Chapitre II : La route vers le Fort, Chapitre II : La route vers le Fort

Le barde observait faits et gestes de ses compagnons et des gens qui les accueillaient. D'ordinaire si bavard, il comprenait ici qu'une cassure se préparait. Le groupuscule qui partait avec le même but, ayant signé des contrats, se voyait divisé. Les sourcils froncés, le skald se rongait un ongle en réfléchissant devant ce schisme.

Lorsque Sahadeva commanda un repas, le barde sortit de sa courte torpeur pour ajouter:

- Ce que vous avez de meilleur comme bière et un repas pour moi également" avant de poursuivre avec un clin d'oeil en direction de l'aubergiste "avec de la viande je vous prie!

Puis, avec un regain d'aplomb, il se dirigea vers Sahadeva qui faisait part de sa décision de rester avec Azur'ael à Célestia. La moniale avait décidée, la rage au coeur, de retourner sur ses pas avec les marchands pour y chasser les étranges orques que les compagnons avaient croisés auparavant.

Le combat fût éviter de justesse et Célestia le regrettait visiblement. Vieltal de son côté, aurait également préféré se joindre à la bataille. Pourtant, autant pour la Compagnie des marches, pour son employeur et pour le reste de son groupe d'aventurier, il resta près de Sahadeva.

- La cause est noble ma chère... Nous aurions peut-être dû faire couiner ses salauds... Tempus te garde dans ta quête pour réparer cette injustice.

Joignant le geste à ses paroles, le barde étira le bras pour serrer la main à la moniale.

Après quoi il écouta Sahadeva à propos des renseignements avant de lui flanquer une claque dans le dos en désignant une table du doigt. Il répondit tout bas.

- Mangeons d'abord, observons un peu la faune avant de s'avancer!

VIELTAL & SAHADEVA

En quelques instants, les aventuriers en apprirent beaucoup sur la route qu’il leur restait à parcourir. Si les marchands étaient peu prolixes, véritablement brisés par la fatigue et le vol dont ils venaient d’apprendre être victimes, les hommes d’armes les accompagnant eurent vite à cœur de partager leurs connaissances.

Les vendeurs de perles savaient avoir tout perdu, à part peut-être les perles noires cachées sous les banquettes du chariot si les Orcs n’avaient, effectivement, pas pris le temps d’une fouille approfondie.

Qu’il s’agisse d’Orcs ne les étonnaient pas, ils avaient croisé d’autres troupes de peu d’individus, évitant toutes l’affrontement, prenant même sur eux de quitter la voie de Commerce au passage de caravanes plus imposantes pour éviter tout affrontement. A faire le compte, par troupes de moins de dix, ils en avaient croisé plus de cinquante.

Célestia se montra pensive, analysant l’information avec gravité. Il s’agissait d’un regroupement d’importance, orchestrée avec soin et discipline, une mauvaise nouvelle en soit. Azur’aël n’en menait pas large non plus, leurs ennemis de toujours faisaient preuve d’un esprit tactique rare, il fallait qu’elle en informe les siens, le plus tôt possible.

- Je reviendrai vers vous avant que vous n’atteigniez le Fort de la Dague mais ma fonction s’accompagne de certaines obligations auxquelles je ne peux me soustraire.

Ainsi donc, après Célestia en chasse aux Orcs, Azur’ael programmait de les quitter le temps du voyage. Les deux hommes ne devaient pas douter qu’elle ait les ressources suffisantes pour voyager seule … mais plutôt commencer à craindre pour eux-mêmes !
Les aventurières les quittèrent devant leur repas, l’Elfe les conseillant d’attendre qu’une prochaine caravane passe par l’auberge fortifiée et qu’ils leur proposent de les accompagner.

Ils apprirent encore que la route vers le Sud était meilleure, que la pluie semblait n'arroser que le Nord à partir de quelques kilomètres seulement au sud de leur position actuelle et qu'ils pouvaient s'attendre à des conditions de route bien plus confortables dès qu'ils auraient franchi cette frontière invisible.

Le Maquar mangeait tout en ne perdant pas une miette des informations que les hommes d'armes leur fournissaient. A chaque fois, il se montrait poli et les remerciait chaleureusement pour leur aide. Lui qui était totalement étranger à cette contrée savait mieux que quiconque à quel point il était important de recueillir un maximum de données sur l'endroit où l'on se rendait.

