Le camp gobelin, La libération d'Arus

Marchant en compagnie du mage, la question de ce dernier frappa Kyron comme un carreau en pleine poitrine. Depuis le début de l'aventure, il s'était demandé à plusieurs reprises quel mensonge ou quel tour de passe-passe lui éviterait de répondre si un de ses compagnons venait à lui poser une question sur son passé et ses motivations.

Comme Grayback, le jeune ensorceleur pensait que la connaissance des autres était l'un des fondements de la cohésion au sein d'un groupe et générait la confiance entre les individus qui le composaient. Aussi, prenant une forte inspiration, il répondit avec des mots hésitants à son compagnon. Il savait que si Grayback n'était pas ce qu'il semblait être, le coeur de Kyron cesserai de battre dans de brefs délais.

- Halruaa... je viens d'Halruaa. C'est auprès d'un Seigneur-mage que j'ai découvert le don qui habite en moi. Cependant, j'ai dû fuir mon pays pour un crime que je n'ai pas commis...

Hésitant à poursuivre, il tourna légèrement son regard en direction du magicien comme pour déceler ses intentions. Après quelques secondes, voyant l'intérêt que portait son compagnon à son récit, il poursuivit.

- Quelqu'un m'a vu prés du corps sans vie de mon mentor... j'ai du fuir pour échapper au Tueur de Mage qui m'avait pris en chasse. Aujourd'hui encore, je ne sais si il est toujours à ma recherche. Je me suis dis que je serai plus en sécurité parmi des compagnons... des amis sur qui je pourrai compter en cas de problème. Et ainsi progresser dans mon art afin de me défendre de façon plus efficace et un jour, pouvoir élucider le mystère qui tourne autour de ce drame.

Attendant la réaction de Grayback, Kyron se plongea dans ses pensées, revoyant les années de joies passées en compagnie des ses parents et de son maître "secret".

*Reverrai-je un jour Halruaa... reverrai-je un jour mes parents ?*Une larme coula le long de la joue du jeune sorcier... il l'effaça d'un revers de la main.

A l'approche du village la rodeuse refit son apparition, sans accompagner celle ci de la moindre parole au reste du groupe, trés naturelle dans son attitude. Son regard, nullement géné par la progression des ombres avec l'arrivée de la nuit, observait attentivement les premières formes des bâtisses humaines se découpant sur le ciel.
Restant comme d'accoutumée sur le flanc droit de la compagnie, mais à présent portée de vue, elle ne lachait plus son grand arc, certains signes démontrant une appréhension grandissante avec la venue de ce nouveau lieu, la crispation de ses traits, la nervosité qui dansait dans ses yeux. Ces même yeux qui luisaient d'un pâle éclat rougeatre dû à l'utilisation de sa vision elfique.

MJ

Marchant péniblement sous la voûte de verdure, la petite colonne arrivait, cahin-caha, en vue de la lisière de la forêt. L'obscurité du sous-bois fit place à une lumière plus vite alors qu'ils sortaient de la pénombre des bois.
La piste serpentait devant eux, se faufilant entre des champs cultivés, peu fréquentés à cette heure avancée de la journée. Devant eux, à environ cinq cents mètres, se dressait une palissade. A vue de nez, elle entourait un petit hameau qui ne devait pas dépasser les 80 à 100 âmes. La route qu'ils suivaient se terminait sur une porte en bois devant laquelle se tenaient deux hommes d'armes.
Sur leur passage, les cultivateurs arrêtaient leurs travaux pour leur emboîter le pas, surpris et curieux, juqu'à l'entrée de Miryal. L'arrivée du petit groupe provoquait déjà une agitation certaine.

Après une surprise légitime, la vue du fermier allongé sur son brancard et de sa fillette suscitèrent une réaction d'abord méfiante de la garde, accentuée par la vision du demi-orque près du blessé. Les explications des aventuriers, confirmées d'une voix faible par le paysan blessé, eurent pour effet immédiat de leur ouvrir les porte du village. Bolthörn pouvait néanmoins sentir une réelle animosité à son encontre, même si les circonstances plaidaient plutôt en sa faveur, pour le moment.
La colère se lisait sur le visage des sentinelles et des habitants de Miryal, attirés curieux par ce remue-ménage.
"Maudits gobelins... On ne sera jamais tranquille... Mais que fait notre Seigneur ??? Il devrait envoyer son armée pour les exterminer au lieu de guerroyer contre son cousin... Ah, maudits nobles qui ne pensent pas au peuple... Heureusement que ces voyageurs étaient là sinon la petite Kalhia disparaissait aussi... Déjà Arus ce matin... Ils ont l'air fort... Ils pourraient peut-être nous aider..."

