Chapitre II : La route vers le Fort, Chapitre II : La route vers le Fort

Le barde acquiesça à son tour la formule des tours de garde. Dans le cas ou Azur’ael avait décidé de prendre le second tour avec Sahadeva, il prendrait le premier en compagnie de Célestia. Elle n’était pas très bavarde et il espérait ne pas être mal à l’aise face au silence. Gardien du feu, il aurait au moins de quoi s’occuper et pourrait assurer la chaleur du campement pour une partie de la nuit.

- Très bien, je resterai éveillé avec Célestia pour la première partie de la nuit.

Regroupant ses affaires près de sa couche pour laisser de l’espace aux autres, il s’assura que ses armes soient à porter de mains ainsi que le restant du bois pour maintenir le feu.

Il avisa Célestia du regard puis lui sourit. Tout compte fait, il était heureux de faire partie de l’expédition. Il était arrivé comme un cheveu sur la soupe et ses gens l’avaient plutôt bien accueilli. Il espérait juste être à la hauteur des talents de ses compères, il avait encore tout à prouver.

- Reposez-vous bien dit-il à l’intention de l’elfe et du Maquar.

Premier tour de garde : Célestia et Vieltal
Deuxième tour de garde : Azur’ael et Sahadeva

Quand il fut temps de réveiller la relève, les dernières braises du feu gardé par Célestia et Vieltal étaient encore chaudes, le foyer rayonnait. Par talent ou par chance, ils étaient parvenus à le protéger de l’humidité, et à le maintenir plus longtemps qu’ils ne le pensaient possible. La moniale faisait là aussi preuve d’un talent que le barde ne lui aurait pas prêté et, fort de son exemple, s’était montré efficace lui aussi. L’abri avait fait le reste.
Plus d’une fois, en tout début de leur période de garde, ils avaient vu le reflet d’yeux luisants en bordure de l’étendue herbeuse. Le feu avait peut-être découragé les animaux nocturnes –s’il s’agissait bien d’animaux- car ils n’eurent pas d’autres dangers à affronter que l’endormissement.

Azur’ael sortit de sa rêverie parfaitement ‘reposée’ mais si Sahadeva pouvait compter sur une discipline parfaite pour n’avoir besoin que de peu d’heures de sommeil, il sentait d’ores et déjà qu’il ne serait pas bon dormir si peu trop souvent s’il voulait être d’attaque pour une longue journée de marche et de risque de rencontre.

Le petit matin se leva sans joie, sans la bénédiction de Lathandre qui leur avait souri le matin de la veille.
Le soleil –qui ne se lèverait qu’une heure plus tard- ne percerait probablement pas le ciel gris perle, l’humidité formait un brouillard compact, de près d’un mètre de haut, juste repoussé par l’air moins froid de leur abri, mais au moins, n’avaient-ils dû faire face à aucune autre rencontre pour leur première nuit de bivouac.

Le croassement sinistre de deux corbeaux qui semblaient se répondre finit de réveiller les aventuriers somnolents.

Une longue route les attendaient encore., une route détrempée par les torrents de la veille, changeant chaque creux en flaque, transformant les monticules de terre en marre de boue, les pavés en dangers glissants. Aucun son ne leur parvenait encore de la route, les caravanes avaient dû trouver le moyen de se protéger des intempéries ou avaient pris le risque de pousser plus loin.

Après avoir adressé un regard interrogateur à Azur'ael, Sahadeva comprit qu'il était temps de reprendre la route. Le guerrier se leva et s'en alla toucher doucement les épaules de Vieltal et de Célestia afin de les réveiller. Leur veille s'était déroulée sans encombre, ce dont il se réjouissait, mais il manquait de sommeil. Même s'il avait l'habitude de ne dormir que peu de temps, tout homme avait ses limites et ses yeux avaient imperceptiblement tendance à se fermer d'eux-mêmes.

Il faisait encore sombre, il faisait froid et pluvieux. Le Maquar savait qu'il devrait s'habituer progressivement à ces conditions climatiques qui lui étaient inhabituelles. Pour l'heure, il essayait de s'en accommoder de son mieux...

