Un repos... bien mérité ?

Le guerrier acheva sa route dans le temple de Tymora pour en ressortir quelques instants après sans plus aucune séquelle de son escarmouche. Comme tout le monde le sait dans les royaumes: rien de tel qu'un peu de sympathie, de compréhension et de flatterie, en ajoutant à cela quelque monnaie sonnante et trébuchante, pour s'attirer la grâce de n'importe quel fidèle servant ces fameuses déités aux doctrines aussi nobles les unes que les autres.

Ayant juré à sa personne - qu'au grand jamais il ne trahirait - de prendre du repos, sans nul doute dans une bonne auberge avant de se remettre en route. Orlpar y alla le sourire aux lèvres et la mine réjouie. Après tout, un groupe d'aventuriers faisait le travail à sa place et gratuitement, quoi de plus merveilleux pour un soldat qui adorait se pavaner ? Cette vilaine blessure était arrivée au bon moment et sire Eveningfall fils avait tout de suite su en tirer le meilleur profit.

Le nain urinait paisiblement sur un mur à l' arrière d' une taverne plutôt cossue, lorsqu' une main poilue et verdâtre cogna contre son épaule.
Glër se retourna et écarquilla les yeux : l' immense carcasse d' un demi orque à l' air peu amène le surplombait. Ce dernier lui beugla au visage (et ces mots parvinrent sans peine à Orlpar qui passait non loin) :

- Dis donc, sale nabot ! faut pas te gêner ! J' m' en vais te frotter les oreilles, moi...

Religieusement, le paria termina de souiller la façade devant le gardien stupéfié par tant d' impertinence, puis répondit :

- Tu as vu les prix de ton patron, sale fils de chien ? Tu ferais mieux de retourner lui cirer les pompes si tu n' veux pas que j'te...

Le coup de poing rageur de l' autre envoya valser le nain non loin d' Orlpar, qui s' approchait de l' auberge. Glër, meurtri, s' appuya au mur et dit au guerrier :

- Je te déconseille l' endroit, l' ami. Tous des faux-derches, là dedans...et le service, j' t' en parle même pas...

Orlpar vit le nain s'écraser à quelque pas de lui. Hébété, il lui répondit:

- Heu... ouais, pourquoi pas et... ça va vous ?

Se ressaisissant petit à petit, le soldat examina du regard l'hématôme facial de son interlocuteur:

- Ben dis, il vous a pas raté... Débatant sur la joue de monsieur le nain. Vous m'faites penser au hamster d'ma grande tante... C'est qu'c'est farouche les peaux vertes mon gars. Qu'est-ce que vous lui avez fait pour mériter pareille correction ? L'acculer d'une quelconque appartenance elfique n'aurait pas suffit je pense...

L'humain éclata de rire et donna une acolade au nain, puis renchérit:

- Toujours est-il que j'vous inviterai bien boire un coup à vos frais... si le coeur vous en dit bien sûr.

Il lui souriait, esperant qu'il n'ait qu'à demi compris sa proposition, tout en l'entrainant dans l'auberge.

Glër, qu' on pouvait comparer facilement à un ennui pécunier muni de deux jambes et d' une tête, savait reconnaître et détourner les propositions de ce genre.
Cependant, voyant dans la taverne populeuse une habile occasion d' éviter le bâtard qui l' avait ainsi cogné, il suivit le guerrier en disant :

- Tu m' excuseras, camarade, mais on n' roule pas ainsi l' plus preux, le plus fort et le plus avisé des nains de Toril comme ça !

Puis, alors qu' Orlpar interloqué se demandait s' il fallait éclater de rire ou bien lui mettre une bonne claque, le nain ajouta :

- Tu payes ce que tu bois, hein.

Orlpar souriait pour lui-même.

- Finalement, on s'ressemble un peu tous les deux, quoique... la taille peut-être... bah !

Il ammena le nain à s'asseoir à sa table et commandèrent tous deux de la bibine, histoire d'avoir la gorge un peu moins sèche pour discuter.