Le groupe se frayait difficilement un passage à travers les villageois, humains en grande majorité mais parmi lesquels se tenaient quelques halfelins. Nialëanne, chose surprenante, était là, le regard droit, se refusant à porter ses yeux sur un des humains habitant en ces lieux. Leur simple présence semblait l'indisposer mais elle ne faisait aucun commentaire. Soudain une voix plus forte se fit entendre, faisant immédiatement taire tous les commentaires : "Quelle est diantre la raison de cet attroupement ?" Un homme de forte stature fendait la foule à la rencontre des aventuriers, entraînant dans son sillage une silhouette en bure verte, capuche rabattue sur le visage. "Berhard... Morbleux ! Que t'est-il arrivé mon bon ami ? Et Kalhia ? Elle est là, Chauntéa soit louée !" Se précipitant vers le fermier blessé, le nouveau venu semblait très ému.

S'adressant à Hrthrod à la tête du brancard, il la remercia vivement : "Merci, merci, c'est vous qui les avez sauvé ? Je suis sûr que c'est encore un coup de ces gobelins du diable. Au moins, la petiote est sauve. Frère Jörzic, veuillez vous occuper de Berhard et de sa fille je vous prie. Rejoignez-nous après chez moi." Des mains, surgies de nulle part, s'emparèrent des montants du brancard, déchargeant les guerriers de leur fardeaux. Un dame assez corpulente prit Kalhia dans ses bras, la gamine s'accrochant à elle comme à une bouée de sauvetage. "Quant à vous, si vous voulez bien me suivre, nous serons plus à l'aise chez moi pour que vous puissiez me raconter ce qu'il s'est passé. Sachez que nous vous sommes déjà redevable pour ce que vous avez fait."

Tournant les talons, l'homme guida le petit groupe jusqu'à une maison en bois, d'apparence simple mais coquette. Il les fit entrer dans un vaste salon, au fond duquel crépitait un feu dans la cheminée. Se mettant dos aux flammes, il les fit asseoir de façon fort courtoise, essayant de ne pas laisser son impatience prendre le pas sur son devoir d'hôte.
Une fois tout le monde installé, il prit un siège et se présenta :

- Encore merci pour votre action, je suis Gratien Boilivier, chef, prévôt, juge et conseiller de cette petite communauté. Maintenant que nous sommes un peu plus au calme, pourriez vous vous présenter et m'en dire un peu plus sur les circonstances au cours desquelles vous avez secouru ce brave Berhard.

Son visage s'efforçait de montrer une façade faite de détermination et de gentillesse mais les traits tirés ne pouvaient masquer une profonde fatigue liée à une tension bien lourde à supporter pour un homme du peuple. Les nombreuses nuits blanches passées dans l'angoisse d'une nouvelle disparition avaient creusé de profondes rides dans le front du bourgmestre.

L'arrivée au hameau fût un soulagement pour Grayback. Il pouvait ressentir la colère qui était néé face à l'impuissance à laquelle ils étaient confrontés. Il sût en entendant les murmures approbateurs des villageois qu'ils s'engageaient là pour une quête... Il marchait d'un pas tranquille avec ses compagnons, mais sa blessure le faisait cruellement soufrir malgrès les soins de la grande guerrière. Il écouta le responsable du hameau leur dire les politesses de base puis poser des questions sans réagir.

Grayback dévisagea un instant le notable du village, puis entama d'une voix calme et posée, mais néanmoins fatiguée :Nous marchions dans la forêt en direction de Haute-Garde quand nous avons entendu des cris et des bruits de bataille. Nous nous sommes précipités vers le lieu du combat, et avons éliminé deux des trois gobelins présents. Puis nous avons rejoins votre charmant vilage. J'ai, par ailleurs, été blessé pendant la bataille, et je vous serais gré de m'indiquer où je pourrais trouver un guérisseur... Il grimaça de douleur en touchant sa blessure, se tût et observa ses camarades. Hrthrod était stoïque, et il se tourna vers elle comme pour quémander un soutien.

