Le Temps des Moissons, Aanehiel et Gaënor

euf cents pièces d'or... Voilà qui semblait intéressant à la jeune demi-elfe. Le seul fait que son compagnon ait obtenu gain de cause la mettait en joie. Elle se sentait légère, libre et en oublia même l'oppression qu'exerçait sur elle la petitesse de l'échoppe.
Enjointe à se diriger vers la porte, elle n'en profita pas moins pour examiner quelques colliers et bracelets : Si elle voulait, elle pouvait les avoir ! Gaënor était ravie.

- Ne trouves-tu pas, adressa-t-elle à son compagnon, alors qu'elle marchait presque à reculons vers la porte, que cette ville n'est pas aussi repoussante que nous l'avons tout d'abord pensé ?

Il se trouvait qu'à aucun moment Aanehiel n'avait émis le moindre avis négatif quant à la cité mais il était tellement plus préférable pour son égo de ne pas avouer ses torts, ou du moins de les noyer dans la masse...

- La roue tourne et la fortune nous sourit ! Que faisons-nous à présent ? Ah... J'ai tant envie de découvrir ce que la ville recèle d'animation !

Ce disant, Gaënor avait atteint et franchi le seuil de la boutique et attendait son compagnon, tout sourire, confiante dans le fait qu'il ne lui refuserait pas une soirée de détente.

Lymstie commençait à s'énerver. Sa recherche d'ingrédients n'était vraiment pas des plus fructueuse, ce qui n'allait pas tarder à la mettre hors d'elle. Et le froid et la fatigue qu'elle éprouvait n'arrangeaient en rien les choses. Les seuls ingrédients qui auraient pu lui servir ne l'intéressait pas, tout simplement car elle n'en manquait pas.

Elle regardait les boutiques, sans grand espoir, en évitant les commerçants qui devaient avoir hâte de rentrer chez eux pour ne plus avoir à supporter le froid présent. Par contre, certains commerçants étaient toujours sur place et ils le faisaient comprendre en hurlant pour vendre leur marchandise, ce qui donnait envie à la jeune femme de les assommer tous un par un, pour qu'ils aient enfin l'amabilité de se taire.
Voyant que sa recherche était plus qu'inutile dans cette ville, elle se mit à regarder les enseignes des boutiques et à essayer de trouver à quel métier elles correspondaient. Ce qui l'amena à remarquer que les boutiques vendant des produits pour les guerriers étaient beaucoup trop nombreuses à son goût, surtout comparé au nombre de boutique de magie, nul pour le moment. Elle se réjouissait en silence que le demi-orque qui l'accompagnait ne pouvait pas acheter grand chose avec l'argent qu'il possédait.

Elle continua un certain temps son petit jeu, tout en pensant que plus elle avançait, plus ses enseignes ressemblaient à de l'art abstrait, ce qu'elle attribua à la fatigue et le froid qui l'envahissaient toujours autant. Elle finit par tomber avec une enseigne de ce qu'elle pensait être une auberge. Ce qui la surprit, c'est qu'elle avait raison, l'auberge de Malshym que leur avait indiqué Octis, et dont elle se souvenu en lisant le nom.

Elle n'eut pas le temps de se réjouir car Grunsk lui adressa la parole. Et quand il le faisait, c'était rarement pour annoncer une nouvelle joyeuse. Ce ne fut pas l'exception qui confirme la règle, car il disait qu'il voulait vite filait d'ici. Lymstie était d'accord avec lui, mais elle n'eut pas le temps de lui dire, et Grunsk de finir sa phrase car quelqu'un les bouscula.
Elle eut un mal fou à ne pas lancer une série d'insultes et à ne pas se jeter sur le gros lourdaud qui avait osé la bousculer alors qu'elle était de très mauvaise humeur...
Elle s'apprêta à répondre à Grunsk et à ignorer l'autre imbécile mais le demi-orque n'avait visiblement pas l'intention de se laisser marcher sur les pieds ce qui est compréhensible pour quelqu'un de sa race. Il se posa devant l'homme en croisant les bras, l'air imposant.
Elle se planta à côté de son compagnon, en regardant l'individu avec un air mauvais. Après tout, se défouler sur lui ne lui ferait pas de mal.

