Vagues de Brume, Le Démon du Crâne—Alrion, Shalan, Xédar

arfois, il suffit de se poser une question pour que la réponse nous revienne. Ce fut le cas pour Xédar, qui était en fait le mieux calé en géographie de la petite bande. D'après ses estimations, la prochaine ville, une fois franchi le fleuve Accessible, était Borcolline. Pour y arriver, ils devaient continuer à longer le fleuve vers le sud-ouest, puis bifurquer vers le sud-est pour le traverser.

Chacun s'était à présent restauré du petit-déjeuner préparé par Alrion, puis après avoir rangé ses affaires, était monté sur les quatre montures, dont trois étaient celles du groupe de messagers de la veille. En cette matinée brumeuse, le prisonnier avait l'air beaucoup plus calme, ou en tout cas, résigné. Il fallait dire que seul contre tous, au milieu région semi-aride, il avait peu de chances de s'en sortir.

Le groupe se remit en branle, le long de ce chemin assez monotone qui longeait le ravin du fleuve Accessible. Peu à peu, la brume matinale se levait, mais l'horizon dégagé n'offrait guère de distraction à l'œil des aventuriers. Après une ou deux heures de trajet, le chemin commença à descendre peu à peu, jusqu'à les emmener dans une plaine paisible parsemée de petites bosquets. La rivière, qui à cet endroit n'était plus encaissée dans un ravin, était bien visible sur leur gauche.

Ils continuèrent encore plusieurs heures, puis arrivèrent à un embranchement au niveau d'un amas de pierres envahi par la végétation. Le chemin se poursuivait vers l'ouest à travers la plaine, ou partait sur la gauche en direction par la rivière, en passant par un forte descente à travers ce qui ressemblait à une forêt clairsemée.

Suivant leurs connaissances en géographie, ils décidèrent donc de prendre à gauche en direction de l'Accessible, après avoir pris un en-cas en guise de déjeuner. Une fois remis en route, il leur fallu encore quelques heures pour parvenir jusqu'à la rivière, traversée par un gué.

De l'autre côté, ils remontèrent à travers un paysage verdoyant, parcouru de multiples petits cours d'eau qui avaient au fil des âges creusé une myriade de colline et de vallons. Ça et là, on apercevait un étang abandonné, une cabane, mais point d'habitation. La piste était d'ailleurs peu visible, si bien que tous commencèrent à se demander s'ils ne s'étaient pas trompés de route.

La piste franchit alors un coteau, dégageant un nouvel horizon. Derrière, le groupe découvrit, posées sur une lointaine colline ronde comme un mamelon, des maisons de bois aux cheminées fumantes. Un peu à l'écart du bourg, au nord de celui-ci, se trouvaient d'autres bâtiments, plus grands, protégés par une palissade. Enfin, on voyait un chemin qui partait des maisons vers le sud-est, chemin que les aventuriers n'allaient d'ailleurs pas tarder à rejoindre.

Xamara

- Ce village... j'ai l'impression d'être déjà venue ici. --------------------

La jeune femme avait brisé le silence contemplatif du groupe, qui évaluait le chemin restant jusqu'au village, ou se réjouissait d'arriver bientôt à cette ville étape. Tout à coup, son expression se figea, ses yeux prirent une lueur légèrement différente, et sa voix un ton plus grave lorsqu'elle annonça :

Xamara

« L'un de nous ne quittera pas ce lieu. » --------------------

Même le prisonnier, qui toute la journée s'était muré dans le mutisme et la résignation, la regarda d'un air abasourdi. Puis elle redevint normale, et leur jeta un regard étonné, l'air de dire « qu'avez-vous à me regarder comme ça ? ». Malgré leurs interrogations, elle n'avait aucun souvenir de ce qui venait de se produire, aussi, reprirent-ils leur chemin.

Quelques minutes plus tard, ils passèrent devant un panneau « Borcolline » annonçant les premières maisons. Nulle enceinte ne protégeait le bourg. Les bâtiments lointains, au nord, entourés d'une palissade avaient une petite allure de château fort, et pourtant...

« C'est une enclave Thayenne, ça ou je me trompe ? » lança Shalan, confirmant les soupçons de Xédar, qui connaissait ces lieux de vente d'objets magiques contrôlés par les mages de Thay. Par ailleurs, le groupe passa devant de nombreuses échoppes en tous genres : cordonniers, tanneurs, rebouteux, épiciers, armuriers et autres commerçants étaient nombreux à avoir pignon sur rue.

