Chapitre II : La route vers le Fort, Chapitre II : La route vers le Fort

Les compagnons posaient des questions directes à l’homme-lézard. Celui-ci ne démontrait pourtant rien de menaçant. Malgré cela, Vieltal sentait ses alliés sur le qui-vive. Pour sa part, le barde n’éprouvait pas de crainte. Peut-être devrait-il se méfier plus? Et pourtant, l’impressionnante créature devrait agir très vite pour sortir un javelot de son carquois avant que ses ‘’invités’’ n’interviennent. Pour cette simple raison, le skald se sentait à l’aise. Il ne fallait pas juger les individus d’une race selon des dires, les bardes savaient mieux que quiconque qu’il était facile de propager de fausses rumeurs et d’exagérer des faits.

Évidemment, à la vue qu’un représentant de l’espèce, on peut comprendre pourquoi ils n’inspirent la bienveillance. Braz’ah As’Hyars s’était présenté et connaissait même déjà le nom de tous les membres, lesquels il avait pris soin de répéter en entrant dans l’abri, en s’exprimant de façon impeccable.
Malgré les questions pertinentes que posaient ses compères, le barde devait profiter de l’occasion pour se présenter lui aussi.

- Enchanté Braz’ah As’Hyars. Je suis Vieltal ‘Vuurdan. Pardonnez-nous notre méfiance, ce n’est pas tous les jours que nous croisons un représentant de votre race et nous sommes curieux d’entendre votre histoire.

Vieltal avait parlé humblement, pour détendre un peu l’atmosphère crée par les questions pressantes.

L’homme-lézard souffla entre ses dents, tête penchée en avant. Le feu lui rendait de seconde en seconde une vivacité d’esprit et de mouvement. Jouant de ses muscles, il se détendait, déliait ses articulations engourdies.

Braz’ah As’Hyars.

- Vous semblez bien connaître mon peuple. Braz’ah As’Hyars ne semblait ni surpris ni contrarié par les questions logiques sur sa présence si loin des marais dans lesquels ses semblables vivaient pour la plupart. - Nous vivons en tribus, c’est vrai, dans les eaux riches de nos marais. Mais les inondations ont détruit beaucoup de nos villages et achevé les malédictions qui nous ont frappé tour à tour. La folie de Shukak flotte encore au-dessus et en dessous de nos eaux. -------------------- Juste une ombre dans la nuit

Vieltal avait déjà entendu parler du célèbre Roi de la Tribu de l’Oeil Rouge, Shukak. Ce chef incontesté était parvenu à préserver son peuple et ses voisins humains au travers d’accords de respects des territoires des uns et des autres et d’échanges commerciaux … jusqu’à ce qu’il soit abattu par un groupe d’aventuriers et qu’il revienne sur le Marais en s’alliant à un dragon noir. La légende se mêlait ensuite avec celle de Kyuss et de ces immondes vers et mettait un terme définitif aux accords entre les humains du Fort-de-la-Dague ou d’ailleurs et leurs voisins hommes-lézards.

Braz’ah As’Hyars.

- Les hommes ont massacré les miens, par peur ou vengeance. Même les valeureux Plumes Bleues ont été décimés par les vôtres. Mais depuis, nous avons appris et nous sommes nombreux à surveiller la Route, prêts à accueillir ceux qui voudrait terminer leur travail. -------------------- Juste une ombre dans la nuit

La dernière phrase n’avait rien pour rassurer, ni par sa franchise, ni par le non-verbal qui accompagnait les mots de l’écailleux qui, cette fois, se contrôlait pour ne pas laisser s’exprimer sa colère. A défaut de connaitre l’histoire du peuple de Braz’ah As’Hyars, les aventuriers avaient pu, chacun de leurs côtés, voir les terribles dégâts que les inondations avaient causés tout du long de la Côte des Epées. Il était facile d’en déduire l’effet sur une région marécageuse. Même si l’eau s’était retirée depuis.

Braz’ah As’Hyars.

- Je guette donc. Et vous ? Que font donc une Elfe et trois Humains loin des convois marchands ? Les brigands sont plus nombreux que les « Monstres », comme vous nous appelez. Je serais curieux de vous entendre aussi Vieltal ‘Vuurdan. -------------------- Juste une ombre dans la nuit

L'elfe de lune fut la première à répondre. Elle ne put retenir ce que son cœur voulut exprimer. Oui, elle connaissait trop bien ce que l'homme lézard avait vécu avec l'oppression des humains. Non pas qu'elle, personnellement, avait souffert directement d'une quelconque maltraitance humaine, mais elle incarnait là maintenant toute la souffrance de son peuple qui avait dû se réfugier à l'Ile Verte, la fameuse et mystérieuse appelée Eternelle Rencontre. C'était ce qu'on appelle la Retraite des Elfes, qui venaient récemment de cesser avec l'attaque sanguinaire menée contre l'île.