Aanehiel ne s'attarda pas à recompter l'argent après l'avoir récupéré. D'abord parce que recompter autant d'argent ne rimerait à rien. Ensuite parce qu'il avait observé le gardien pendant tout le temps où il avait sorti les lingots et pesé les pièces. Et enfin, parce que recompter une telle somme d'argent devant une boutique d'orfèvrerie dans une telle ville relevait de la bêtise pure et simple. Autant directement inviter les voleurs avec des pancartes, ils y gagneraient du temps et lui aussi. Il remit donc la somme dans son sac avant même de sortir et ne garda qu'une petite partie dans sa bourse. Aussi ne fit-il pas attendre sa compagne à l'extérieur mais la rejoignit-il vite.

- Ma foi, je dois dire que, comme à ton habitude, tu as tout à fait raison. Elle est plus agréable au second coup d'oeil qu'au premier, dit Aanehiel.

Il se garda toutefois bien d'ajouter que si le premier coup d'oeil n'avait pas été à l'avantage de la cité c'était peut-être parce qu'eux-mêmes étaient fatigués, sales et ne savaient pas comment ils allaient s'en sortir. Cette ouverture des possibilités qu'offrait l'argent venait avec, bonus agréable, une tranquillité d'esprit qui permettait de mieux apprécier les attraits de la ville. Quant à ses animations, comme le disait Gaenor, il fallait encore les découvrir.

- Et bien, on n'a de toute façon pas de contraintes. Donc on est libres de faire ce qui te fait plaisir. Va donc, je te suis, ajouta Aanehiel en faisant un large signe de la main désignant la rue.

Nul doute qu'elle voulait se détendre un peu, et après tout pourquoi pas ? Ils avaient de l'or, ils avaient du temps... Ce serait une trop belle occasion à rater. D'autant qu'elle semblait de bonne humeur et qu'il voulait tout faire pour préserver cet état de fait.

21ème jour d'Eleinte, 1372 CV


Grunsk et Lymstie
Lieu : Sundabar, Avenue de Tournepierre, devant l'auberge de Malshym
Moment : Début de Soirée
Temps : Froid et Sec (13°C)


Narration

n entendant le demi-orque s'adresser à lui, le gros homme s'immobilisa, serrant dans chaque main un pan de son manteau contre son poitrail fièrement gonflé. Cette posture était assez étrange, voire un peu ridicule. Il ouvrit soudainement la bouche pour rétorquer d'une voix ferme, malgré l'alcool :

- En effet, c'est bien la première fois que je rencontre un orque qui parle, et qui demande pardon par dessus le marché ! Ce simple fait semblait étonner le bonhomme. « C'est plutôt toi qui devrait demander pardon pour t'être mis sur mon chemin ! Partons d'ici Aldon, Malshym n'a décidément plus la même clientèle qu'autrefois...

Sur ces mots, il tourna les talons et prit la direction du Cercle. Soudain, cinq gardes en patrouille arrivèrent de la petite rue dont l'auberge faisait le coin, et prirent eux aussi la direction de la place centrale. L'un deux, un grand et jeune homme au faciès de brute, jeta un regard suspicieux au demi-orque. Les gardes étaient arrivés si brusquement qu'on aurait pu croire qu'ils avaient surveillaient les deux aventuriers, et avaient choisi ce moment précis pour débarquer.

’enthousiasme d’Aanehiel renforça la bonne humeur de la demi-elfe. Les heures d’angoisse passées dans l’obscurité, l’atmosphère viciée de la caverne dans laquelle ils avaient été retenus prisonniers et –aussi pénible que soit ce souvenir – avaient manqué de peu d’être dévorés, faillirent avoir raison de sa résolution de partir à la découverte du monde. La roue avait tourné, ils étaient saufs, ils avaient de l’argent. Ce soir-là, le monde semblait lui appartenir. Et avec lui, la ville et ses promesses de distraction !