Ils arrivèrent enfin au centre de la bourgade. Autour d'un large puits entouré d'abreuvoirs à la disposition des voyageurs, se trouvait une grande place encadrée par plusieurs bâtiments, les plus imposants. On trouvait là une auberge, appelée sobrement « Auberge de la Colline », à laquelle était attachée de vastes écuries qui occupaient toute le côté nord de la place.

Côté est, une haute façade en pierre détonnait parmi les maisons de bois. « Le temple de Waukyne est plutôt bien placé », fit remarquer Shalan. Devant régnait une certaine agitation, et de nombreuses personnes qui n'avaient pas spécialement l'air de fervents religieux, entraient et sortaient du bâtiment.

Face aux écuries, côté sud, se trouvait une taverne, le « Troll Ivre », devant laquelle se trouvait une grande statue en bois au goût douteux évoquant ce même personnage.

Shalan prit une nouvelle fois la parole. « Vous avez vu sur le chambranle de l'auberge ? On dirait une sorte de code. »

À vrai dire, ni Xédar, ni Alrion ne l'avaient vu, et il fallait d'ailleurs un sacré sens de l'observation pour remarquer celui-ci. À y regarder de plus près, il y avait bien un symbole gravé dans le bois de la porte, un dragon derrière un cercle.

En attendant, la nuit n'allait pas tarder à tomber, et la pluie non plus à en juger par les nuages qui s'amoncelaient.

Ils avaient chevauché toute la journée, et Alrion n'était pas le genre à être habitué à ce genre d'effort. Il avait plus l'habitude de marcher, et était de fait assez vermoulu par le long trajet qu'ils avaient accompli en ce jour.
La journée avait été calme, seulement interrompu par quelques courtes pauses pour des besoins naturels ou pour remplir leurs outres d'eau dans la rivière, renouvelant ainsi le stock vidé du liquide précieux. Heureusement, ce soir, ils n'en auraient même pas besoin, vu qu'ils avaient trouvé un village. Mieux encore, ce village semblait être un coin familier de la gamine, peut-être pourraient-ils en savoir plus sur son passé, et les raisons qui avaient poussé à l'attaque de la caravanes, puis du trio avant qu'il ne les rejoigne.
Son autre sentiment, s'il pouvait paraître plus inquiétant, l'était en fait moins pour Alrion, qui y avait trouvé une explication des plus simples, à savoir qu'ils avaient de bonnes chances de laisser ici leur prisonnier, aux mains de la justice locale. Le fait qu'elle ne s'en souvienne pas, toutefois, était peut-être plus gênant, Alrion décida donc de couper le blanc qui suivit en demandant à l'elfe ce qu'il pensait de ce à quoi il avait pensé :

- Dis-moi Shalan, maintenant que nous avons rejoint un village, tu penses qu'on peut le laisser ici ? commença-t-il avec un mouvement du menton vers le prisonnier attaché à son cheval. Ils doivent avoir un moyen de rendre la justice dans les parages, et même si je ne suis pas pour les exécutions sommaires, je préfère éviter de m'encombrer d'un prisonnier sur les routes dangereuses, surtout avec ce que nous devons faire.

Ils entrèrent dans la ville sans tarder, Alrion étant conscient de l'étrangeté qu'ils devaient représenter, deux hommes, dont un attaché à sa monture, une femme et un gnome partageant une autre, et la dernière clairement anormale, montée par un elfe solaire, pas le genre de spectacle que l'on rencontre tous les jours, même dans une grande ville, alors c'était exceptionnel dans un endroit aussi perdu, même si ces gens possédaient une enclave de Thay, s'il en croyait ses compagnons, montrant que le bourg avait une certaine importance dans les environs.
Le jeune homme savait peu de choses sur Thay, et la plupart étaient à faire froid dans le dos. Quand il était tout petit, sa mère lui disait qu'un mage rouge viendrait l'enlever et le manger s'il n'était pas sage, et c'était le genre de peur infantile qu'il n'avait point perdu, car même s'il pensait, maintenant qu'il était adulte, que leurs méfaits devaient avoir un certain fondement. Il y avait donc peu de chance de voir de l'aide de ce coté-là.
Il sortit de ses réflexions lorsque l'elfe porta leur attention sur le chambranle de la taverne, sans réussir à déterminer ce que cela pouvait être :

- Que penses-tu que c'est donc ? demanda-t-il au spécialiste. En attendant, nous ferions mieux de trouver de quoi nous restaurez et dormir, et de quoi refaire nos réserve aussi, on a rarement trop de vivres quand on voyage. Si en plus on pouvait éviter de se faire tremper en faisant tout ça, ce serait parfait.

halan répondit à voix basse à l'élu divin.

