Chapitre 1 : L'astre Pourpre

Reïlo Blanche Flamme, Serana & Mirtzar Boucledacier

Serana & Mirtzar
Le prêtre sans paroisse écarquilla légèrement les yeux après l’intervention de Serana. Il changea immédiatement de visage et la fixa brièvement d’un air circonspect, visiblement surpris mais à peine gêné. Il n’ajouta rien sur le moment, échangea un rapide regard vers Mirtzar puis poursuivit le laçage de son clibanion au niveau de la hanche tout en écoutant attentivement toutes les remarques de la demi-dragonne. A la suite de quoi, il répondit :

- La politique ? Je n’ai pas eu l’occasion de me mêler aux intrigues de cours, à peine à l’administration locale, mais j’ai pu me renseigner. Le Duc d’Arcata est surnommé le lâche après avoir mené un assaut contre Gareth Tueur-de-Dragon avant son couronnement. D’après ce que j’ai ouïe dire, ce sont les officiers de la patrouille Ducale qui tiennent la sécurité de cette province. Mais comme je le disais, je n’étais que de passage. Mes objectifs m’emmènent encore plus loin, au Nord.

Il leva les yeux, le temps d’une courte réflexion. L’air de se remémorer la véritable raison de sa présence dans cette contrée isolée.

- La plupart des objets que j’ai eus entre les mains étaient anodins, torches éternelles, parchemins, potions, … Quelques armes enchantées. Mais rien de transcendant. J’imagine qu’ils ont été répartis entre mes ravisseurs ou revendus. La plupart des ouvrages ne possédaient aucun intérêt, outre le fait de me distraire. Manuel, brochures, cartes, romans,… La plupart de ces bandits ne savent pas lire et n’ont aucun attrait pour l’art.

Avec un soupçon de mépris dans la voix, il s’arrêta net et ponctua sa réflexion d’un lourd soupir.

- Je ne pouvais poser trop de questions, sans risquer de me faire molester, mais je soupçonne que ces objets aient été le fruit de rapines dans les villages environnants.

Avec un haussement d’épaule, il se mit à réunir son matériel dans son sac, visiblement satisfait de l’inventaire et poursuivit ses explications sur le même ton.

- Le seul ouvrage que je n’ai pas pu étudier était celui exposée dans la pièce à côté. Une sorte de grimoire. L’un de leur chef surnommé le Cornu était le seul à pouvoir y accéder. Il a souvent suggéré de me sacrifier. Je ne dois la vie qu’à Viny, le plus civilisé du groupe. Un grand hirsute avec trois yeux.

Le prêtre au teint mat se figea un instant. Son profil illuminé par une lanterne devant lui et son visage marqué par des semaines de privations n’exprimait rien. Les yeux dans le vide. On entendit une lente déglutition et ses sourcils se froncèrent. Il garda le silence quelques secondes, cherchant visiblement ses mots, puis il en vint à reprendre son récit :

- Il règne dans les terres gelées de Damara, des rites ancestraux sans doute hérités de l’ancien empire Nar. Ces coutumes ont-ils encore une raison d’être pour les jeunes royaumes ? Peut-on s’y dérober sans courir à la ruine ? Certains de ces mutants ont fait référence à leurs géniteurs, leur haine des villes et de la société en général. Ce sont des êtres rejetés, victimes d’un maléfice. De ce que j’ai pu comprendre, à force d’écoute et de questions sans réponses. C’est que certain autochtone suivent toujours ces rites et que ceux ont échappés aux coutumes ont été victimes de ces terribles mutations. Voués à vivre en marge du royaume, accablés de tourments...

***

Reïlo Blanche-Flamme
Le jeune prêtre d’Oghma poursuivit son inspection méticuleuse avec une pointe d’appréhension, écoutant d’une oreille les faibles éclats de voix qui résonnaient dans la pièce à côté. Sa magie épuisée, il ne lui restait que ces neurones pour élucider les mystères rencontrés. Devait-il s’encombrer de cet épais livre, prendre le temps de l’étudier sur place au risque de se voir envouté d’un terrible maléfice protecteur ou bien ne prendre aucun risque et détruire cet hypothétique objet de corruption ? Perdu dans ses pensées, il était plongé dans le silence. Une discrète vibration le rappela soudain à la réalité. Des vibrations presque imperceptibles, semblables à des battements de cœur. Reïlo plongea instinctivement la main dans ses affaires, ses doigts se refermèrent sur l’artefact jadéite de Nërissa et un élan de joie le transperça.

« Le temps presse » semblait-elle dire. Le jeune métisse retira sa main du sac et caressa la pierre précieuse. Elle brillait infiniment plus qu’avant et dans la pièce, une nouvelle lumière verdâtre, plus puissante encore que celles des lanternes environnantes. L’énergie de cette pierre palpitait et se réchauffait à son contact. La lumière s’intensifia plus encore, un voile indicible l’enveloppa et un agréable frissonnement lui parcouru l’échine. La voix sibylline de la Grande Inspiratrice Nërissa se mit à résonner en son esprit :

Artefact Jadéite de Nërissa

« Mon échevin, est-ce toi ? Où as-tu mis les pieds ?... Cet endroit… Soif de sang et acier volé, cet endroit était pourtant autrefois un lieu d’entraide. Autrefois une alliance existait entre le peuple des Humains et celui des Nains. Mais cet endroit a été témoin de nombreux maléfices…. Froid sont les mains, les os et les cœurs. Froid sont les visiteurs loin de leurs demeures. Cet objet… Est le témoignage d’horreurs indicibles et la source de sombres manigances. Je dois… Je vais… » -------------------- Petite pierre qui scintille d’une étrange lueur verdâtre. Elle se met parfois à vibrer légèrement et une voix familière se met alors à résonner dans l’esprit de son possesseur.

