Un nouveau départ..., La route se poursuit sans fin - Ian

Eté 1372
Contrées du Mitan Occidental

Cela faisait déjà presque une chevauchée que Ian Tomjan avait quitté le confort et la routine du monastère qui l'avait vu grandir.
Après être resté pendant un temps sur les flancs des Pics Brumeux, frontière naturelle entre l'Amn et les Contrées du Mitan Occidental, le moine avait décidé de laisser derrière lui ces imposantes montagnes et s'était laissé guider vers le Nord.

Le jeune homme ne s'était pas donné de but particulier, mais ne se lassait pas des merveilles qu'il découvrait dans son errance.
Il n'avait guère croisé d'âme pendant ces quelques jours en dehors d'un ou deux voyageurs et d'un groupe de chevaliers qui ne s'étaient nullement soucié de lui.

Brûlant de découvrir le "monde-du-dehors" et ses dangers, Ian avait continué son vagabondage jusqu'à ce que ses pas le mènent à une route assez large, première preuve de la présence d'une société relativement proche.
Un panneau lui apprit qu'il se dirigeait vers Bérégost. S'agissait-il du nom d'une ville, d'un hameau ou d'une quelconque forteresse, le moine n'aurait su le dire. Toujours était-il qu'il s'était mis à suivre cette route avec d'autant plus d'ardeur.


Journée du 4 Eleasis 1372
Contrées du Mitan Occidental
Sur la route reliant Nashkell à Bérégost

Alors que le haut soleil d'Eleasis réchauffait le décor vallonné qui s'offrait à Ian, celui-ci aperçut une forme humaine à plusieurs dizaines de mètres de la route.En effet, adossé au tronc renversé d'un arbre, un vieil homme semblait se reposer.

L'épaisse barbe blanche qui ornait le menton de l'inconnu trahissait son âge. Elle brillait particulièrement à la lumière et contrastait avec le manteau sombre qui descendait jusqu'à ses pieds.
Levant lentement sa main, L'homme fit un signe qui ne pouvait s'adresser qu'au moine. Sauf erreur, il lui demandait d'approcher.

Ian dévorait des yeux les paysages qui l'environnaient. Chaque nouveau paysage, même le plus morne et gris, avait à ses yeux une saveur excitante qui lui mettait l'eau à la bouche.
Il avait faim de découverte et, après s'être un peu attardé sur les pentes des montagnes où il avait passé son enfance, il avait franchit le pas et s'était enfoncé en terres inconnues.

En espérant toutefois que ces nouveautés lui fasse oublier la fatigue.
A son grand étonnement il avait eu du mal à trouver des endroits confortables pour dormir. Et il redoutait qu'une fois totalement en dehors de son environnement habituel il n'y arrive plus du tout. Dans le même temps ses provisions allaient s’amenuisant et il ne savait pas s'il saurait assurer sa subsistance sur le long terme.
En soupirant sur le manque de débrouillardise qui le laissait à la merci de si basiques considérations matérielles, il avait prit le parti de considérer cette étape comme la première épreuve que lui soumettait le monde et tenté de l'affronter avec le sourire.

La route, puis le panneau avaient tous deux été symbole de soulagement et d'enthousiasme renouvelé à l'idée d'approcher d'une forte concentration de personne.

¤Bérégost, ma foi un joli nom.¤

Il avait reprit sa marche avec fébrilité, mais aussi une certaine appréhension. Lui qui n'avait jamais vu plus d'une demi-douzaine de personne dans un même endroit redoutait un peu de se retrouver en présence d'une multitude inconnue. C'était cette légère peur qui l'avait empêché jusqu'ici d'accoster les quelques voyageurs qu'il avait rencontré.
La stupeur aussi, concernant les chevaliers qu'il avait vu passer. Le spectacle avait eu un fort impact sur Ian qui avait ainsi pu commencer à mettre des images sur tous les textes qu'il avait lu dans sa jeunesse.
Cette absence de contact avait finit par peser au jeune homme, et il s'était promit d'entamer une discussion avec la prochaine personne qu'il rencontrerait. Pour peu qu'elle ne fut pas trop pressée.
La route qu'il avait choisi de suivre ne semblait néanmoins pas très fréquentée, et il commençait à se demander s'il pourrait remplir sa promesse avant d'arriver au lieu-dit où aboutissait le chemin.