- Par ici !, lança-t-elle à Aanehiel avant de se raviser et de l’entraîner vers l’autre extrémité de la rue.

Ils marchèrent près de 20 minutes, commentant la démarche d’un passant, se moquant de la tenue d’une autre, admirant une maison qui présentait tous les aspects extérieurs de l’opulence… Et enfin, alors qu’ils arpentaient la plus animée des rues qu’ils avaient traversées, ils perçurent des chants et des rires, venant d’une petite maison basse aux fenêtres éclairées : La joyeuse guiterne, dont l’enseigne de bois haute en couleurs illustrait un voyageur attablé.

La jeune demi-elfe se planta devant le seuil de la taverne :
- Oui ?! Oh, dis oui, j’ai envie de vin, j’ai envie de musique, j’ai envie de danser !

u sais que je ne peux rien te refuser. Viens !

Aanehiel entra sans plus tarder dans la taverne. Ce fut à son tour d'entraîner Gaenor, à une table dans un premier temps. Répondant au désir de son aimée, il commanda une cruche de vin à une serveuse et porta un toast à leur réussite financière et à leurs explorations du monde à venir. Qu'elles soient moins mouvementées et plus riches en pièces d'or ! Mais intéressantes néanmoins...

Après quoi il pris sa main et l'emmena sur la piste de danse. Là, des couples tournoyaient au rythme d'un barde, équipé d'une guiterne bien sûr. Aanehiel se laissa porter par la musique, profitant de ces instants d'insouciance tant qu'ils duraient. Étonnamment, se fit-il la réflexion, il ne savait pas plus que ce matin où ils dormiraient ce soir. Mais avec l'argent venait l'assurance que ce serait dans l'établissement de leur choix. L'argent amène la liberté. Voilà une leçon importante et à retenir. L'argent amène la liberté. Qui veut beaucoup de liberté doit donc avoir beaucoup d'argent. Cela explique au moins pourquoi tant de gens en cherche si avidement.

Retournant à l'instant présent, Aanehiel se surprit lui-même en notant qu'il avait mieux dansé tant qu'il se concentrait sur autre chose. Voilà qui était bien embêtant... Peut-être, espéra-t-il, n'a-t-elle rien remarqué. Mieux vaut ne pas lui en laisser le temps.

Tout en dansant, il se pencha vers son oreille et murmura :
- Tes premiers voeux sont réalisés ma douce. A présent, que veux-tu faire de notre nouvelle liberté ?

21ème jour d'Eleinte, 1372 CV


Gaenor et Aanehiel
Lieu : Sundabar, à la Joyeuse Guiterne
Moment : Début de Soirée
Temps : Froid et Sec (13°C)


Narration

a Joyeuse Guiterne était une bonne trouvaille. C'était une taverne très exigüe, et l'agencement n'était pas des plus évidents, mais l'ambiance déchainée qui y régnait avait de quoi faire pâlir les propriétaires des lieux les plus branchés d'Eauprofonde ou de Lunargent. Un de ces troquets modestes et sans renom où l'on s'amusait pourtant bien plus que dans les salles de bals huppées.

La salle en elle même n'avait rien de remarquable, n'étaient-ce sa conception maladroite et tordue et la présence, au dessus de la porte d'entrée, d'une sculpture en bois peint représentant un homme jouant de la guiterne dans une position extravagante, comme s'il dansait en même temps qu'il jouait. Le réalisme du visage était saisissant, et contrastait avec le corps qui apparaissait comme déformé, ou trop fin, mal équilibré. Cette œuvre étrange n'avait rien à voir avec le style classique, droit et carré, typique de Sundabar.

Le barde termina sa chanson drôle et enjouée, pour en entamer une autre plus effrénée encore. Un des couples, fatigué mais pas vaincu pour autant, quitta la piste pour s'installer à leur table, un peu plus haut. Car, chose curieuse, l'endroit où les gens dansaient se situait deux pieds en contrebas du reste de la pièce, ce qui évoquait un peu une fosse, mais avait l'avantage de garder les danseurs en dessous de l'écran de fumée opaque qui s'accumulait sous le plafond.