- Ce n'est pas dans les forêts qu'on trouve les pires monstres mais dans les grandes villes...Tout comme vous, les miens ont peu confiance envers les poilus. Les humains ne respectent pas la terre qui les nourrit. Ils ont soif de pouvoir et de trésors matériels. Nous leur avons confié les secrets des arcanes pour qu'ils se défendent. Quelle erreur nous avions commise ! Ils n'y ont vu que puissance et pouvoir pour accomplir leur dessein personnel. Oui, je vous comprends trop bien. Il y a une forêt pas si lointaine d'ici où ceux de ma race ne laisseraient pas un de ces humains souiller le havre sylvestre dans lequel ils vivent, même si je n'approuve pas du tout cette stratégie car la violence n'engendre que de la violence.
Mais... il y a de belles exceptions et je pense que mes compagnons en font parties. J'ai vu des humains affronter des démons et des armées d'orques pour défendre la forêt et ses beautés. Ils ne sont pas tous à mettre dans le même lot. Enfin bref, je m'étale et dois vous ennuyer avec ce flot de paroles. Allons au vif de vos attentes et vous rassurer tout de suite sur nos intentions. Nous ne sommes pas là pour causer du tort à votre peuple. En tant que gardienne sylvestre, je ne le permettrai pas. Notre mission est de sauver des vies...

Elle pointa son regard sur Vietal, pour lui laisser prendre la suite. L'elfe n'avait plus envie de parler comme plongée dans une certaine mélancolie.

Le barde savait pertinemment que son peuple pouvait être faire preuve de violence inouïe avec leur semblable, alors qu’en était-il lorsqu’ils se frottaient aux différents peuples de Toril? La quête de pouvoir n’avait que d’égal la faible longévité des humains. Le skald se l’expliquait ainsi : les hommes ne jouissant pas de la longévité de biens des peuples, ils tentaient par-dessus tout de palier avec le pouvoir, immédiat ; peu importe ce que cela impliquait.

Vieltal dût se délier les boyaux en se raclant la gorge après les affirmations et de l’homme-lézard, et d’Azur’ael sur la nature des Humains. Après quoi il prit le relais, du mieux qu’il le pouvait.

- Effectivement, ils se propagent un mal bien curieux dans la cité d’Eauprofonde, poussant des vivants à se jeter à la mer et s’y noyer. Des pièces enchantées implanteraient ses idées dans la tête des gens et circulent très rapidement, propageant les suicides. Ces évènements surviennent après la disparation d’un navire au large du Marais. Nous croyons que ce n’est pas une coïncidence. Nous sommes donc à la recherche de ce navire et de sa cargaison, ainsi que des individus derrière cette disparation. Nous visons à stopper le marché de ces étranges pièces et d’éviter plus de morts inutile. Je crains que nous n’en sachions pas davantage. À moins que mes compagnons auraient des détails à ajouter.

Vieltal regarda le groupe, essayant de se remémorer des détails qu’il aurait oublié de mentionner. L’homme-lézard avait-il besoin de tout savoir? Le barde ne crut pas nécessaire de cacher quoi que ce soit à cet être. Azur’ael lui avait fait confiance pour raconter leur mission, et il avait fait de son mieux, toujours déstabilisé par les remarques des deux individus.

Sahadeva avait écouté avec tristesse les propos de l'homme-lézard et d'Azur'ael.

Ses maîtres lui avaient enseigné à manier les armes, à comprendre et à appliquer les principes de l'Adama mais ses connaissances en matière d'histoire de l'ouest de Féérune étaient très lacunaires : il constatait avec regret qu'ici aussi les guerres passées et présentes montaient les individus les uns contre les autres et semaient partout le chaos et la méfiance.

Tandis que Vieltal exposait le but de leur mission, le Maquar avait hoché la tête, marquant ainsi son assentiment vis-à-vis de ses propos : il ne faisait que relater sincèrement leur objectif et le Durpari ne voyait aucune raison de le cacher à leur interlocuteur. Quand le barde eut fini, Sahadeva voulut prendre la parole à son tour pour rassurer Braz’ah As’Hyars sur ses intentions :

- Tout comme mes compagnons, je ne vous veux aucun mal à vous ou à votre peuple. Je viens d'un pays lointain, à des centaines de journées de marche à l'est d'ici, un pays dont le nom ne vous dirait rien.

Nous y vénérons l'honneur, l'ordre et le respect des accords et des traditions tandis que nous abhorrons le chaos et les morts inutiles. Le fait de tuer un être vivant y est d'ailleurs considéré comme un péché extrêmement grave... Tel est l'idéal de mon peuple, même si là-bas comme partout, bien trop de gens enfreignent ces règles fondamentales. Tels sont aussi les idéaux que je m'efforce de servir jour après jour. Bien que je sois un guerrier, j'évite la violence et ne me sers de mes armes que lorsque c'est absolument nécessaire...

