L'oeil des Sorcières, Aventure dans les Moonshae

Rassuré par les propos de Sylaruil, Sahadeva avait achevé son inspection des lieux et son constat était plutôt positif : l'endroit semblait sûr et facile à défendre. La Maquar n'avait pas manqué d'apprécier la solidité et les dimensions impressionnantes de cet ouvrage défensif érigé en des temps lointains et oubliés.

Il avait installé ses affaires dans un endroit calme et bien protégé, puis il avait avalé quelques provisions. Le guerrier avait proposé de se charger du premier tour de garde pour permettre à Hermine et Sylaruil de prendre le repos qui leur était nécessaire. Elles prendraient sans doute le relai pour la suite de la nuit, ayant moins besoin de sommeil que leurs compagnons.

Alors qu'il s'apprêtait à huiler son cimeterre, il remarqua que le bâton de Marge avait commencé à luire. Il l'avait machinalement transporté avec lui pendant tout ce temps et oublié de le remettre à sa propriétaire le moment venu. Cette dernière ne le lui avait par ailleurs étrangement pas réclamé. Intrigué par le phénomène, il alerta ses compagnes de route :

- Le bâton s'est mis à luire... Une idée sur ce que cela peut signifier ?

Sahadeva n'avait aucune connaissance en matière de magie et supposait que Tijak n'avait guère plus d'expérience dans ce domaine. Mais il n'en allait probablement pas de même pour les autres membres du groupe.

Se souvenant des propriétés qu'Hermine avait accordées à son arme, il empoigna son cimeterre et prononça à mi-voix la formule adéquate.

- Bhagavad Gita.

A l'aide de Nakula, il lance Détection de la magie pendant une minute.

Narration

Sahadeva n’avait que peu utilisé le pouvoir Nakula. Au mot de Pouvoir, l’œil rouge sang de l’Aboleth se mit à luire, deux fois plus fort que la tête du bâton.
L’effet était saisissant, c’était comme si, soudain, le guerrier possédait un autre sens qui complétait la vue. Ce n’était pas de la lumière, c’était une sorte de rayonnement, autant d’auras que de sources de magie. Le bâton en était gorgé, en réponse à sa question muette, comme l’équipement de Vëla, celui d’Hermine, le sac de Tijak, et sa propre broche. D’une aura aussi puissante que l’armure noire et pourtant, Marge n’avait pas même tenté de le récupérer.

Le maquar eut une explosion de pensées fugaces : tout compte fait, elle avait très bien pu tenter de récupérer son bien pendant qu’ils affrontaient les ogres, en prenant simplement un autre chemin, et ne pas le retrouver les désignait comme des voleurs puisqu’ils n’avaient pas essayé de le lui rendre. Marge avait prouvé qu’elle pouvait voyager vite et sans laisser de traces, exactement comme Tijak et les Guenaudes, d’ailleurs, d’où leur venait ce talent ? Quelles autres points communs partageaient-ils ? Ou bien Marge le leur avait laissé volontairement, pour l’utiliser comme un repère qu’elle pourrait toujours retrouver pour surveiller le groupe d’aventuriers et s’en protéger ? Et si le baton n’appartenait pas à Marge mais à une des Guenaudes ?
Dans la lueur chaude du petit feu de Vëla, il observait ses compagnons et leur façon de se préparer pour la nuit.
Nakula lui offrait de percevoir les auras magiques, certes … mais portait-il plus que ce pouvoir de par l’origine maudite de l’œil ou n’était-ce qu’un jeu de son esprit qui ne pouvait en oublier l’origine ?

Quelque chose dans l’attitude de Sylaruil le fit arrêter ses divagations. C’était comme si elle avait entendu quelque chose _et lui rien.
Les autres compagnons s’en rendirent compte également, ils épiaient ses changements de posture et d’attitude depuis sa renaissance.

Voyant que ses compagnons avaient remarqué quelque chose, Sylaruil donna sens à l'approche discrète de Chélidoine et de son message visiblement adressé à elle seule. Ses compagnons se préparaient à combattre, pas à accueillir une aide providentielle. Il était extrêmement sage et bien vu d'agir de la sorte plutôt que de se présenter eau et clair.

Se demandant intérieurement comment la druidesse avait pu faire pour trouver leur abri dont ils avaient discuté bien après la fuite de Marge, elle prit conscience que si elle-même, Tijak, et éventuellement Hermine si elle s'y employait, auraient pu ne laisser que de très légères traces -ou pas du tout-, il n'en était absolument pas de même pour Vëla montant Abby, ou pour Sahadeva.