Soudain, la magie autour de la pierre se matérialisa en écume verte qui s’agglutina pour former une silhouette. Une émanation fantomatique qui se forma devant ses yeux ébahis. L’ectoplasme de jade se cristallisa, l’esprit de Nërissa sembla s’accrocher à la conscience tandis que sa volonté reconstituait son corps. Un spectre fascinant de vie.

- Sur ce Plan, l’utilisation de la magie peut engendrer de féroces représailles. Le temps m’est compté mais je ne supporterais pas de voir un drame te briser avant que je n’aie eu le temps d’accomplir mon devoir. Cette expédition ne réussira que si nous réussissons tous. La silhouette fantomatique se mit alors à gesticuler gracieusement. La Grande Inspiratrice se mit à incanter un sortilège. Une sphère plane et lisse se forma autour du grand livre puis se mit à pivoter lentement avant de se briser en un millier d’éclats, sans un bruit. - La malédiction est brisée. Cet ouvrage pourrait aider à affronter la tempête à venir. Chaque page empruntée deviendra un secret dont ils ne pourront pas se souvenir. Le corps spectral se tourna vers Reïlo. Celui-ci cru déceler un rictus satisfait sur le visage de l’Elfe. - J’ai eu raison de te faire confiance jusqu’ici. Ne désespère pas. Lorsque le ciel hurlera et que le sol grondera, tu devras te tenir prêt. -------------------- étrange apparition fantomatique de Nërissa.

L’essence magique commença à se dissiper lentement comme une pluie de pétale d’un vert brillant. La substance magique se répandit lentement dans la pièce comme le début d'une chute de neige scintillante. Désormais, il n’y avait que la voix de la Grande Inspiratrice :

- Mon temps est écoulé, jeune échevin… A présent, va, et trouve un endroit où te reposer. Le potentiel d’un grand pouvoir attend d’être réveillé. Et n’oublies pas la lune de sang…

Les derniers mots furent un murmure qui résonna dans la petite salle. Laissant le jeune prêtre seul et hagard. Etait-ce un rêve ? Une illusion ? Cela n’avait semblé durer qu’un court instant. Tout au plus, quelques battements de cœur. Il se retourna pour voir si d’autres témoins avaient assistés à la scène, mais il était seul et sans doute légèrement désorienté. Les voix de ses camarades continuaient à résonner dans la salle à côté, comme si de rien n’était.

Reïlo resta un moment tétanisé par l'événement incroyable qui s'était produit devant lui : Nërissa lui était apparue, sous une forme bien étrange, depuis un autre plan. Il aurait eu mille, dix mille, un million de questions à lui poser sur la Damarie, sur ces créatures difformes qu'ils avaient croisées, sur cette arme si étrange qu'ils avaient découverte, sur ce lieu où une amitié entre races différentes s'était manifestée jadis… sans même parler de leur mission, de l'endroit où son mentor se trouvait actuellement ou encore sur la méthode qu'elle avait employée pour le contacter.

Le métis ne pouvait comprendre, tout cela était trop complexe pour son esprit et il ne pouvait que constater ses limites et son inexpérience. Malgré ce constat, l'apparition de Nërissa lui avait apporté un grand réconfort.

¤ Elle est toujours en vie ! Et elle ne nous a pas oubliés, nous et la mission que nous poursuivons… Elle peut même intervenir, ne fut-ce que brièvement… ¤

Malgré la situation périlleuse dans laquelle ils se trouvaient toujours, le jeune prêtre d'Oghma se sentait plus fort et plus confiant que quelques instants auparavant. Il caressa la pierre, puis Flammèche.

Nërissa l'avait bien aidé sur un point : la destinée du livre mystérieux face auquel il se trouvait. Il brûlait jusqu'alors d'envie de l'emporter avec lui pour l'étudier à l'aide de quelqu'un maîtrisant l'écriture et la langue qui ornaient ses pages. Mais quelque chose en lui lui conseillait plutôt de le détruire pour qu'il ne puisse plus jamais servir les desseins des êtres difformes et cruels qu'ils avaient affrontés.

Nërissa avait brisé les enchantements maléfiques liés à l'ouvrage et l'avait incité à l'emporter. Il avait confiance en ses capacités et ses pouvoirs. Dans un murmure, il déclara :

- Je ne faillirai pas ! Merci d'être intervenue !

Il caressa une dernière fois la pierre, avant de la ranger, puis s'empara du livre qu'il souleva. Le volume était lourd et encombrant.

Le demi-drow s'en alla rejoindre le reste du groupe et déclara calmement :

- Je pense que nous devrions tenter de sortir d'ici au plus vite. Nous avons ce que nous étions venus chercher et nous ne sommes plus en état de résister. Il faut nous enfuir et trouver un endroit où nous reposer en sécurité.

Il se tourna vers Maâkhérou :

- Nous sommes venus par les grottes, de ce côté là dit-il en expliquant sommairement le chemin à son interlocuteur. Connais-tu une autre voie ou as-tu emprunté la même que nous ?

Blanche Flamme s'adressa ensuite à Serana et Mirtzar :

- J'aurais besoin que l'un d'entre vous emporte ceci, s'il vous plaît. Il s'est passé quelque chose de très intéressant lorsque j'ai étudié ce volume, mais j'aurai l'occasion de vous en parler plus tard. Pour l'heure, partons…