Kyron avait observé jusqu'à présent ce lieu nouveau pour lui et qui ne ressemblait en rien à ce qu'il avait connu jusqu'ici. Il avait écouté le notable, entouré de ses compagnons et avait senti l'angoisse qui régnait dans le petit village.

Grayback venait de prendre la parole, sa blessure le faisait souffrir et il avait déjà perdu beaucoup de sang. Aussi, voyant qu'il cherchait à présent un soutien, Kyron prit la parole, pensant qu'il était le plus à même de négocier de par son charisme, il s'adressa alors à Gratien Boilivier, d'un ton ferme mais courtois, décidé à obtenir ce qu'il demandait.

- Sir Boilivier, mes compagnons et moi-même sommes disposés à écouter ce que vous voudrez bien nous raconter au sujet de ces disparitions d'enfants. Et si nous pouvons vous aider, je pense que certains d'entre nous le ferons volontier.

Jaugeant les réactions du notable, Kyron poursuivit, cherchant du regard l'assentiment de ses compagnons

- Mais auparavant, l'un d'entre nous a été blessé durant l'escarmouche, et son état réclame des soins au plus vite. Nous vous serions également grés de nous fournir le gîte et le couvert car nous cheminons depuis un certain temps et le combat avec les gobelins a entamer nos forces. Il sera toujours temps demain matin d'entendre vos doléances et de décider de ce qu'il convient de faire.

Le jeune sorcier avait parlé d'un ton décidé. Il avait besoin de recharger ses forces, car il avait déjà décidé que lui, viendrait en aide au villageois. Mais pour cela, et pour ses compagnons, il avait besoin de toutes ses facultés mentales et physiques.

Nialë fixait deséspérement son regard sur l'arc placée debout en appuis sur le sol, entre ses minces jambes, elle s'était assise sans prononcer d'objections, immitant ses compagnons, mais à présent il en était tout autrement et elle semblait fort mal à l'aise.
La fierté elfique semblait en cet instant avoir abandonné tout son être, fragile petite dame au regard d'enfant elle paraissait à présent anxieuse voir effrayée par le lieu clos dans lequel se tenait le petit commité, entourée de toutes parts par tout ces grandes gens aux rondes oreilles.

Pour ne pas faire de tords à ses mauvaises habitudes elle n'avait pas ne serait ce qu'entrouvert les lévres, s'enfoncant dans son siége comme pour se faire oublier.
Elle attendait docilement que se passe le récit et les explications à n'en plus finir, sa peau parcourrue d'imperceptibles frissons quand un regard venait à s'attarder sur sa petite personne...

Des miliers de pensées se bousculaient dans sa tête, mais malgrés son tempérament fougueux et son obstination, elle était préssée de se retrouver à distance raisonnable de tout ces humains en qui elle n'avait pas la moindre confiance, oppressée par ce village inconnue qui l'encerclait à présent...

Tant de gens tout à coup les avaient accueillis avec force remerciements lors de leur arrivée au village qu'Hrthrod en était un peu embarrassée.
Elle n'avait dès lors plus soufflé mot tandis que le notable s'adressait à eux. Perdue dans cette foule avide de questions, ses pensées allaient à ses frères d'armes. Les maîtres-mages semblaient soulagés d'être arrivés à bon port sans grabuge supplémentaire. Bolthörn ne devait son salut apparemment qu'au fait d'avoir participer au sauvetage.
La guerrière dû attentivement scruter la foule pour repérer Nialëanne en son sein. Bousculée de toute part comme eux tous, elle paraissait ballottée comme un fétu de paille dans la tourmente. S'avançant avec effort vers sa position, Hrthrod lui avait alors tendu le bras sans rien dire afin qu'elle s'y appuie...

Dans la demeure du chef, mal à l'aise mais gardant son calme, elle laissait à ses compagnons plus instruits le soin d'user du verbe.
Néanmoins, lorsque Kyron émit la requête de soins pour Grayback sa patience atteint ses limites. Elle parla d'un ton ferme, sans appel, sans fioriture :
- Chef ! Vous nous parlez depuis toute à l'heure de reconnaissance, vous mettez à soigner vos gens tandis que vous nous amenez tranquillement nous asseoir discutailler alors qu'un des nôtres pisse le sang sur votre tapis... comment voulez vous que je vous écoute ?!
Inconsciemment elle s'était levée. Son corps tendu, ses muscles saillant n'exprimaient pas d'agressivité mais une vraie indignation.