Sans attendre qu'elle s'explique, Tijak, après avoir signifié son intention d'un geste muet, disparut pour escalader un des arbres et tenter de percevoir ce qu'elle avait pu entendre. De vouloir être parfaitement discret, l'accrobatie fut moins facile qu'elle aurait pu l'être et pour éviter de trahir sa position, il évita les branches plus fines qui l'auraient soutenu sans peine mais auraient pu fléchir trop que pour passer inaperçu. Il lui fallut encore un moment mais il finit par apercevoir une silhouette humanoïde drapée dans un grand manteau sombre, un baton à la main. Il ne l'aurait sans doute pas vu si ses longs cheveux n'étaient pas aussi blanc que la lune dont on devinait la lueur derrière la légère brume et les nuages épars.

Cette tour était tombée pile au moment opportun. En plus de leur offrir un abri pour la nuit, légèrement à l'écart pour minimiser les risques d'y être surpris, elle permettait également à Tijak de laisser libre cours à son inépuisable énergie. Comme si les aventures de la journée n'avaient pas suffi à le fatiguer, l'adolescent éprouvait encore le besoin de se dépenser, escaladant sans hésiter le bâtiment au prétexte de vérifier que tout allait bien autour d'eux.

De là-haut, l'éclaireur surplombait la forêt, se rassurant en constatant que tout semblait calme.

- Chouette coin qu'vous nous avez trouvé, m'dame Hermine, commenta-t-il une fois redescendu de son poste d'observation. On voit vraiment tout s'qu'il s'passe autour de nous.

Toujours curieux et émerveillé par la métamorphose de Sylaruil, Tijak avait aidé de son mieux à modifier l'armure, rassuré de voir la jeune femme reprendre des forces.

Le bivouac se mettait en place autour d'un petit feu, indispensable pour lutter contre la froide humidité qui se répandait à la nuit tombée et le gamin insista bien pour être inclus dans les tours de garde qui se profilaient. Peu au courant des capacités physiques des autres membres du groupe, il tenait néanmoins à faire sa part de travail, refusant à ce que son jeune âge ne servît de prétexte pour le ménager.

Soudain, alarmé par les paroles de Sahadeva et par l'attitude absente de Sylaruil qui semblait se concentrer sur quelque chose qu'eux ne percevaient pas, Tijak bondit sur ses pieds, tous ses sens à l'affut du moindre bruit. Rien. Était-ce une fausse alerte ?

Sans faire le moindre bruit, l'éclaireur désigna un arbre proche qui surplombait leur abri. Puis, sans perdre de temps, il entreprit d'y grimper, un poste d'observation en hauteur pouvant se révéler indispensable en cas de grabuge. Voulant à tout prix rester discret, le jeune adolescent éprouva quelques difficultés à atteindre son objectif mais, une fois bien calé sur une branche, le dos appuyé sur le tronc, il scruta les environs.

Devinant plus qu'il ne voyait réellement la silhouette sombre aux longs cheveux blancs, il déroula souplement la lanière de cuir qu'il portait au poignet et y glissa une bille d'acier. Si le visiteur était emplein de mauvaises attentions, le gamin voulait se tenir prêt à intervenir.

Il semblait qu’il se passait quelque chose, Sylaruil avait un regard scrutateur, Sahadeva posait un questionnement sur la lueur du bâton et utilisait son étrange cimeterre, Tijak revint de son exploration puis grimpait dans un arbre pour ensuite disparaitre. Cela en était assez pour enlever la marmite du feu et faire une vision du juste en faisant un tour sur elle-même en balayant de haut en bas.

-Je ne peux pas savoir pour le bâton, mais il ne semble pas y avoir un esprit malin près de nous, à moins que...? –


La paladin s’approchait de Sylaruil pour en savoir plus. Est-ce que l’elfe ailé souffrait de vision ou avait-elle de nouveaux comportements qui la faisaient discuter dans le vide? La guerrière divine le saurait bien assez tôt.





Détection du mal.[/PARCHEMIN]

Ce n'était que la deuxième fois que Sahadeva activait les propriétés spéciales qu'Hermine avait conférées à son cimeterre. Comme à la première occasion, le Maquar fut submergé par un étrange sentiment : la perception de ces auras magiques constituait une expérience unique et inhabituelle. Une énergie émanait des objets magiques que chacun portait, ainsi que du bâton de Marge, ce qui confirmait sa nature.