- C'est qu'j'oublierai de m'présenter, boudu ! J'm'appelle Orlpar, 'voyez. Et vous ? J'aime savoir avec qui je bois et je divague.

- Tu connais pas mon nom, mon gars ?

Le nain prit un faux air outré avant de déclamer de son infâme voix de basse le pseudonyme ridicule dont il s' était affublé, durant sa prime jeunesse.

- Glër. J' m' appelle Glër Hurletripes, et j' suis méchant, quand je veux. Alors reste tranquille !

Il but sa bière, et fit un geste aussi obscène que peu discret au demi-orque qui rageait, derrière une fenêtre. Après quoi, se tournant vers son compagnon :

- Qu' est-ce que tu fais en ville ? T' es un grand voyageur solitaire, comme moi ?

- Ben non... je bois, ça s'voit tout de même...

Il avala une bonne rasade de sa chope pour ensuite continuer:

- Ouaip... En fait, j'suis un soldat d'Eauprofonde et j'ai perdu ma troupe pour ensuite me séparer d'une autre. Enfin bon... rester avec l'autre troupe était suicidaire... Il rebu un peu tout en réfléchissant et reprit de plus belle. C'est des malades ! Ils vont se j'ter dans un combat sans crainte ni peur ! Radoucissant le ton. Des vrais héros quoi... moi, j'ai pas cette trempe là. Tiens, dites moi. Z'auriez jamais entendu parler d'un certain esclavagiste qui sévissait par ici ? Vous savez, un gars qui s'fait passer pour un marchand.

Orlpar finit sa boisson cul sec et devint enfin attentif à la conversation.

Le nain eut du mal à déglutir, et le mensonge se lisait sur son visage comme sur un livre lorsqu' il répondit avec une difficulté évidente :

- Hein ? Un...esclavagiste ? heu nan, nan. J' trafiquerai jamais avec des types comme ça, moi.

Orlpar le toisa du regard un moment pour lui faire remarquer:

- Vous avez travaillé pour lui ? Enfin, toujours est-il qu'il est inutile de nier... La surprise vous a traihi.

Son insouciance s'était métamorphosée en un intérêt certain et il était évident que le soldat attendait une réponse.

Glër se trouvait dans une de ces situations, bien connues de lui, où son manque d' aptitude à la dissimulation le forçait à admettre un mensonge et à se contredire.
Grattant son crâne sale, il finit par répondre :

- Bon, d' accord, mon gars. Tu m' as eu, t' es très fort. En fait, j' ai rencontré ce type ici, à Port. J' étais plutôt mal, question argent, tu vois ? Bon, ben je cherchais du travail, hein, et puis un type m' a offert un petit boulot de gardien, dans un dépot.
Finalement, au bout de...bah, une ou deux semaines, j' ai commencé à me rendre compte que ces gars trempaient dans des histoires plutôt pas claires.
De l' esclavagisme, bien sûr. Moi, tu comprends, je m' en fous pas mal de ce qu' ils font, et puis le boulot était plutôt tranquille. Après tout, les pires enflures sont que des types qu' ont su faire de l' or avec les dons du ciel, pas vrai ?

Le nain réclama à grands cris de quoi se rafraîchir la gorge. Ayant sifflé une seconde chope de bière, il acheva son récit.

- Bon. Pour en finir, parce que là j' en ai marre de remuer ça : j' ai commencé à grapiller un peu, j' ai piqué deux ou trois trucs, et évidemment je me suis fait avoir. Pas de chance. Ils m' ont viré, et comme un grand aventurier comme moi a pas mal d' ennemis, j' allais pas les dénoncer. J'aurais plongé avec eux, et sûrement plus qu' eux, et puis c' était de bonne guerre.
Du coup j' ai quitté Port.
J' te parle de ça, c' était il y a...bah, au moins six mois, hein. Mais pourquoi tu les cherches ? Tu veux les plomber, ces salopards ?

Hurletripes, ayant une certaine conscience des richesses amassées par l' abominable organisation, ne voyait dans cette supposition que des bonnes choses.