Chapitre 2 : Les griffes d'Arcata

Le froid, la neige, l'épuisement : ce triptyque accompagnait encore toujours le petit groupe d'expéditionnaires. Blanche Flamme espérait bien qu'ils trouvent rapidement le refuge mais, à mesure qu'ils progressaient, il se sentait de moins en moins sûr de lui et dut reconnaître intérieurement qu'il était désormais totalement perdu. Par chance, Serana avait pris la relève et fini par découvrir la dernière portion de l'itinéraire qui les avait guidé jusqu'à une large cabane.

Pour la première fois, le disciple d'Oghma ressentit de l'alégresse : ils étaient sauvés… pour le moment… Peut-être pas les mutants, mais il ne se souciait pas particulièrement de leur sort. Tandis que le groupe s'approchait, il découvrit une silhouette humaine et entendit une voix les apostropher.

Le métis ne s'attendait pas à cela, à vrai dire, sans très bien savoir pourquoi, il s'était imaginé arriver dans un refuge inoccupé, comme celui dans lequel il avait logé avec Harrold. Mais il se rendit compte que c'était là une pure construction de son esprit et que personne ne lui avait indiqué que la cabane serait déserte.

Il s'inquiéta des intentions éventuellement hostiles de l'occupant, mais celui-ci semblait plus curieux que méfiant ou prêt à en découdre. Serana et Mirtzar étant lourdement chargés et probablement tout aussi fatigués que lui, le demi-drow se chargea des présentations :

- La bonne rencontre ! Je suis Blanche-Flamme et voici mes compagnons Mirtzar et Serana. Nous escortons trois bandits que nous avons capturés et que nous souhaitons voir jugés à Kamsirav... Mais pour l'heure, nous souhaiterions surtout pouvoir nous réchauffer un peu, au terme d'une longue marche par ce temps à ne pas mettre un chien dehors...

Il espérait ne pas s'être montré trop brusque, car cela n'était pas son intention. Il avait fait des efforts pour parler distinctement et courtoisement, même si son esprit n'aspirait qu'à rentrer au plus vite pour profiter de l'abri des murs et de la chaleur du feu.

'une des plus importantes leçons qui avait été inculquée à Mirtzar par ses supérieurs était que la panique était le pire ennemi du soldat. Paniquer voulait dire perdre contrôle et rien ne pouvait être plus dangereux. Mais quand le nain d'or arriva au sommet de la butte et que leur objectif persista dans son absence, il commença à se demander quel degré de contrôle il avait réellement.

Par chance, le principal atout de tout soldat, le reste de son équipe, n'avait pas abandonné le compagnon des Marches d'Argent. Blanche-Flamme semblait aussi déçu que le Frère-Molosse de ne pas vraiment savoir dans quelle direction se diriger mais la Dragonne, peut-être motivée par le poids de leur prisonnier en train d'expirer, fit une nouvelle démonstration de ses nombreux talents en détectant l'éclat presque invisible d'une lanterne. Leur but était maintenant en vue et cela était suffisant pour redonner au nain d'or un peu d'énergie.

Mirtzar était presque certain qu'il n'était pas aussi fatigué ou frigorifié que la majorité de ses compagnons, même si la Dragonne ne semblait pas avoir trop souffert non plus, mais il n'était pas mécontent de trouver le refuge occupé et donc, probablement, déjà chaud. Outre son confort personnel, cela pouvait être la différence entre vie et trépas pour leurs prisonniers. Il ne lui restait plus qu'à espérer que leur hôte allait être capable de les aider à s'orienter pour ne pas se retrouver dans une situation similaire lors de leur prochaine étape. Mais le moment n'était pas à la contemplation de leurs futurs problèmes. Le moment était venu de se reposer un peu.

-Bonsoir! Vous ne pouvez pas savoir à quel point nous sommes heureux d'avoir trouvé ce refuge.

Serana, Reïlo Blanche Flamme & Mirtzar Boucledacier
Après un regard confiant vers Mirtzar et Reïlo, un léger haussement de sourcil vers Serana, l’homme s’attarda un instant vers les deux captifs aux mains liées. Il tourna brièvement les épaules vers le refuge, puis la grange entrouverte dont il était sorti, pour retourner son attention vers ses interlocuteurs. Un bref moment de réflexion et il reprit d’un ton hésitant :

- Aucun Damarien, digne de ce nom, ne refuserait le gîte à des voyageurs durant la saison des Gels. Mais les gaillards que vous trainez… sont dangereux ? Qu’êtes-vous exactement, des mercenaires ? Des justiciers ? Des chasseurs de primes ?

Il les dévisagea. Personne ne put dire qu’elles étaient la nature de ses pensées.