Aussi fut-il ravi de rencontrer enfin une silhouette humaine sur sa route. Il commençait à rassembler son courage en vu de l'aborder quand cette dernière lui fit signe.

¤Ca, si ce n'est pas un bon présage... !¤

Le moine se dirigea donc d'un bon pas vers l'homme qui avait eu la bonté de l’interpeller. En tâchant cependant de ne pas marcher trop vite pour éviter de l'effrayer, et de calmer tant bien que mal les bonds que faisaient son coeur dans sa poitrine.

Journée du 4 Eleasis 1372
Contrées du Mitan Occidental
Sur la route reliant Nashkell à Bérégost

A mesure qu'il approchait du vieil homme, Ian pouvait se faire une idée plus précise de celui-ci.
Son long manteau était d'un brun foncé et seules des taches de poussière et de boue séchée parvenaient à en éclaircir la teinte au niveau des pieds. L'inconnu semblait faire peu de cas de ce vêtement de même que d'une capeline de voyage de même couleur qu'il semblait avoir replié sous son séant pour conforter son assise.

- Approchez jeune homme, approchez, lança d'une voix calme mais sonore le vieillard tandis que le moine avançait vers lui.
Sans se relever, l'homme ouvrit de nouveau sa main en un signe accueillant.

Bien que ses traits furent profondément marqués par le temps, son visage paraissait avoir conservé une certaine fermeté, et il était probable que quelqu'un qui l'aurait connu dans sa jeunesse l'aurait reconnu malgré les effets de l'âge.
Sa barbe était épaisse mais immaculée et certainement régulièrement soignée. De même que ses cheveux lisses qui partaient du haut de son front pour descendre jusqu'à sa nuque.

Face au jeune et candide Ian, le vieil homme semblait d'autant plus sage et expérimenté.
Le moine était d'ailleurs à quelques pas de son interlocuteur lorsque celui-ci leva vers lui des yeux qui plongèrent intensément dans les siens.
- Bonne rencontre mon bon ami, peut-être auriez-vous quelque réconfort à offrir à un voyageur fatigué?

Au fur et à mesure qu'il approchait, Ian ne pouvait empêcher son regard curieux de détailler l'individu.

¤Etrange qu'un homme qui prenne si soin de ses attributs capillaires délaisse de la sorte ses vêtements. Il ne doit pas être dans le besoin.¤ songea-t-il avec soulagement.

Le fait d'être sans le sou n'avait qu'un seul inconvénient pour le jeune homme : ne pas être capable d'aider ses pairs en manque d'argent. Enfin, d'après les livres qu'il avait lu, les pauvres ne courraient pas les rues. Mais pour l'heure il était content de ne pas se retrouver incapable de répondre à une demande.

Interrompu dans ses pensées par le contact oculaire direct, Ian le rendit néanmoins sans sourciller, et répondit en souriant largement :

-Mais j'ai tout le réconfort qu'il vous faut mon bon monsieur ! Que vous faut-il ? J'ai quelques provisions à partager, une bouche et des oreilles pour discuter et...

Il se rendit alors compte qu'il n'avait pas remarqué de sac ou paquetage près du vieil homme.

¤Alors que son manteau est dans un tel état ? Ce doit être un voyageur expérimenté.¤

Il acheva néanmoins :

-... un dos pour aider à porter les charges. Ils sont à votre service !

Journée du 4 Eleasis 1372
Contrées du Mitan Occidental
Sur la route reliant Nashkell à Bérégost

- Ahhh... laissa échapper le vieil homme dans un soupir de soulagement, comme si on lui donnait enfin la bonne réponse à une question trop souvent posée.

Il abaissa la tête et, ce faisant, une mèche blanche vint lui passer devant le visage.
- Il est bon de rencontrer un homme de bonne volonté en ces temps troublés, ajouta-t-il. Il repoussa la mèche rebelle d'une main usée avant de recroiser les bras sur sa poitrine.

- Je mange à ma faim mon jeune ami, et cette bourse contient tout ce qui m'est nécessaire déclara-t-il en dévoilant sous son manteau une bourse en velours mauve, aussi j'épargnerai votre dos.
Ian put apercevoir, avant que l'inconnu ne referme son manteau, que sous sa rustique tenue de voyage il portait de plus beaux atours, d'un bleu pâle rehaussé d'argent.