Sahadeva se dirigea vers son outre et versa un peu d'eau dans ses mains pour s'asperger superficiellement le visage : ce rituel qu'il pratiquait chaque matin avait un effet revigorant et il en ressentit immédiatement les effets. S'ils en avaient eu le temps et si un point d'eau s'était trouvé à proximité, il se serait probablement rasé mais, les lieux ne s'y prêtant pas, il se contenta de passer sa main sur ses joues pour y sentir de petits picots qui commençaient à y poindre.

¤ Nous ne sommes pas là pour participer à un concours de beauté ¤ se dit-il, philosophe.

Le Durpari ayant veillé durant la seconde moitié de la nuit, il était équipé de pied en cape et il ne lui restait qu'à se restaurer avant de reprendre la route. Il alla piocher quelques fruits et deux tranches de pain dans leurs provisions et déjeuna sans mot dire. Ayant fini de manger, il but quelques gorgées d'eau avant de déclarer à ses compagnons :

- Je suppose que nous allons reprendre au plus vite la route, autant ne pas trop nous attarder dans ces lieux potentiellement hostiles. Si vous le souhaitez, je peux marcher en tête du groupe, comme je suis celui qui porte les plus lourdes protections. A moins que vous n'estimiez que ce rôle conviendrait à quelqu'un de plus alerte que moi...

Ce disant, Sahadeva avait jeté un regard en direction de Célestia dont les réflexes l'avaient impressionné lors de leur altercation avec l'assassin amateur à Eauprofonde.

Quand Sahadeva vint lui toucher l’épaule, le barde ne dormait déjà plus. Les oiseaux avaient fait le travail. Il se redressa presque immédiatement en s’étirant. La nuit avait été courte, trop courte. Il faisait toujours frais, le brouillard enveloppait l’abri, comme une bulle oppressante sur les compagnons, les poussant à quitter cet environnement et à poursuivre leur route. Le barde entreprit de remettre son armure avant toute chose, puis, farfouillant dans son sac pour y trouver quelques rations à se mettre sous la dent. Assis près du feu agonisant et triste, il fut pris d’une envie de jouer un air ne serait-ce que pour ragaillardir les troupes comme au temps où il jouait ce rôle auprès de sa famille et ses amis partant au combat.

Pourtant ici, il était hors de question d’attirer l’attention sur eux. Refoulant cette idée et le sang bouillonnant dans ses veines, le barde regarda ses compagnons avant de poser une question qui le chicotait depuis la veille.

- Croyez-vous que nous aurons des problèmes avec les Hommes-Lézards? Nous avons parlé franchement de notre quête et de nos intentions pacifiques à Braz’ah As’Hyars mais ils ne sont surement pas tous aussi patient que lui.

Il soulevait le point sans vraiment d’inquiétude dans la voix. Il ne voulait qu’engager la conversation ce matin afin de chasser un peu le poids invisible qui s’abattait sur leurs épaules.

L'elfe de lune accueillit les réveillés avec un large sourire pour leur donner un peu de chaleur au cœur pour cette nouvelle journée. Elle savait que pour ce genre de mission dans un environnement aussi hostile il fallait garder un moral d'acier.

- j'espère que vous avez tous passé une bonne nuit même si un peu courte...Il faut croire que le doux sourire de la Sehanine nous a accompagné car nous n'avons eu affaire à aucune mauvaise rencontre.

Ses yeux émeraudes se posèrent sur l'homme du sud qui venait de faire une proposition. Avec un ton chaleureux, elle s'adressa à lui.

- J'aime cet esprit d'initiative ! Sans vouloir vous offenser Sahadeva, ne faudrait il pas un éclaireur devant ? Soit quelqu'un de rapide et avec les sens affutés ? Sahadeva, Je pense que vous seriez mieux à mes côtés comme garde du corps car si on fait l'objet d'une attaque organisée, je serais la première visée en tant que maîtresse des arcanes. Mais peut être que vous me trouvez aussi repoussante qu'un troll des marais ?

La bleutée se retint d'éclater le rire. Elle adopta une attitude plus sage pour répondre à la question du barde.

- Franchement je n'en sais rien, et j'espère que non même si je ne me fais pas d'illusion. Dans chaque clan, il y a des modérés et des extrémistes. Tout dépendra de leur chef. Notre franchise aura été peut être notre meilleure chance pour éviter toute mauvaise rencontre. Et puis si on avait qu'à se soucier des hommes lézards...