- J'ai déjà vu ce symbole, oui, mais je ne saurais point dire à quelle organisation il appartient.

Xédar, l'érudit du groupe, qui s'était lui aussi approché, intervint.

- Si je ne m'abuse, c'est celui du Zhentarim. Ça doit être le signe que ses membres sont les bienvenus dans cet établissement, ou peut-être que l'un d'eux l'a gravé ici comme signe de ralliement. Bref, je préférerais éviter cet endroit...

Shalan acquiesça.

- Je doute que nous soyons assez nombreux pour faire face à toute une horde de Zhentarims. Néanmoins, c'est une information qui ne pourra pas nous nuire.

Il reporta son attention sur le prisonnier.

- Quant à lui, je serais d'avis de le garder un peu plus longtemps en notre compagnie, bien que cette perspective ne m'enchante guère. Je préférerais le livrer à une communauté qui soit un tant soi peu digne de confiance, plutôt qu'à un repère de Thayens et de Zhentarims.

Xédar opina du chef.

- Bien d'accord. D'ailleurs, avec tous ces filous dans le coin, je ne vais pas lâcher la petite d'un regard, promit-il en désignant Xamara, qui observait les environs d'un air curieux.

« Et si on allait au temple de Waukyne ? Peut-être pourront-ils nous indiquer un établissement un peu moins mal famé pour passer la nuite, nous restaurer et faire quelques réserves. »

Shalan semblait plutôt approuver l'idée. Alrion avait le dernier mot pour décider de leur destination.

Apprenant la signification du symbole, Alrion ne put qu'être plus que largement refroidi à l'idée de séjourner dans les parages, surtout si l'on prenait en compte la prédiction de la petite sur ces lieux. Heureusement, ils avaient l'air d'avoir une autre solution :

- En effet, il serait pour le mieux d'aller voir ailleurs, nous sommes peu et nous ne connaissons rien de l'endroit. Autant donc aller au temple, même si j'ignore si notre futur logeur prendra bien le fait que nous avons avec nous un prisonnier, même si, avec notre position respective, ce qu'il nous a dit et ce que l'on a trouvé, je ne pense pas qu'ils pourraient nous refuser pour cela.
Au pire, nous camperons en dehors de la ville, nous avons encore des réserves pour quelques jours, que nous pouvons tout de même refaire même si nous ne dormons pas sur place.

Il frappa donc des talons dans sa monture, ils n'en avaient plus pour longtemps à monter la bête, qui ne devait guère apprécier ce poids conséquent toute la journée, car même si la créature était habituée à soutenir un cavalier, il fallait être honnête et se dire que le guerrier divin était loin d'être le plus léger des hommes, surtout lorsqu'il revêtissait son armure, comme il l'avait fait toute la journée comme il l'avait en ce jour, avec tous les problèmes qui pouvaient se trouver sur le chemin, comme l'avait montré le trio dont avait fait partie leur prisonnier jusqu'à la veille.

Le gnome, tout content de retrouver la civilisation, ne pouvait s'empêcher de jeter des regards un peu partout. Discutant entre eux sur l'endroit où crécher, Xedar pensait aussi à l'encombrant passager qu'ils devaient trimballer. Il se mit donc à parler d'une voix légèrement plus basse que la normale, afin de ne pas attirer l'attention des passants.

- Dites, je me disais, les gens de l'enclave de Thay qui selon ce que j'ai lu et entendu, font pas mal de truc que l'on qualifierait d'amoral, ils verseraient pas dans l'esclavage ?

Il fit un mouvement de tête en direction de leur prisonnier.

- Un homme grand et fort comme lui trouverait preneur j'en suis sûr. Cela nous éviterait de le remettre à des gens potentiellement corrompu tout en le neutralisant.

Et pour devancer les éventuelles craintes.