- J'accepte cependant volontiers votre aide, puisque vous me l'offrez et que je vous l'ai demandée.
Il y a non loin un puits dont l'eau est si claire et si bonne que, dit-on, elle aurait été enchantée par les fées. Il serait dommage que nous n'allions pas la goûter.
Elle est assez proche mais mes jambes sont fatiguées et je voyage seul depuis trop longtemps. M'y mèneriez-vous?
Le vieillard leva sa main vers son interlocuteur.

¤Je me demande à combien de personnes il a déjà eu affaire auparavant pour qu'une si simple réponse le soulage autant.¤

Ian contint néanmoins sa curiosité le temps que le voyageur finisse de parler. Le moine nota avec satisfaction qu'il ne s'était pas trompé. L'homme était bien expérimenté, pour dissimuler ses vêtements sous un manteau quelconque et vivre sur les routes avec une si petite sacoche.

¤Un jeune sot comme moi a tout à apprendre de quelqu'un comme lui, j'espère pouvoir rester un moment en sa compagnie.¤

Mais lorsque l'inconnu en vint à sa requête, des étoiles jaillirent dans les yeux du jeune homme.

-Un puits enchanté dites-vous ? Et dire que sans vous je passais à côté ! Je vous y accompagnerais plutôt deux fois qu'une, en vous portant s'il le faut ! affirma le blondin avec humour, se doutant que le vieillard préférerait une ballade moins cavalière. Puis, de peur d'effrayer son interlocuteur par ce soudain embrasement, il reprit sur un ton plus calme : Je me nomme Ian, Ian Tomjan, et je serais honoré de faire un bout de chemin à vos côtés messire.

Alors qu'il saisissait délicatement, bien que d'une poigne ferme, la main tendu, il posa enfin la question qui le turlupinait :

-Mais les personnes prêtent à aider leur prochain sont donc si rare que ça sur les routes ? demanda-t-il avec un étonnement marqué.

Journée du 4 Eleasis 1372
Contrées du Mitan Occidental
Sur la route reliant Nashkell à Bérégost

Le vieil homme saisit la main de Ian et, se servant de cet appui, se releva lentement.
- Il y a moins de voyageurs sur ces routes qu'il y en avait autrefois, avoua l'inconnu en lâchant la main qui l'avait relevé.
Ces terres ont connu quelques troubles dernièrement. Certains événements survenus il y a un peu plus de deux ans ont marqué les esprits des habitants des villes voisines, et la méfiance habite encore leurs coeurs.
Des histoires de politique et d'argent, conclut-il en tentant d'effacer sans succès les plis de son manteau.

Il replongea ses yeux dans ceux du moine.
- Allons-y donc, Ian Tomjan, et voyons à quoi ressemble ce puits mystérieux.
L'homme invita son interlocuteur à avancer avec lui dans la campagne et ajouta:
- Il serait bien impoli de ne pas vous révéler mon nom à mon tour. Par chez moi on me nomme Bolgeais, Bolgeais l'ancien.

Bolgeais, puisque c'était son nom, mena donc Ian à travers la campagne durant plusieurs dizaines de minutes. La plupart du temps, les deux hommes marchaient côte-à-côte, sans que le moine ait réellement besoin de soutenir son nouveau compagnon comme ce dernier l'avait pourtant laisser entendre. L'aîné avançait même plutôt aisément, les mains derrière le dos et le regard perdu dans le lointain.

D'abord silencieux, il reprit enfin la parole.
- Et dites-moi, maître Ian, qu'est-ce qu'un jeune être tel que vous fait lui-même sur les routes? Etes-vous en pèlerinage? Ou peut-être alliez-vous chercher travail à la ville?

-Bolgeais l'ancien, répéta Ian en articulant soigneusement comme s'il goûtait le nom, entendu.

Il escorta l'homme sans broncher quand il réalisa que ce dernier n'avait guère besoin de lui pour soutenir ses vieilles jambes.

¤Ce devait surtout être une compagnie que recherchait l'ancien, plutôt qu'un support physique.¤ supposa le jeune homme en cherchant alors comment relancer la conversation pour agrémenter la balade.