La gardienne sylvestre se restaura légèrement car elle avait un appétit d'oiseau. Elle était pressé maintenant de reprendre la route.



Note : elle a investi son compagnon divin d'un sort de niveau 1,2 et 3 (soit 6 charges)

Célestia avait bien dormi. Du moins selon les standards du monastère. Quoiqu'un peu fraîche, la nuit avait été réparatrice. Elle fit un rapide brin de toilette et elle rassembla ses affaires. Tel un rituel presque comique, elle rangea son sac déjà parfaitement rangé. Satisfaite de son agencement, elle l'ajusta sur ses épaules pour se préparer au futur départ. Elle s'approcha de ses autres compagnons et écouta sans dire un mot dans un premier temps. Elle finit par prendre la parole après que tout le monde se tut.

-La caresse de la Sehanine ? La seule que je connaisse ici c'est celle d'Aurile. Un vieux contentieux entre les habitants des marches et la déesse font que la vierge des glaces gratifie de sa bénédiction la région pendant toute la période hivernale. Pour ce qui est d'un éclaireur, nous allons avoir un soucis. Avec la pluie torrentielle qui est tombée, la route risque d'être difficilement praticable. Nous nous déplacerons moins vite que d'habitude. Les armures risquent même d'être un handicap. Quant aux hommes-lézards, ils ne poseront pas plus de soucis que les autres créatures que nous risquons de rencontrer. Il y a très longtemps, au cours d'une mission, nous sommes tombés sur un temple peuplé d'étranges créatures. Les loups-garou qui entouraient le temple furent le cadet de nos soucis. Ce jour là on aurait bien eu besoin d'homme en armure et surtout d'un puissant lanceur de sorts.

Elle n'en dit pas plus, car le souvenir de ce moment à la fois terrible et horrible ne pouvait que raviver de la colère et de la vengeance. Sentiments que Célestia s'efforçait d'éradiquer dans le second cas et de canaliser utilement pour le premier.

-Mais passons. Mettons nous en route, chaque jour est une bénédiction accordée par les dieux, quelques soient vos croyances.

Contre fortune bon Coeur, au moins réchauffés par le sourire d’Azur’ael, les aventuriers reprirent leur route, observant, tandis que le voile de brume se levait, les dégâts d’une nuit de trop de pluie.

Plus d’une fois, leur mule refusa de s’engager dans une mare qu’elle jugeait trop large, sans pouvoir juger de sa profondeur d’avoir remué la terre dans de longue étendue de boues. Le froid leur évitait la prolifération de mouches et de sangsues mais pas de se retrouver ralentis comme le craignait Célestia.

Après une heure de marche désagréable, à sentir le poids de l’humidité alourdir chacun de leur pas, les aventuriers virent au loin ce qui pouvait être une caravane de quelques chariots. Selon leurs estimations, la prochaine halte devait se trouver à moins d’une heure de marche dans ce sens et, à tous, il semblait étrange qu’ils se soient arrêtés là et qu’ils n’aient pas tout donné pour se mettre à l’abri tant les conditions de la veille étaient terribles.

Malgré la distance, il leur sembla y voir du mouvement. Des oiseaux tournait autour de la scène, c’était d’ailleurs ce qui avait permis à ceux qui ne bénéficiaient pas de la vue de la moniale et de l’ensorceleuse de l’apercevoir malgré la distance et le brouillard. Au loin, des cris retentissaient, trop masqués par la distance et l’humidité que pour les identifier mais il était certain qu’il s’y trouvait quelqu’un. Là-bas, à guère plus d’une centaine de mètres. Le sol glissant, légèrement en pente, rendait la course dangereuse pour qui voudrait le rejoindre au plus vite.