- Et si je suis contre l'exploitation humaine, dans ce cas elle fait office de punition pour les crimes commis par ce triste sir.


Puis en reportant la conversation sur leur future nuit.

- Oui évitons donc cette taverne pour être plus sûr de voir le lendemain. Et allons au temple pour savoir ou dormir et demander à qui l'on pourrait confier les informations que nous avons récupéré sur ces brigands.

Puis, ayant dit cela, il commença à s'époussetait afin de faire, ou de tenter de faire, bonne figure face aux prélats.

e groupe se dirigea donc vers le temple de Waukyne, de l'autre côté de la place, encore animée par quelques voyageurs et passants. Des anneaux scellés dans le mur permettaient d'accrocher temporairement les montures, et des abreuvoirs étaient disposés là à l'attention des bêtes.

Le groupe fut surpris par la somptuosité du bâtiment, que ce fût la qualité des pierres utilisées, ou l'abondance des décors à l'intérieur. Visiblement, l'Église de Waukyne ne lésinait pas sur les dépenses, surtout pour un bourg en apparence aussi modeste.

Le temple consistait en un grand hall d'entrée, où se trouvait une grande statue, quelques bancs en pierres et surtout, de très grandes ouvertures, dont les portes en bois massif était ouvertes. Au fond, se trouvait apparemment un sanctuaire, lieu de recueillement, alors qu'à droite, on trouvait un sorte de salle de réception avec des tables. Le hall n'était occupé que par une jeune femme frêle qui passait la serpillère sur les dalles de marbres, et par une femme richement vêtue qui passait de la salle de prière à la salle de réception à gauche.

A peine furent-ils entrés dans le hall, qu'un homme grand et opulent les accueillit, bras ouvert et sourire aux lèvres. Il portait une robe de prêtre et le symbole de Waukyne autour du cou, un large pièce d'or portant le visage de la déesse.

- Bienvenue, chers visiteurs ! Je ne vous ai jamais vus par ici. J'en conclus que vous êtes de passage. Sachez qu'en plus de vous recueillir, vous pouvez trouver en ces lieux une étable pour vos chevaux, une table et un repas chaud pour chacun, et un lit confortable pour vous reposer. J'imagine que vous avez beaucoup voyagé et que vous êtes épuisés par tout ce chemin...

Il n'avait pas l'air étonné par l'étrangeté de leur groupe, composé d'un elfe, d'un gnome, et de trois humains dont une très jeune fille. Ou bien, il savait bien dissimuler ses sentiments.

Le colosse ne put s'empêcher de grimacer à la proposition du gnome, même si elle lui avait un instant effleurée l'esprit, il l'avait rejetée très rapidement :

- Mieux vaut éviter, non seulement personne ne mérite ce sort, même la mort est un sort plus enviable, mais rien n'indiquent qu'ils ne se serviraient pas de lui pour ce qu'il sait faire, sans compter que si tu penses que les thayens ne sont pas corrompu, tu t'enfonces le doigt dans l'œil jusqu'au coude. On trouvera bien une autre solution.

Ils évitèrent donc l'auberge et se dirigèrent au temple de Waukeen, un temple somptueusement construit, comme on pouvait s'y attendre, le clergé de la déesse marchande avait les moyens de ses ambitions, où les accueillit un prêtre local.
Comme Shalan était toujours dans ses pensées, Alrion prit sur lui de prendre la parole pour répondre, pas mécontent de trouver un autre endroit pour dormir que ce qu'ils avaient vu jusqu'à présent :

- En effet messire, les soins pour nos quatre chevaux pour la nuit, le dîner pour chacun d'entre nous, et des lits. Auriez-vous par hasard des cellules où placer les contrevenants ? fit-il en montrant de la tête leur prisonnier, toujours entravé. Cet homme a déjà profané un temple, nous préférerions éviter qu'il échappe à notre garde avant d'avoir pu le remettre à des autorités compétentes, nous ne voudrions pas qu'il recommence par ici.

Avec un peu de chance, la présence de deux religieux dans leur groupe aiderait à faire valoir leur point de vue et leur permettrait de passer une nuit tranquille pour repartir le lendemain matin. D'ailleurs, le cuisinier ajouta, pensant aux réserves de nourriture qui lui restaient et n'ayant pas trop envie de manger des rations séchées :

- Auriez-vous également quelques provisions fraîches à vendre pour la continuation de notre voyage ?