MJ

Sous les reproches qui lui étaient faits, Gratien baissa humblement la tête. Il sentit le rouge lui monter au front. Comment avait-il pu omettre de se soucier de l'état de santé de ces héros ? Il était, certes, épuisé, mais la fatigue n'excusait pas tout et certainement pas un aussi évident manque de savoir-vivre. Se frottant les mains pour dissimuler son embarras, le bourgmestre se confondit en excuses :

- Vos reproches sont tout à fait justifiés. Je suis inexcusable de ne pas avoir remarqué la blessure de votre compagnon, ni votre état de fatigue à tous. Je comprends pleinement votre désir de vous reposer avant toute discussion. Frère Jörzic va arriver dans quelques minutes et il s'occupera de votre ami. Pour vous, le moins que je puisse faire est de vous conduire à l'auberge "A la moisson abondante". Vous y êtes, bien entendu, mes invités. Demandez-y tout ce qu'il vous faut et le tenancier s'efforcera de vous satisfaire. Il sera en effet temps, demain, d'échanger des informations."

A cet instant, la porte s'ouvrit et l'homme en bure verte remarqué précédemment entra dans la pièce. L'angoisse se lisait sur son visage lorsqu'il demanda : "Arus ? Ils ont des nouvelles d'Arus ?" Secouant la tête, il sembla se ressaisir un peu. "Excusez-moi, je ne sais plus où j'en suis. Messire Boilivier, Berhard est sauvé, il est entre les mains de Chauntéa et tous connaissent sa miséricorde."
Remarquant seulement la tunique tâchée de sang de Grayback, le prêtre se précipita, houspillant le maître des lieux. "Mais, cet homme est blessé et vous ne me disiez rien... " Se penchant sur la blessure, Jörzic dégagea le tissu, dénudant la plaie. Il grimaça en voyant la pointe de flèche toujours fichée dans la chair. "Allongez le sur la table, il faut que je retire ce fer avant d'en appeler Chauntéa. Allez vite, vous attendez quoi ? Qu'il meure ?"

En entendant de si funestes paroles, Hrthrod tança d’un regard noir le guérisseur pour des propos si peu empreint de tact, se demandant si cette Chauntéa serait plus clémente que le vieux Gruumsh. A bien y réfléchir, certainement que oui. Le Borgne ne se souciait guère des blessures de ses enfants, il leur donnait plutôt la force de tuer avant de succomber.
D'un revers du bras elle envoya balader au sol la totalité des objets sur la table de bois. Aidant alors à allonger son ami, elle ramassa un torchon et le tordit de manière à en façonner un épais morceau de tissu compact.
- Ouvres la bouche et serres cela entre tes dents, dit-elle à Grayback le regard chargé de compassion.
Passant derrière, arc-boutée au dessus de la tête du mage, elle lui maintenait le haut du corps cloué contre la planche. Des mèches de cheveux d'ébène tombaient de son cou tandis que les lacets détendus de son pourpoint de cuir clouté laissaient apercevoir, à l'homme allongé, la forme généreuse des seins de la guerrière.
- Encore un effort maître-mage, nous sommes tous avec toi. Dans un instant tu seras délivré. Elle lui souriait. Ce devait être la première fois qu'on la vit réellement sourire.

Grayback fût interloqué par l'intervention franche de Hthrod, et l'embarras du chef du village face à la guerrière outrée ne lui échappa nullement. Il sourit en pensant qu'elle avait définitivement gagnée le rang de chef de leur petite troupe de par sa détermination et son autorité presque innée. Mais l'entrée fracassante du disciple de Chauntea l'effraya quelque peu, et il eut l'impression que la situation échappait totalement à son contrôle. Tout alla très vite pour lui. Il était tranquillement assis à parlementer avec le notaire, et l'instant d'après, il se retrouvait allongé sur la table de bois, un morceau de chiffon entre les dents.

Malgrès la nervosité qui le tenaillait, Grayback ne pût s'empêcher de remarquer la vue splendide que lui laissait voir la belle guerrière à son insu. Il sourit, ou plutôt tenta de sourire, chose rendue difficile par le baillon qu'il serrait déjà, en pensant que sa première impression était loin d'être fausse : Hthrod était certes une guerrière accomplie et une meneuse d'hommes née, mais elle était aussi une très belle femme, armée d'un sourire au charme indéniable. Puis le frère se pencha sur lui, et Grayback oublia le reste.