Tandis qu'il finissait son plat, Azur'ael leur fit part de son désir de séparer d'eux à son tour. C'était une seconde défection, après celle de Célestia. Sahadeva était plongé dans l'embarras et la perplexité. D'un ton contrarié, il dit à l'intention de son employeuse :

- Est-ce une coutume chez vous de ne pas accomplir dans les meilleurs délais les missions que l'on vous confie ? Je me suis engagé à retrouver cette cargaison mais aussi à vous protéger. Me voilà partagé entre deux obligations...

Qui plus est, Vieltal et lui étaient les deux membres les moins expérimentés de l'expédition. S'ils tombaient nez-à-nez avec un autre groupe d'orcs, ceux-ci les anéantiraient sans problème. Le Durpari n'était cependant pas un lâche et il voulait mener à bien l'entreprise dans laquelle il s'était engagé. Il ajouta à l'intention de l'elfe :

- Je vous prie de me libérer de votre service. Je vais pour ma part continuer d'une manière ou d'une autre à rechercher la cargaison. Vieltal, puis-je compter sur toi ?

Les renseignements recueillis et le repas ragaillardissaient le barde pour le reste de la route à parcourir. Il semblerait que le mauvais temps était derrière eux et que le temps serait plus clément. Pourtant, plus les informations se partageaient sur les orques dans la région, plus l'elfe semblait inquiête. Si bien qu'elle déclara au groupe son départ également.

Devant la gravité de la situation, le barde prit une longue lampée de bière. Il faillit même cracher sa gorgée lorsque Sahadeva, toujours calme, résuma bien le sarcasme de la situation avec une phrase coup de poing.

Le mouvement des orques étaient effectivement préocuppant, mais la mission qui leur étaient confiés l'était tout autant. Il poursuivrait sa quête avec le Maquar mais devrait être beaucoup plus vigilants... La récompense n'en serait que plus grande pour eux deux et le barde pourrait ramener une bonne somme à la Compagnie.

- Cette situation est en effet bien embarrassante. Je comprend ton inquiétude devant la menace des orques et j'espère que nos routes se recroiseront, d'ici là, je poursuivrai la mission avec Sahadeva.

Décochant un clin d'oeil au Maquar, le barde se leva pour serra la main de l'elfe qui l'impressionnait toujours malgré sa défection.

L'ensorceleuse et la moniale quittèrent les lieux avant que les deux hommes eurent finit leur repas. Azur'aël n'avait pas même pris le peine de commander à manger, quittant les lieux la première, véritablement soucieuse.
Elle embrassa le front du Maquar, le libérant de son obligation dans une ancienne formulation elfique que personne ne comprit. Elle glissa dans sa main l'anneau qu'elle avait reçu en quittant Eauprofonde.

- Tu en auras plus besoin que moi. Prends soin de toi Sahadeva.

La moniale ne tarda pas à suivre le même chemin, suivant le groupe des six hommes au dehors. Les quatre hommes d'arme avaient repris du poil de la bête, bien décidé à faire payer les Orcs qui les avaient volé. Les deux marchants étaient moins convaincus. Résignés, ils auraient pu rester quelques jours de plus à l'abri, loin de la route qui leur avait pris leur dernière cargaison.

Au moment où elle s'apprêtait à franchir la porte, elle lança un anneau que Vieltal rattrapa par pur réflexe. Un anneau de jade.

Il leur restait à attendre le passage de prochains voyageurs pour suivre les recommandations de leur amie et laisser la mule se reposer encore un peu. La femme revient vers eux pour prendre leur vaisselle et s'inquiéter de ses clients.

- Vous restez là les jeunes ? Où est-ce que vous allez comme ça ?

Sahadeva fut soulagé qu'Azur'ael le libère formellement de la mission de protection dans laquelle il s'était engagé : au moins, les choses étaient claires, il poursuivrait sa quête de la cargaison aux côtés de Vieltal, tandis que la jolie elfe se débrouillerait de son côté. Rasséréné, le Durpari avait accepté l'anneau que lui proposait son ancienne employeuse et la salua :

- Merci pour ce présent, je ne doute pas qu'il me sera utile. Que les dieux vous gardent, Azur'ael, je m'en voudrais qu'il vous arrive quelque chose maintenant que nos routes se séparent.