- Nous ne voulons pas de problèmes. Nous sommes de passage, bloqués par la neige. Un marchand, un vieillard, une femme et son enfant… et d’autres… Une cheminée dans la baraque, un braséro dans la grange… Certainement de quoi partager le souper… Mais nous ne voulons pas de problèmes…

Visiblement hésitant sur la démarche à suivre. L’homme peinait à estimer les visiteurs.

Le refuge était fermé, une lanterne de chaque côté de la porte principale, de lourds volets de bois fermés sur les fenêtres. La grange était de forme carrée, la toiture pentue. Depuis les hautes portes entrouvertes, on pouvait entendre, à travers le sifflement perpétuel du vent, un hennissement, quelques bruits de sabots, le son caractéristique d’une lime ou d’une scie, un outil s’acharnant sur le bois.

Reïlo était las et avait envie d'entrer se réchauffer mais, comme il le pensait, les prisonniers suscitaient la méfiance et posaient problème. Diplomate, il répondit avec sincérité :

- Oui, ces gars-là sont dangereux. Mais ils sont en tellement mauvais état suite à notre marche que je doute qu'ils puissent faire quoi que ce soit… et quand bien même, ils seront ligotés et on veillera sur eux. Notre amie Serana ne dort que peu et les surveillera de près…

Le prêtre d'Oghma précisa :

- Nous sommes des aventuriers, mandatés par Yoline prêtresse de Dajrana et, comme je l'ai dit, nous devons nous rendre à Kamisrav. Il se trouve qu'on a trouvé ceux-là sur notre route, sans vraiment les chercher, mais ils avaient fait un tel grabuge qu'on les a arrêtés.

Il conclut :

- Nous ne voulons pas d'ennuis non plus, ni vous en causer. Juste un abri où se réchauffer le temps que la tempête passe, ensuite on poursuivra notre route.

ne fois de plus, le nain d'or laissa Blanche-Flamme s'occuper des explications et des introductions. Il était un peu intrigué par le bruit de quelqu'un travaillant le bois venant de la grange mais le moment n'était probablement pas encore venu d'étancher sa curiosité. Quand Blanche-Flamme résuma les raisons de leur voyage, et la raison de la présence de leurs prisonniers, le Frère-Molosse ne put s'empêcher de murmurer dans sa barbe, plus pour lui-même qu'autre chose:

-Ils étaient à peine capables de se défendre quand on les a rencontré et le froid et la fatigue ne les ont pas vraiment améliorés. Dangereux est un peu excessif, non?

Maintenant qu'ils avaient trouvé un refuge, Mirtzar savait qu'ils n'avaient plus qu'à attendre mais il n'était ni particulièrement épuisé, ni vraiment frigorifié pour l'instant et il décida donc de retourner son attention au bruit qu'il avait entendu.

Il se dirigea donc vers la grange, vérifiant d'un regard rapide que la Dragonne et Blanche-Flamme n'avaient pas besoin de son assistance pour guider les prisonniers vers l'intérieur du refuge et la chaleur qu'ils devaient être impatients de rejoindre. Comme sa présence ne semblait pas nécessaire, il alla jusqu'aux portes et frappa avec suffisamment de force pour se faire entendre au-dessus des sifflements du vent. Il se demandait quel genre de menuiserie était suffisamment important pour justifier de ne pas profiter de la cheminée par de telles conditions.

Un jour, il serait temps qu'elle fasse quelque chose pour faire connaître le Dieu des Voyages en Damara. Elle connaissait des coin où la seule vision de son symbole sacré lui aurait ouvert n'importe quelle porte.

Ce n'était visiblement pas le cas ici.

- Si ils font semblant d'être dangereux je fini de leur déformer la tronche, dit elle en regardant leur potentiel futur hôte. L'expérience me dit que plus le monde est difficile avec vous, plus ses habitants ont l'hospitalité dans le cœur. Je ne doute pas que ce soit aussi le cas ici;

Elle s'appuyait sur la fierté des locaux. Et ce n'était pas faux. Les citadins n'ouvraient jamais leurs portes, mais elle ne comptait plus le nombre de fois où elle avait dormi devant l'âtre d'un paysan. Et c'était sans compter les cultures de quelques régions comme le Turmish et ses stricts règles de l'hospitalité... même si elle préférait toujours éviter le crâne renversé plein d'escargots.

- Mais si ça ne suffit pas, nous ne sommes pas dénués de compétences. Si jamais l'un des vôtres est malade, ou si vous avez besoin de bras, nous serons heureux de vous aider demain pour payer notre écot.