Le Maquar se tut et scruta la réaction de Braz’ah As’Hyars.

Célestia écouta attentivement aussi bien l'homme-lézard que ses compagnons. Les discours furent riches en enseignement sur les pensées et les actes de chacun.
La moniale constata que ces compagnons étaient plutôt francs et directs. C'était appréciable mais pouvait être problématique parfois, surtout face à des inconnus. Mais en entendant les paroles assez dures d'Azur'ael sur les humains elle ne put s'empêcher une réflexion personnelle qu'elle garda bien précieusement pour sa propre personne.

¤Donner du pouvoir aux humains sans donner les limites de ce pouvoir et ensuite critiquer l'utilisation qu'ils en font, je ne sais pas qui est le plus à blâmer dans cette histoire. Si en plus elle savait que sa magie ne sera plus la seule source de pouvoir elle va passer de la crainte à la panique complète. Il faudra que je fasse attention de ne pas trop exposer mes capacités en sa présence.¤

Elle attendit patiemment son tour avant de prendre la parole. Elle se méfiait tout de même encore de ce voyageur mais lui laissa le bénéfice du doute pour le moment.

-Je crois que tout a été dit, je n'ajouterai donc rien de plus si ce n'est que les généralités sur un peuple sont malheureuses et à proscrire. il n'y a que les actes d'une personne qui comptent et seulement ceux là. Voyez-vous je pense que je pourrais trouver beaucoup de témoignages racontant des atrocités commises par vos semblables. Quand la haine dicte les actes il n'en ressort jamais rien de bon, et souvent il ne reste que des morts à compter, les perdants en ayant plus que les vainqueurs si l'on peut parler de vaincus et de vainqueurs. Après tout, nous sommes toujours le monstre de quelqu'un d'autre.

Célestia avait parfaitement résumé la situation. Tout était dit. Avec franchise, chacun dans l’abri avait partagé son état d’esprit et la raison de sa présence.
Le Maquar ne put rien percevoir de plus dans le visage reptilien dont les écailles reflétaient les lueurs rouges du feu lui donnant un air inquiétant, accentuant ses traits durs.

Un homme-lézard guettait le premier aventurier qui pourrait risquer s’aventurer dans leur marais et quatre d’entre eux se présentaient d’eux-mêmes, détaillant leur mission expliquant qu’ils s’y rendraient effectivement. Les dieux auraient pu parier sur un affrontement, mais il n’en fut rien, chacun des partis préférant une approche diplomatique guidée par la crainte de la puissance de l’autre ou par conviction profonde.

Rassuré ou juste riche des informations qu’il espérait obtenir, l’Homme-Lézard leur annonça qu’il les laisserait dès que la pluie serait calmée. Il n’avait pas l’intention de les suivre, certainement pas par la route sur laquelle il serait considérée comme un monstre à abattre pour toutes les caravanes qu’ils croiseraient, et ne resterait pas à leur côté non plus pour les guider par un autre chemin qui aurait été bien plus long –et considérablement plus dangereux. Il n’en était simplement pas question. Braz’ah As’Hyars était un guetteur, il tiendrait son rôle.

C’était d’autant plus dommage que les aventuriers venaient d’apprendre que les anciens accords qui auraient facilité leur traversée du dédale n’existaient plus et qu’ils auraient beaucoup moins facile que ce qu’ils auraient pu espérer de trouver un guide dans la cité.

Il faisait nuit, froid, terriblement humide, de cette humidité qui s’infiltre partout et grignote les os de ses dents minuscules. Au vacarme de la pluie torrentielle, succéda le calme relatif de la vie nocturne. Une chouette ululait, contrariée d’être mouillée et d’en subir le surpoids qui la freinerait dans sa chasse. Hasard ou clin d’œil d’une nature joueuse, Azur’ael, de sa vue d’Elfe, vit un lièvre traverser la prairie herbeuse.

La première journée de marche était terminée, quatre de plus les attendait avant de rejoindre leur première étape et de s’engager dans le marais.

Le feu, pour peu qu’il soit correctement maitrisé, tiendrait quelques temps encore, peut-être à une poignée d’heures avant le lever du jour, il restait juste à organiser leur nuit dans cet inconfort tout relatif.

La bleuté ne savait pas sur quel pied danser avec leur rencontre et le départ de l'homme lézard. Certes il n'y avait pas eu d'affrontement, mais peut être que ce n'était que partie remise. Ce guetteur avait pu récolter des tas d'informations sur eux, alors qu'en ferait-il ? L'avait -elle réellement rassuré sur leurs intentions ? Adviendra ce qu'il adviendra, finit elle par concéder.