Deux serveuses slalomaient entre les tables, s'échinant à satisfaire la trentaine de clients assoiffés. L'une était une femme rousse et assez potelée qui discutait et riait sans cesse avec les gens, et l'autre une adolescente brune qui se préoccupait surtout d'éviter les mains trop baladeuses.

Deux autres couples dansaient sur la piste, ainsi que quelques jeunes hommes seuls, et surtout trois bons copains qui braillaient, bras-dessus bras-dessous, et se balançaient de droit à gauche et d'avant en arrière avec pour effet notoire de bousculer tout le monde. Tant et si bien que les deux-demi elfes, déséquilibrés par un brusque coup de dos du plus grand d'entre eux, se retrouvèrent séparés un instant. Un jeune homme hardi en profita pour se glisser au devant de la demoiselle, et saisit gaillardement ses mains et sa taille pour l'entrainer dans une petit danse.

tourdie par le vin et le bruit, et surprise par l'irruption de l'inconnu, Gaënor promenait un regard quelque peu hagard autour d'elle lorsqu'on l'entraîna dans une nouvelle danse. On avait profité de sa séparation d'avec Aanehiel et c'est précisément lui qu'elle cherchait en vain autour d'elle.

Retrouvant ses capacités, elle s'adressa au jeune homme qui la (re)tenait dans ses bras :
- En voilà, de vilaines façons ! Ne vous a-t-on pas enseigné à inviter une dame à danser et qu'il était grossier de l'entraîner de la sorte ?!

Son ton était sec, son expression peu engageante, et pourtant la jeune demi-elfe condamnait bien moins qu'elle ne voulait le laisser penser cette attitude impertinente... pourvu que le monsieur se révèle à la hauteur de sa désinvolture et agréable cavalier, cela allait sans dire...

Gaënor cessa de virevolter et se planta devant le jeune homme. Elle s'évertuait à distinguer ses traits et s'en donna le temps en ajoutant :
- Que répondez-vous ?

out aussi surpris que sa compagne, Aanehiel mit un instant de plus à se ressaisir et ne parvint pas à placer un mot avant Gaenor. Ce qui ne l'empêcha pas de se relever doucement, posément et de venir se placer de manière tout à fait placide à côté de sa compagne.
S'il avait été plus imposant, Aanehiel aurait sûrement bien mieux réussi cette approche d'intimidation. Tel qu'il était là, ce n'était qu'un demi-elfe qui se rapprochait doucement en fixant méchamment celui qui l'avait bousculé. Rien de bien impressionnant.
Aussi lorsqu'il se plaça juste à côté de Gaenor et qu'il ajouta :
- Répondez, messire. Ne la faites pas attendre en plus, son ton glacial surprit par sa gravité. Nul doute qu'il donna à réfléchir au malpoli.

21ème jour d'Eleinte, 1372 CV


Gaenor et Aanehiel
Lieu : Sundabar, à la Joyeuse Guiterne
Moment : Début de Soirée
Temps : Froid et Sec (13°C)


Narration

urpris, le jeune homme écarquilla les yeux un instant, dévisageant sa nouvelle cavalière quelque peu résistante. C'était un jeune homme plaisant à regarder, qui s'était habillé léger et élégamment pour l'occasion. Il se reprit et adressa un sourire à Gaënor, et répondit à son compagnon par un regard compréhensif, sans agressivité.

- Je vous présente mes excuses, c'est que ici, on change souvent de cavalière lors d'une danse, sans prévenir... Je n'essayais nullement de vous emporter contre votre gré, ma demoiselle, ni de vous dérober votre charmante cavalière, monsieur.

Pendant ce temps, tout le monde dansait allègrement, et tournoyait joyeusement autour d'eux.

- A présent, m'accorderez-vous cette danse, mademoiselle ? lui demanda t-il en lui présentant sa main ouverte.