jusqu’à ce qu’il se relève, les paupières basses. Sur un grognement entendu, il les mena à l’antre de Marge où ils purent non seulement se repaitre mais aussi ramener bien assez aux louveteaux pour leur assurer subsistance.
Chacun avait raison, chacun avait tort, il n’y avait aucune vérité, aucun choix qui ne souffre d’aucun inconvénient. Les canidés avaient fait une erreur, les jeunes devaient s’en rendre compte pour ne pas la reproduire, c’était là l’essentiel du choix des aventuriers.

De moins loin, Jakelm reprit sa fonction d’éclaireur. Son aisance était telle qu’il avait le temps de se repérer souvent et de corriger sa trajectoire. La densité de la forêt était telle qu’il leur sembla que le jour déclinait déjà. Les troncs étaient épais, la frondaison lourde de branches tortueuses, exubérante bien qu’on soit for tôt dans l’année. Cette forêt était ancienne et libre dans son développement.

Tandis qu’ils s’enfonçaient depuis plus d’une heure, l’éclaireur perçut la changement. La roche prenait le dessus. La végétation se diversifiait vers des épineux et des buissons plus clairsemés. Un ruisseau serpentait d’un bon mètre de large, la neige ayant fini de fondre, il était lent et se perdait de-ci de-là en flaques marécageuses. Au milieu d’une d’elle, Tijak reconnut ce qu’il cherchait : l’empreinte d’un large pied emballé dans une chaussure de cuir, puis une autre, et plus encore. La terre est tassée par les passages. De loin, en suivant des yeux le cour du ruisseau jusqu’à un bassin plus large, il découvre, sur sa gauche, une profonde anfractuosité dans un mur de roche.
Et du mouvement sans pouvoir en dire plus.

L'incident avec les loups était réglé et la progression de leur petit groupe put reprendre. Ouvrant toujours la voie, Tijak suivait la piste, refreinant néanmoins son enthousiasme pour ne pas trop se fondre dans la végétation, du moins vis-à-vis de ceux qui le suivaient. Plus le temps passait et plus les indices s'accumulaient, indiquant qu'ils se rapprochaient de leur objectif. Ce n'était donc pas le moment de provoquer de nouveaux glapissements inquiets de Vëla, endossant encore une fois son habit de "mère-poule".

Devant l'éclaireur, une large empreinte s'enfonçait dans la boue, renseignant toujours sur la direction à prendre. S'accroupissant un bref instant, le garçon examina la trace, essayant d'évaluer la taille de celui qui avait ainsi signalé son passage. Tant qu'il y était dans ses observations, il chercha également à détecter si la créature était seule ou accompagnée, ainsi que le nombre de membres de son groupe.

Montrant du doigt la grotte qu'il devinait dans le rocher devant eux, il expliqua à ceux qui le suivaient et l'avaient rejoint :

- J'ai cru voir quelque chose bouger là-bas, murmura-t-il. J'vais voir d'plus près c'qu'il y a.

Et aussitôt, avant qu'une objection ne puisse s'exprimer, Tijak se remit en route, utilisant le lit du ruisseau pour se dissimuler. Avançant avec précaution, il se coula de couvert en couvert pour se rapprocher au maximum de l'anfractuosité, prêt à se tapir au moindre mouvement suspect.

Furtivité à +12 ; Perception à +7