Les pensées qui avaient surgi dans son esprit l'avaient également troublé. Peut-être était-ce un effet secondaire de l'oeil d'aboleth : il ne se souvenait que trop bien ses cauchemars. Mais, pour l'heure, ses réflexions lui semblaient riches de sens. Alors que Vëla lui indiquait ne rien savoir du bâton mais qu'une présence peut-être hostile semblait rôder autour de leur camp, il partagea avec elle ses pensées :

- Le bâton est magique : une puissante magie en émane. Incroyable que Marge n'ait pas voulu le récupérer... à moins que ce ne soit volontaire... ou que ce ne soit pas le sien. Je n'ai pas repéré d'autres auras magiques que celles du bâton et de notre équipement. Ce qui rôde près de nous n'a pas d'aura ou ne se trouve pas à proximité immédiate...

Au vu de la tension qui s'était installée, le guerrier jugea prudent de s'équiper et s'empara de son écu. Nakula à la main, il était désormais prêt à combattre si les circonstances l'imposaient. Il jeta plusieurs regards en direction de Sylaruil qui semblait percevoir des choses invisibles à ses yeux ou inaudibles à ses oreilles.

Aux réactions de ses compagnons, Sylaruil ne répondit ni par une effusion de perplexité ni par un enthousiasme débordant. Elle garda un calme étonnant. Elle venait de gagner en assurance sur qui elle était et sa posture s’en ressentait.

L’appel avait été aussi puissant que soudain. Dans un langage Sylvestre, l’elfe-fée venait d’être interpellée. Sylaruil en resta d’abord interdite. Comment avaient-ils été retrouvés. Était-ce encore un signe d’Angarradh ? Les circonstances étaient trop particulières pour ne pas penser à une bénédiction ou une autre forme d’intervention divine.

Afin d’éclaircir les pensées de ses compagnons qui semblaient déjà s’agiter, l’elfe fit elle aussi le choix de mélanger commun et sylvestre.
. Toute aide est la bienvenue dans notre combat pour la Terre Mère et la Sylve. Si Marge t’a guidée jusqu’à nous, c’est que ses pas on prit la bonne direction.

Elle reprit après une courte pause :
- Joins toi à nous et raconte-nous l’histoire de ce bosquet. Partage notre repos avant notre rencontre de demain avec l’Annis. Notre journée a été éprouvante tant physiquement que moralement et socialement entre nous. Puisse ta présence apaiser nos différends .

Une forte pensée allait à sa déesse au moment de prononcer ses paroles. Sans être une prière, l’éloge de l’union était un remerciement direct à la triple-déesse, Reine des elfes. Bien que peu pieuse par nature, Sylaruil se sentait tout a coup plus proche de sa divinité titulaire et redevable a jamais.

Rassuré par les propos de Sylaruil, Tijak se détendit, relâchant légèrement sa vigilance. Perché sur sa branche, le gamin restait néanmoins attentif, cherchant à discerner si une menace se dissimilait dans l'ombre de la silhouette en manteau sombre et aux longs cheveux blancs, Chélidoine s'il avait compris le sens général de la première phrase de l'elfe et s'il parvenait à retranscrire des sonorités étranges pour lui.

La fronde n'était plus armée mais le jeune éclaireur se tenait prêt à en faire usage si nécessaire. Il serait juste un peu moins rapide à décocher sa bille d'acier en cas de problème mais il ne pouvait pas, non plus, rester constamment sur le qui-vive.

Si l'intuition qu'aucun danger ne les menaçait se révélait exacte, il pourrait redescendre de son poste d'observation et se mêler à la conversation. Sa curiosité maladive ne pouvait décidément pas le tenir longtemps éloigné d'une nouveauté.

ous son armure noire, l'aventurière se réveilla.
C'était son familier qui l'avait réveillé d'une morsure, car la mustélidée était seule à savoir quelle plaque d'armure restait descellée durant son sommeil.
Hermine resta un instant immobile, aux aguets, les yeux et les oreilles grands ouverts sous la visière de son heaume. En entendant Sylaruil, son corps se détendit : elle n'avait pas entendu qui arrivait, mais si l'elfe-fée l'accueillait en elfique, c'était soit une visite amicale, soit un piège. Dans les deux cas, le moment et l'endroit était presque idéaux.

Haussant les épaules, elle laissa son heaume se replier et se leva, et sortit une chope et son outre de son havresac. Se souvenant vaguement qu'elle n'avait pas grand chose pour offrir l'hospitalité, elle sortit son vieux jeu de Talis. Celui-ci lui servait à la divination autant que pour passer le temps. Peut-être que la nouvelle arrivante aimait jouer aux cartes ?