Il inclina légèrement la tête tout en joignant ses mains.

Les problèmes de l'expédition étaient cependant loin d'être réglés. Vieltal restait fidèle au poste, tout comme le Maquar, mais il était évident qu'ils n'iraient pas bien loin à deux. Il faudrait attendre du renfort... mais, même s'ils rencontraient d'autres aventuriers, il faudrait encore les convaincre de s'engager dans une mission particulièrement risquée. Qui plus est, contrairement à eux deux, ces compagnons potentiels, n'ayant pas signé de contrat, n'auraient même pas l'espoir d'une prime généreuse...

Pensif, Sahadeva était resté silencieux, remuant ses méninges afin de trouver une solution qui leur permettrait de poursuivre leur route. C'était alors que la serveuse les avait abordés, ce qui fit quelque peu sursauter le guerrier.

Détestant mentir, il lui répondit franchement :

- Je pense que nous allons rester encore un peu... Nous souhaitons rejoindre la côte : un bateau y a fait naufrage et notre commanditaire souhaite récupérer la cargaison, ou ce qu'il en reste. Mais, à deux, il ne nous est plus possible de poursuivre notre route.

Un sourire triste s'afficha sur le visage du Durpari.

Le barde remercia les deux aventurières et les salua d'un signe de la main et de la tête lorsqu'elles quittèrent tour à tour. Il attrapa l'anneau de jade avec surprise.

Il retourna s'asseoir avec Sahadeva qui semblait pensif. Respectant le silence, le barde fit jouer l'anneau entre ces mains, ne sachant trop pourquoi on lui avait legué. Il doutait bien qu'elle lui serait utile et du coup, elle était également très jolie.

La serveuse sortie visiblement les deux hommes de leur pensées. Le Maquar vida son sac. La situation était effectivement désolante et les deux hommes ne pourraient s'aventurer plus loin à eux seul. Pourtant, le barde avait un bon présentiment, il en fit d'ailleurs par à son compagnon gaiement.

- Allons mon ami, cette halte est une place forte ou passe les groupes voyageant vers le Sud. Nous trouverons sans doute des âmes avec le gout d'aventure! La situation est préoccupante et notre but est noble au fond, je te garanti que nous trouverons de l'aide d'ici demain soir.

Tout sourire, le barde commanda une bière.

- D'ici là, j'aimerais bien entendre ton histoire, si tu le veux bien sur. Ta contrée ne m'est pas familière du tout mais tes manières me laisse présumer qu'il s'agit là d'une région particulière.

Ce n'était pas un reproche même si on pouvait l'interpréter comme. Tout chez cet homme transpirait le calme et imposait le respect. C'était fascinant pour une personne comme Vieltal, chez qui le sang bouillait et les pensées s'entrechoquaient souvent. Pourtant, par sa seule prestance, Sahadeva calmait le barde.

Sahadeva fut quelque peu rasséréné par les paroles de son compagnon, même s'il continuait à douter qu'il soit si facile de trouver des aventuriers prêts à s'engager dans leur entreprise. Lorsque Vieltal lui demanda de parler de son pays, il fut pris d'un sentiment doux-amer de nostalgie. Sa patrie lui manquait et les paroles du barde le lui rappelaient mais il était également content de pouvoir évoquer le souvenir sa terre natale :

- Cela ne me dérange pas d'en parler, mon pays est méconnu dans cette partie du monde. Je suis originaire des environs de Chavyondat, la capitale de l'Estagund, située au bord de la Baie des rois.

Il crut bon de préciser :

- Cela se trouve à l'extrême sud-est de Faêrun, au-delà du Shaar. Notre pays est gouverné par un roi, un "rajah" comme on l'appelle dans notre langue. Contrairement à nos voisins du Durpar qui sont majoritairement commerçants, nous valorisons l'entraînement martial : les Maquars, dont je fais partie, sont formés dès l'enfance pour protéger le peuple et assurer la stabilité du royaume. Notre foi en l'Adama nous encourage cependant à ne pas infliger la mort, à moins que cela ne soit absolument nécessaire... Pour beaucoup, cela semble étrange que nous soyons un peuple qui valorise à la fois la pratique des armes tout en défendant de tuer mais telle est notre culture : préserver l'ordre autant que ce peut...