En plus, il leur apportait une mauvaise nouvelle en leur annonçant que l'accord de non agression entre les hommes lézards et les humains ne tenait plus. Il serait encore plus difficile de trouver un guide qui ne craint pas de les accompagner.

Il devenait évident que pour cette nuit il devait montrer la plus grande prudence. Forte de son expérience avec ses aventures en Haute Forêt, elle imposa une règle indiscutable qu'elle leur annonça.

- Pour cette nuit, les gardes se feront par binôme. Nous devons nous montrer d'une extrême prudence et veiller à ce que le feu ne s'éteigne pas. Nous repartirons dès l'aube. Je prendrais le deuxième tour de garde avec Sahadeva. Ma vision elfique sera plus performante que la votre en pleine nuit. Si vous avez un doute sur une alerte ou le moindre danger, n'hésitez à me sortir de ma rêverie ou de réveiller les dormeurs. Que le doux sourire de la dame des Songes vous illumine sur le chemin du repos.

Après avoir écouté les idées ou remarques de chacun, l'elfe de lune s'assit en tailleur, comme un moine rentrerait en méditation. En tant qu'elfe, elle ne dormait pas mais elle rêvait. Pour y parvenir le plus rapidement possible, elle chercha un souvenir positif qui apaiserait son esprit : c'est ainsi qu'elle entendit la musique de son barde sauvageon, les rires cristallins des enfants de Thuldae, les cris musicaux des oiseaux...

Le temps des paroles était terminé pour le moment, allait venir le temps de se côtoyer pendant un temps limiter. L'idée de binôme pour dormir était satisfaisante pour la moniale aussi se décida-t-elle de proposer sa candidature.

-J'approuve pleinement. Je serai plus que ravie de prendre un tour de garde comme il se doit. Quiconque souhaite le faire avec moi est le bienvenu. Je suivrai Azurael dans l'ordre de passage.

Elle n'en dit pas plus et alla se préparer à dormir et à manger un morceau avant, attendant tout de même de savoir qui allait rester veiller avec elle . Elle était même prête à le faire avec le dernier arrivé si celui-ci se proposait. Après tout annoncer et mettre en pratique ses paroles ne pouvait pas être dissociés dans l'esprit de Célestia. L'inconnu, qui ne l'était plus vraiment, devait être surveiller certes, mais aussi devait pouvoir faire ses preuves. Célestia n'accordait pas facilement sa confiance, mais il en allait de même avec sa méfiance. Cependant, que l'on ait gagné l'un ou l'autre de sa part impliquait beaucoup de choses. Bénéfiques pour le premier, et problématiques dans le second cas. Et quand le premier était perdu au profit du second, il était extrêmement difficile de revenir à l'était précédent. D'ailleurs jusqu'à présent, la moniale n'avait jamais pardonné à des fautifs sauf dans un seul cas. Une voleuse qui avait eu son âge juvénile pour elle dans la balance. Cette personne n'aurait plus jamais l'occasion de se racheter cependant à l'avenir, le souvenir d'avoir vu sa mort devant elle, ne la hantait plus mais rappelait ô combien à Célestia qu'une vie sans erreur pouvait être difficile mais fortement souhaitable.

Sahadeva ne pouvait qu'approuver les propositions de ses deux comparses : veiller à deux était plus prudent et permettrait de détecter plus aisément tout intrus qui s'approcherait de leur campement de fortune. Qui plus est, cela signifierait que deux d'entre eux seraient prêts à riposter en cas d'attaque, tandis que les autres s'éveilleraient. Toutes ces précautions lui semblaient judicieuses dans un environnement aussi peu sûr que celui-là. Le Maquar marqua donc son assentiment :

- Je vous rejoints tout à fait. Je prendrai donc le second tour de garde, la nuit noire ne m'effraie pas.

Ce disant, le guerrier prépara tant bien que mal sa couche : il s'installa sous un pan du toit pour être protégé des intempéries et à proximité d'un mur afin d'être partiellement protégé en cas d'attaque. Il n'était pas juste à côté du feu mais, même s'il avait froid, il préférait ne pas être trop visible en cas d'attaque.

Une fois sa paillasse et sa couverture installés, il ôta sa cotte de maille et son caque. Le Maquar était tellement habitué à les porter qu'il se sentit anormalement léger : il aurait peut-être été plus prudent de les porter durant la nuit mais il savait mieux que quiconque à quel point il était difficile de dormir en armure et quelque chose lui disait qu'il aurait besoin de toutes ses forces le lendemain. Aussi, choisit-il de laisser sa cotte de maille sur le côté tandis qu'il dormirait : il ne la revêtirait que lors de son tour de garde. Il déposa ensuite ses armes à côté de lui, à portée de main.

- Passez une bonne nuit. ajouta-t-il avant de se coucher.