Quoi qu'il en fut, elle la salua à son tour :

- Chacune d'entяe nous a besoin de beauté comme de pain, de lieux où la natuяe puisse la guéяiя et se réjouiя, et la lune foяtifieя son coяps et son âme.
Sois la bienvenue.

Narration

Tour à tour, ils prenaient conscience de l’approche puis de l’arrivée de la druidesse.
C’était une femme d’âge vénérable, sans qu’on ait pu discerner ni dans son port, ni dans ses mouvements, la moindre fatigue qu’on eut pu attribuer au poids des ans. Sylaruil savait que les Hauts-Druides profitaient de cet état -sans leur offrir la longévité exceptionnelle de son peuple. Ce que Tijak n’avait pu mesurer de son perchoir c’est qu’elle était particulièrement grande pour un humaine, autant que pouvaient l’être les plus guerriers Nordiques des Sélénaé et très belle. Ses longs cheveux blancs brillaient comme l’astre de nuit et cascadaient sur ses épaules comme un torrent de montagne. Il émanait d’elle une puissance évidente.

- Merci pour votre accueil, Aventuriers. C’est la providence qui vous a guidé vers cette ancienne tour, ou un talent certain.

Le sourire de la dame était charmant, et sa voix aussi douce que le printemps. Au hululement d’un chouette, elle pencha la tête en arrière en souriant, comme si elle l’écoutait -et sans doute était-ce le cas.

- Excusez mon excès de prudence. En ces terres de violence j’ai crains que mon approche nocturne ne vous effraie et d’être bien moins bien accueillie. Comme je le disais à la noble Llewyrr bénie de la Sylve qui vous accompagne, je suis Chélidoine, du Bosquet Sacré d’Aithelar. Le village d’Aithelar se trouve au Sud-Est de Callidyrr, sur la côte Ouest. Si vous ne la connaissez pas, je vous invite à vous y rendre. On y ressent toute la puissance de la Mer et du Vent, l’un et l’autre chantent jusqu’aux profondeurs des cavernes sur laquelle il se dresse. Le Bosquet assure l’équilibre cher à la Dame.

D’un hochement de tête elle salua chacun individuellement, son sourire s’élargissant en voyant Jakelm, son regard se posant un instant sur le bâton à tête d’Ours.

- Marge, disais-je aussi, m’a relaté vos exploits face aux Guenaudes. Ainsi donc, vous vous êtes mis en quête d’en débarrasser les Îles ?

Et tandis qu’elle faisait mine de s’intéresser aux réponses que chacun lui donnerait, le petit feu de Vëla se mit à fumer abondamment, et la fumée de s’étendre sur le sol, écrasée par l’humidité de l’air. L’œil de Torm comme celui de l’Aboleth ne perçait pas plus le large mur d’enceinte que ne le ferait une flèche… Cette prise de conscience déclencha un frisson simultané chez Vëla et Sahadeva.

Sahadeva s'était préparé au combat et ne s'attendait pas à se trouver face à une druidesse divinement belle. Le Maquar regaina son arme en signe d'apaisement, tout en scrutant attentivement la nouvelle venue dont la taille l'impressionnait : elle le dépassait bien d'une bonne tête.

Après s'être présentée, elle avait évoqué Marge et les avait interrogés sur leurs intentions quant aux guenaudes. Sahadeva ne savait que trop penser : la druidesse semblait bienveillante et cordiale, mais il avait croisé trop de fois la magie pour ne pas redouter un quelconque mauvais tour. Il était d'autant plus inquiet qu'il n'y connaissais rien en la matière.

Il finit par répondre courtoisement :

- La bonne rencontre, Chélidoine. Je suis Sahadeva, fils de Bûna, Maquar d'Estagund.

Il inclina légèrement son buste en guise de salut, son écu l'empêchant de joindre les mains comme il avait l'habitude de le faire. Il répondit ensuite à sa question :

- Nous soupçonnons ces guenaudes de tremper dans le maléfice qui frappé un hameau situé non loin d'ici. Nous souhaitions enquêter sur ces événements et nous avons découvert que l'une d'entre elles avait réuni une bande d'ogres à son service. Il n'a pas été possible de discuter avec eux, pas plus qu'avec les guenaudes. Faute d'autres possibilités, nous les avons éliminées.

Il commenta :

- Je ne sais pas si c'est un bien, mais ce n'est certainement pas un mal. Ces créatures semblent aussi puissantes que malveillantes. Mais nous ne savons finalement que peu de choses d'elles et sans doute pourrais-tu nous en apprendre beaucoup à leur sujet. Si tu le veux bien...