Sahadeva finit son discours en parlant brièvement de lui :

- Voilà quelques temps déjà que j'ai quitté mon pays, en refusant un mariage imposé par mon père qui aurait déshonoré ma famille et ma caste. Mais, ce faisant, j'ai désobéi à la volonté de mon père et à l'un des principes de l'Adama. Je ne pouvais rester en Estagund : quel qu'ait été mon choix, il était déshonorant... Je n'aurais pas survécu au regard désapprobateur des gens... J'ai donc choisi de mettre talents et mes idéaux au service d'autres peuples.

Cela faisait longtemps qu'il n'avait plus parlé aussi longtemps. Il se rendit compte que la pratique de sa langue maternelle lui manquait, une langue dans laquelle il ne pouvait s'exprimer, faute de locuteurs la maîtrisant...

Vieltal écoutait attentivement le récit. L'histoire du Maquar ne lui était pas toute étrangère. Lui même avait quitter son foyer pour des raisons de déshonneur. Pourtant, il aimait sa région natale et les valeurs qui s'y rattache. Cependant, comme Sahadeva, le désir de liberté l'obligea à quitter. Au final, les deux hommes étaient réunis sur la route, loin de leur racines. Triturant toujours du bout des doigts l'anneau de jade qu'on lui avait offert, le barde sourit à Sahadeva en poursuivant :

- Les règles et les idéaux qui nous sont imposés depuis l'enfance sont parfois des chaînes qui forgent notre caractère en un amalgame solide... et elles sont parfois liées à un boulet qu'on ne veut pas nécessairement trainer. Des hommes désireux de liberté mais couard prennent le boulet et le jette à la mer. La chaîne qui les relient à celui-ci les emporte et ils se noient. D'autres hommes ont le courage de couper la chaîne tout juste avant le boulet, quittant avec les mailles de la chaîne qui l'ont forgés sans le poids insupportable d'une règle dépassé.

Le barde se redressa sur sa chaise en s'étirant, les bras croisés au dessus de sa tête

- Comprend moi bien, je traîne aussi mes chaînes sans boulet, et je ne le regrette pas. On quitte comme des semeurs ; avec ce qu'il y a de bon de notre contrée en nous comme des germes, pour les semer et les faire fleurir ailleurs.

L'envolée poétique du jeune barde le fit sourire davantage. Il n'était pas encore un maitre en l'art mais il aimait jouer avec les mots et leur signification pour faire comprendre son point de vue. Il n'avait pas exercé son art depuis un moment et cela le démangeait. Les tavernes étaient bien souvent les endroits les plus propices à entendre ses chansons et sa musique, toutefois, les bonnes conversations agissaient souvent comme soupape et celle qu'il avait présentement avec son nouveau compagnon de route lui plaisait. Il aimait partagé sa vision des choses avec les autres.

Le Maquar écouta pensivement les propos de Vieltal. Une fois que celui-ci eut terminé, il crut bon d'ajouter :

- Je ne partage pas tout à fait ton point de vue : je pense que les traditions, si elles sont justes, permettent de maintenir l'ordre et préserver la société du chaos. Elles sont indispensables à mes yeux, du moins celles en vigueur en Estagund. Le problème survient lorsque des individus estiment ne plus devoir suivre ces traditions, ne plus avoir à assumer leurs obligations... que cela soit par ambition personnelle ou au contraire à cause de leur négligence, cela revient au même.

Sahadeva marqua une courte pause avant de poursuivre :

- A ma grande honte, c'est le cas de mon père qui a sombré dans la boisson et le jeu au lieu d'assumer ses devoirs de maquar. C'est lui encore qui a voulu m'obliger à contracter un mariage dont je ne voulais pas et qui aurait par dessus tout déshonoré encore un peu plus ma famille. Mais j'aurais peut-être dû honorer sa volonté, par piété filiale... Peut-être notre tradition d'obéissance aux volontés paternelles est-elle dépassée... Dans la majorité des cas, elle pose cependant peu problème...

Chassant ces souvenirs douloureux, le guerrier changea de sujet :

- Mais assez parlé de moi. D'où viens-tu, toi? A en juger par ton teint, probablement pas du sud... Serais-tu originaire du nord de notre continent? Et qu'est-ce qui t'a poussé vers la musique? Es-tu issu d'une famille de musiciens?