Une fois de plus son interlocuteur lui épargna cette peine en le devançant. Le moine fut ravi de répondre à la question :

-Un peu des deux. Je penses que nous pourrions parler d'un voyage initiatique. J'étais en apprentissage dans ma famille et, puisque les voyages forment la jeunesse, on m'a envoyé sur les routes pour compléter ma formation. Je compte donc "pèleriner" là où me portent mes pas et abattre la besogne qui aura le cran de croiser ma route, conclut-il en souriant avec insouciance.

Son sourire s'élargit quand il ajouta :

-Il semblerait d'ailleurs que mon premier travail en ce Monde soit de vous accompagner ! Je fait appel à votre tolérance envers le jeune sot que je suis et espère que l'expérience nous sera à tous deux profitable, maître Bolgeais.

Journée du 4 Eleasis 1372
Contrées du Mitan Occidental
Sur la route reliant Nashkell à Bérégost

- De l'expérience, hm... murmura Bolgeais tandis que les rides au coin de ses lèvres se soulevaient en un léger sourire.
Je ne peux guère me souvenir de l'époque où mes préoccupations étaient telles que les vôtres. Je suppose cependant qu'une infime partie de mon âme aspirerait volontiers à retrouver l'insouciance que j'imagine en vous.
Enfin...

Autour des deux voyageurs, l'environnement changeait peu à peu. Le paysage relativement dégagé qu'offraient les environs de la route laissait apparaître des bosquets de plus en plus nombreux.
Haut dans le ciel, le soleil continuait de darder ses rayons sur le duo. Tout en marchant, Ian put d'ailleurs apercevoir quelques gouttes de sueur perler sur le front dégagé du vieil homme. Elles disparurent soudain lorsque le vieil homme agita ses doigts d'une étrange façon.

- Vous savez mon jeune ami, reprit-il, votre candide sottise ne doit pas vous faire rougir et, à la vérité, je serais tout à fait heureux de vous rendre service dans votre quête comme vous m'aidez dans la mienne.
Voyez-vous, j'avais l'espoir de retrouver il y a quelques jours certains de mes amis dans la ville proche de Bérégost, mais ils ont malheureusement trop tardé et j'ai dû partir sans pouvoir les y croiser.
Sans vouloir abuser de votre gentillesse, cela serait certainement profitable à tout un chacun que vous les rencontriez afin de leur remettre, peut-être, une missive de ma part.
Qu'en dites-vous?

-C'est le propre des jeunots de vouloir mûrir avant l'âge, et celui des hommes mûrs de retrouver la jeunesse, récita le moine par habitude. Cette phrase était la réponse favorite de frère Toru à ses plaintes concernant les limites d'un corps d'enfant.

Il avait fixé un instant le front du vieil homme sans comprendre, presque fasciné, mais très vite son attention se focalisa sur l'étrange requête de son compagnon.

Pour le jeune homme il y avait clairement là une histoire intéressante. L'ancien n'avait pas pu attendre en ville, pourtant il ne semblait pas particulièrement pressé. De plus il n'avait loué ni cheval ni carriole, ce qui aurait à la fois soulagé ses jambes et accéléré son déplacement. Il n'en fallait guère plus pour son insatiable curiosité.

-En voilà des précautions ! dans la forme comme dans le fond, s'amusa Ian. Bien que je trouve dommage de devoir vous quitter si tôt, il va sans dire que je serais ravi de porter un message à vos amis. Mais accepteriez-vous de me révéler pourquoi votre temps est compté au point que vous ne puissiez les attendre ?

Réalisant que sa demande était peut-être osée, surtout auprès de quelqu'un qu'il venait de rencontrer, il s'empressa d'ajouter :

-Vous n'êtes pas obligé de répondre, tout ce qu'il me faut savoir est comment les retrouver.

Pour lui à qui le monde n'apparaissaient que comme une grande scène de spectacle, il paraissait improbable que la vie ne soit pas une constante épopée. Par exemple porter un simple message devait au moins inclure une embuscade et deux ou trois machinations, au minimum. Aussi conclu-t-il :

-Sachez cependant que si vous aviez des ennuis à Bérégost, je me ferais un plaisir de les résoudre pour vous.