Et cela ferait office de repos pendant lequel il pourrait tous reprendre des forces. Sans compter que leurs adversaires pourraient apprendre un peu de bienveillance de l'aide qu'ils apporterait aux autochtones.

Douzième jour du cœur de l’hiver
Lieu : Les monts de Galènes, frontière du Duché d’Arcata.
Moment : Fin de journée
Météo et températures : Froid (-25°C), très venteux.

Serana, Reïlo Blanche Flamme & Mirtzar Boucledacier
Après plus de quatre heures de marche, ils avaient atteints une propriété bâtie au fond d’une clairière et constituée d’une large bâtisse et d’une grange de taille conséquente. L’ensemble formait un abri sommaire. La neige était tombée dru et formait un épais tapis blanc sur le sol, tandis que de gros paquets s’accrochaient résolument aux pins et sur les toitures.

Mirtzar Boucledacier
Une large structure en bois aux parois rectilignes et haute de plafond. Deux diligences étaient parquées au centre, encombrant la majorité de l’espace. Trois petits enclos remplis de chevaux étaient bâtis dans le fond. A l’intérieur, à l’abri du vent, deux braséros crépitaient en projetant des ombres mouvantes. L’espace était tiède, une chaleur suffisante après les conditions qu’ils venaient de traverser.

L’homme en épais manteau de fourrure referma rapidement derrière le Nain et ses deux captifs. Aussitôt, il rejeta sa fourche sur le côté avant de rejoindre Mirtzar, et sans jamais cesser de jeter des regards inquiets sur les deux hommes ficelés.

- L’un des enclos est libre. J’dois pouvoir dégotter une ou deux couvertures.

D’un geste ample, il indiqua le chemin entre un tas de caisses en bois et les larges véhicules. Un espace aménagé où l’on entassait quelques buches.

- J’m’appelle Alexeï. Et mon collègue s’appelle Tuglir.

Dans un bruit continu de lime à bois, un humanoïde imposant s’activait sur l’un des lourds chariots. Un homme doté de larges épaules et haut de taille émergea à peine derrière le véhicule. Une mine patibulaire et les cheveux coiffés en chignon, vêtue d’une salopette et d’un gilet de cuir, il ne jeta qu’un bref regard vers les visiteurs avant de recentrer sur sa tâche.

L’espace que lui présenta Alexeï était un box délimité par une barrière en bois haute comme un Nain. Le sol était de terre et tapissé de paille. Quelques buches de bouleaux secs entassés au sol dans coin. Mirtzar ne put s’empêcher de se pencher pour inspecter l’intérieur, comme pour vérifier qu’il n’y avait pas d’échappatoire ou d’outils pour se délivrer de leurs liens. En constatant que l’endroit était relativement vide, il croisa le regard du chef des bandits. Celui-ci, de silhouette toute tremblotante, lui tendit les poignets sans un mot, avec l’intention de soulager ses extrémités engourdis par le froid.

Reïlo Blanche-Flamme & Serana
Ils passèrent une arche de bois verni et s’approchèrent du bâtiment aux volets fermés. L’ecclésiaste Maâkhérou poussa un soupir en tournant ses yeux noirs et exaspérés pour ouvrir la marche. Il poussa à grand-peine la porte vers l’intérieur tant la neige s’était accumulée.

Après une courte série de marches en pierre, ils débouchèrent dans un renfoncement qui révéla une ambiance surprenante. Il y régnait une agréable chaleur, un feu crépitant dans l’âtre et, étonnamment, une dizaine de personnes occupant une grande salle semblable à une auberge. Non loin d’un petit comptoir, une femme était assise. Elle se leva d’un bond à leur entrée, fit quelques pas vers les nouveaux venus et balbutia quelques paroles, figée par la surprise. De longs cheveux d’un noir d’encre encadraient un visage ciselé, doté de deux pupilles inquiètes.

- Tiens, des visiteurs égarés, bredouilla-t-elle.

Un léger instant resta un suspend. Elle resta figée en regardant Serana.
Elle se reprit rapidement, affichant un sourire timide, s’inclinant gracieusement.

- Oh, excusez-moi. Je n’ai pas accueilli autant de visiteurs depuis un moment… Je me nomme Shiro et je vous souhaite le bienvenu au Poney Givré.

En jetant un œil sur l’endroit, ils remarquèrent que, bien que modeste, le bâtiment était impeccablement tenue. Des boiseries lustrées, un sol balayé, une pièce principale se voulant accueillante. Parmi une douzaine de clients, ils purent percevoir quelques regards inquiets se poser sur eux.