Le Maquar avait du mal à fournir un effort soutenu par le froid qui régnait dans ces contrées nordiques. Il encaissait cependant en silence, en se disant avec philosophie qu'il finirait bien par s'habituer à ces conditions climatiques désagréables. Finalement, il avait décidé de suivre les recommandations de son employeuse et avait cheminé aux côtés d'Azur'ael tout au long de l'heure de marche qu'ils avaient effectuée. Ils avaient finalement aperçu des chariots et des oiseaux qui tournoyaient autour. Sahadeva n'eut guère de doute sur la nature de la scène :

¤ Ces oiseaux de mauvais augure laissent sans doute présager des cadavres... et donc une attaque de ces chariots. Peut-être une embuscade, au vu de la configuration des lieux. ¤

Les cris laissaient supposer qu'il y avait des survivants. Le guerrier fit brièvement part de son opinion à ses compagnons de route :

- Ça m'a tout l'air d'être une petite caravane qui a subi une attaque et il semble qu'il y ait des survivants, amis ou ennemis. Nous nous devons d'aller voir ce qui se passe mais avec prudence...

Protéger ceux qui en avaient besoin et maintenir l'ordre, tel était le code d'honneur des Maquar et Sahadeva comptait bien s'y conformer. Le Durpari empoigna son écu et dégaina son cimeterre, prêt à marcher en direction des chariots.

Un mauvais présage. Célestia ne voyait qu'un mauvais présage en regardant ces oiseaux tournoyer au dessus de ce qui apparaissait comme une caravane. Mais une chose était positive quand même. Ils étaient encore en l'air.

-Avançons prudemment mais rapidement. Je ne sais pas ce que nous trouverons là-bas mais il y aura sûrement des morts. Seulement les volatiles en l'air ne s'y sont pas encore attaqués. Quelque chose doit les déranger. Reste à savoir si c'est amicale ou non. Je passerai devant par le chemin direct.

Elle entama sa marche rapide vers la caravane regardant de part et d'autres de celle-ci afin de s'assurer qu'il n'y avait personne de dissimulé en embuscade. Elle se tenait sur ses gardes ne sachant pas si l'attaque de la caravane avait toujours lieu ou si les défenseurs avaient tous péris ou vaincus. Dans le doute et ne voulant rien laisser au hasard, car deux situations contre une pouvait lui être défavorable elle se prépara au combat. Son idée était simple. Attirer les éventuels menaces vers elle le temps que ses compagnons arrivent et si cette menace était trop importante se retirer pour leur éviter toutes mauvaises rencontres. Une sorte de sacrifice calculé au profit du groupe. Les sachant moins mobiles qu'elle, il était normal qu'elle fasse ce qu'elle allait faire. Elle n'était toutefois pas suicidaire et elle se prépara à activer son pouvoir qu'elle avait tellement travaillé à faire éclore. Peut-être que pour la première fois elle allait user de sa force mentale dans une situation réelle de combat.

j'active mon armure inertielle si jamais on intente une action hostile contre moi

Le barde n’appréciait pas plus que les autres les conditions difficiles qu’ils devaient affronter. Ses bottes s’enfonçaient dans la boue et il lui était deux fois plus demandant de marcher. Son pied droit le tiraillait encore un peu, bien que la blessure qui lui avait couté un orteil fût cicatrisée depuis longtemps, la température le lui rappelait douloureusement aujourd’hui.
Bientôt préoccupé par les oiseaux au loin et les cris par la suite, le barde oublia aussitôt ses maux. Ses compagnons avaient également remarqués ce qui se passait et déjà Célestia s’avançait au-devant du groupe pour rejoindre le chariot alors que Sahadeva sortait ses armes. Le barde répondit en empoignant également son épée avant d’ajouter :

- Je n’aime pas le fait de se séparer mais s’il y a des âmes à sauver, je comprends. Je redoute toutefois une prise en tenaille et nous ne pouvons pas nous permettre de laisser la mule et les vivres sans surveillance.

Il était toujours préférable de ne pas séparer le groupe… Toutefois la situation était précaire et si des gens pouvaient être sauvés, ils devaient tout faire pour leur venir en aide.

Tenant son épée fermement, son sang bouillonnant dans ses veines, le barde sourit à l’idée d’une bonne bataille, louangeant son dieu intérieurement avant de poursuivre à l’intention de Sahadeva.

- Je propose donc qu’un d’entre nous suive Célestia et porte assistance rapidement alors que l’autre reste derrière avec Azur’ael et nos vivres. On tire à pile ou face?

Puis s'adressant à Azur'ael : À moins que vous ayez une meilleure stratégie?

Le temps n’était pas nécessairement à la blague, le barde déglutit après sa phrase, comme s’il réalisait ce qu’il venait de dire dans l’excitation d’une bataille.