Sitôt le seuil du bâtiment franchi, Blanche Flamme ressentit une chaleur bienfaisante envelopper tout son corps. La lumière ambiante et la protection que les murs de la bâtisse offraient contre le vent damarien constituaient deux autres sources de satisfaction. Pour la première fois depuis bien longtemps, le demi-drow se sentait relativement bien.

Même s'il n'avait qu'une seule hâte, se reposer, il prit le temps de se présenter et de faire preuve de la courtoisie que les circonstances exigeaient.

- La bonne rencontre, Shiro. Je suis Blanche Flamme et voici Serana et Maâkhérou. Ainsi qu'un bandit prisonnier que nous avons capturé. Nous garderons un œil sur lui pour qu'il n'y ait pas de problème dans votre établissement, mais je doute qu'il puisse constituer une menace vu son état…

Le métis marqua une pause et se remémora les marmonnements de Mirtzar à propos de la dangerosité de leurs prisonniers. Il espérait que le nain ne fasse pas preuve d'imprudence ou négligence en sous-estimant les captifs. L'Oghmite était persuadé qu'ils constituaient un danger, que cela soit par leur perfidie ou par leur comportement exagérément agressif. Il avait d'ailleurs échappé de peu à la mort pour avoir commis cette erreur.

Reprenant le fil de ses pensées, il ajouta :

- Nous souhaiterions passer la nuit ici et repartir dès que le temps le permettra. Y a-t-il un endroit dans lequel nous pouvons nous installer ? Nous sommes prêts à payer, si c'est nécessaire…

Le fait que l'établissement porte un nom laissait entendre que c'était une auberge ou quelque chose de ce genre...

Serana, Reïlo Blanche Flamme
La femme aux cheveux noirs regarda tour à tour les deux prêtres, Serana et l’étrange petit être inconscient qui reposait toujours dans son dos. Elle revint rapidement à Reïlo Blanche-flamme en s’inclinant légèrement après que la requête eut été formulée.

- Bien entendu. Malheureusement, nos quelques chambres ont été prises par les premiers venus, mais il nous reste des lits dans la salle commune à l’étage. Si vous le désirez, je peux vous conduire à la chambre. Vous indiquez où prendre un bain. Ou si vous préférez, vous installez à table le temps de vous réchauffer.

A quelques mètres dans la grande salle, on put remarquer une grande femme de haute stature sortant précipitamment de l’encadrement d’une porte pour se frayer un chemin jusqu’à une table en tenant un plateau de bols fumants. Un jeune couple et un enfant étaient heureux de recevoir le diner. L’homme, la femme et le jeune garçon semblaient partager des traits similaires, une carnation pâle, des cheveux dorés et des vêtements blancs aux bordures brodés de motifs identiques.

Plus loin, deux hommes bourrus se tenaient dans un coin de la salle, leur table recouverte de pichets et de godets. Ils parlaient bruyamment dans un patois local en argumentant avec un Halfelin musculeux, les bras nus recouverts de cicatrices, une tignasse de cheveux bouclés et le corps enroulé dans un tablier crasseux. Non loin, face à l’âtre du feu, un homme d’âge moyen vêtu de beaux tissus dinait seul. Le dossier de sa chaise recouvert d’un lourd manteau ourlé de fourrure blanche. Il semblait en train de rédiger une lettre. Enfin, au plus proche des flammes de la cheminée, un vieil homme somnolait silencieusement dans un large fauteuil de bois usé.

Reïlo écouta toutes les propositions et opina du chef. Tout cela lui semblait très bien et il aurait volontiers tout fait en même temps : s'asseoir et manger, prendre un bain et dormir confortablement installé.

Comme à son habitude, il prit la parole en premier :

- La chambre commune pourra tout à fait convenir, merci. Et pour le reste, eh bien, cela me semble un fort beau programme : pour ma part, je vais m'asseoir et manger un petit quelque chose, puis je prendrais bien volontiers un bain bien chaud avant d'aller me coucher !

L'idée même de se laver et de dormir au chaud lui faisait beaucoup plus plaisir qu'il n'aurait jamais pu l'imaginer lorsqu'il se trouvait dans les Vaux. Même s'il avait connu la misère, il n'avait jamais enduré de telles épreuves et ressenti un sentiment de désespoir aussi profond que celui qu'il avait éprouvé ces derniers jours.

Il murmura à ses deux compagnons :

- Il faudra nous organiser pour toujours garder un œil sur le prisonnier. Il ne semble pas en état de nuire, mais ces créatures agissent de manière totalement irrationnelle et ne rechignent pas à user de la duperie. Je peux prendre un premier tour de garde avant d'aller me coucher, mais j'aurai bien besoin d'un long sommeil réparateur pour recouvrer mes aptitudes…